Brexit: l’heure de parler vrai aux Anglais tarde

Brexit: l’heure de parler vrai aux Anglais tarde

«Le Brexit va durer ». L’entourage de Jean-Claude Juncker n’est « pas surpris » par les manœuvres de Theresa May pour différer le moment de lancer la procédure de divorce avec l’UE à la fin 2017, après les élections en France et en Allemagne. Mais le Premier ministre britannique agace en cherchant à diviser ses interlocuteurs pour parvenir à ses fins

« Un nouveau délai supplémentaire risque de paralyser les débats européens », a averti l’Italien Sandro Gozi dans un entretien au Financial Times Italia. Voix de Matteo Renzi pour les affaires européennes, le secrétaire d’État ne mâche pas ses mots. « Nous devons éviter l’immobilisme, l’inertie. L’Europe doit donner d’urgence des réponses concrètes aux préoccupations des citoyens. Pas question d’attendre un an », a-t-il affirmé.

L’Elysée est sur la même ligne. « Dix huit mois, ça fait long pour se préparer, sauf à détourner l’esprit de l’article 50 », commente-t-on.

L’Allemagne n’a pas réagi aux intentions prêtées à Theresa May via la presse britannique. « Qui ne dit mot consent ». La position de la chancelière confirmera-t-elle l’adage? Les Britanniques l’espèrent. Les Français ne savent pas, mais veulent croire qu’Angela Merkel « pense comme nous », « fait preuve de sang-froid et de bon sens » et « attend de voir comment les Britanniques sortent de leurs contradictions »

L’heure de parler vrai à Theresa May devrait pourtant sonner, car les britanniques jouent des silences. Le Times soutient que la chancelière est prête à accepter ce nouveau délai et que Matteo Renzi se rangera à cet avis pour avoir son soutien dans le bras de fer engagé avec la Commission de Bruxelles pour obtenir plus de flexibilité budgétaire et sauver ses banques. Vrai, faux ?

Un mini sommet va réunir le 22 août Angela Merkel, François Hollande et Matteo Renzi sur l’île italienne de Ventotene, au large de Naples, tristement célèbre pour l’îlot prison de Santo Stefano où le régime fasciste de Benito Mussolini fit incarcérer nombre de ses opposants. L’un d’eux était Altiero Spinelli, l’un des pères de l’Europe. Il  y rédigea en juin 1941 le manifeste de Ventotene « pour une Europe libre et unie », texte précurseur du fédéralisme européen.

Les dirigeants des trois grands pays de l’UE –la Pologne n’a pas encore gagné ce statut- veulent se concerter et arrêter des positions communes pour le sommet informel prévu le 16 septembre à Bratislava consacré à l’avenir de l’UE sans le Royaume Uni.

Les sujets de discussions et de divisions ne manquent pas, mais le Brexit n’est pas la priorité. « Il suffira de répéter la ligne tenue jusqu’à présent », m’a confié un conseiller. La priorité pour Angela Merkel est la crise de l’asile. Sa coalition s’est fracturée sur ce thème, la CSU bavaroise lui reprochant sa politique d’accueil,  et sa popularité est en chute. L’Italie est également en quête de solutions. La péninsule est un pays d’arrivée et de transit. Elle peine à gérer les flux venus de plus en plus nombreux par la mer de Libye et d’Egypte depuis la fermeture des frontières turques. Merkel et Renzi attendent beaucoup de François Hollande, mais le président français ne peut satisfaire leurs demandes.

Les institutions européennes sont un autre sujet de discorde. Les mandats du président du Conseil européen, le conservateur Polonais Donald Tusk, et du Parlement européen, le social démocrate allemand Martin Schulz, se terminent en 2017. Paris souhaite leur reconduction. Angela Merkel n’a pas encore décidé. La question est sensible car elle touche à l’équilibre entre les deux grandes familles politiques. L’accord acté au sein du Parlement européen prévoit une passation de la présidence à un conservateur. Mais dans ce cas, les Socialistes ne dirigeraient aucune des trois institutions. La tentation est grande pour certains politiciens en Allemagne de déboulonner le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, peu apprécié par Angela Merkel, pour réaliser le mouvement de chaises. La chancelière a tenté de torpiller sa nomination et, désavouée,  a ensuite été contrainte de composer avec lui. «Mais elle ne considère pas Juncker comme un véritable PPE, car elle le juge trop social », confie un de ses interlocuteurs. Une campagne de dénigrement a été lancée via la presse allemande, à coup d’insinuations sur la santé et les addictions du président de l’exécutif bruxellois, aussitôt relayée par la presse britannique, acharnée à le faire tomber. L’homme a été blessé par ces attaques. Désormais sur la défensive, il cherche des soutiens. Il sera intéressant de voir si les trois grands s’entendent à Ventotene pour sauver le soldat Juncker ou s’ils le laissent encore mariner dans l’incertitude.

2 réflexions sur « Brexit: l’heure de parler vrai aux Anglais tarde »

  1. Bonsoir,

    est-ce aussi facile pour la chancelière allemande de faire tomber Jean-Claude Juncker ?
    En 2014, on nous disait que l’opinion publique allemande lui pardonnerait difficilement le choix d’un candidat non investi par le groupe majoritaire au Parlement européen (en l’occurrence Juncker).

    Ensuite sur le Brexit : le temps joue-t-il contre les Britanniques ou contre les Européens ? Il ne s’agit que d’un délai et tout le monde a refusé de négocier tant que l’article 50 n’aurait été notifié. Il me semble donc qu’une fois une position commune, il n’y aurait qu’à attendre la notification de la sortie britannique.
    Enfin, que pensez-vous de la nomination de Julian King au poste de commissaire à la sécurité ?

    Merci pour ce blog passionnant !
    Respectueusement,

    Alexandre Marin

    1. Non ce ne sera pas facile, mais Jean-Claude Juncker compte de sérieux adversaires au sein de la CDU de Mme Merkel, le premier étant M. Schauble, qui n’est pas spécialement un ami de la chancelière. Elle doit composer avec ses alliés politiques. En outre elle n’a jamais apprécié les nominations, que ce soit celle de Juncker ou celle de Tusk. Lorsque le grand jeu de chaises musicales va commencer à la fin des mandats de M. Tusk et du président du PE Martin Schulz, il va lui falloir arbitrer, car le PPE veut récupérer la présidence du Parlement. Attaquer sur la santé de M. Juncker et le pousser à renoncer fait partie du jeu et Mme Merkel ne fait rien pour siffler la fin de la partie
      Sur le Brexit, le temps joue contre les dirigeants britanniques, car les partisans du Brexit sont tout sauf sympatiques. Plus Mme May et ses amis tergiverseront, plus le sentiment des Britanniques qu’ils ont beaucoup à perdre risque de grandir et plus se fera sentir la pression pour un nouveau référendum. L’UE a tout à gagner en restant ferme face à Mme May et à Boris Johnson. Les populistes et les europhobes suivent de très prêt le divorce. Si Londres gagne, c’en sera fini de l’UE. Tout le monde réclamera un statut particulier.
      La nomination de Julian King est dans la droite ligne de ce qui s’est fait par le passé. L’Italie a ainsi nommé son ancien ambassadeur à Bruxelles pour la fin du mandat de la commission Barroso. L’erreur du PE a été de l’accepter alors que le Royaume Uni n’a pas encore notifié ses intentions

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