Les Salauds de l’Europe
La lecture des Salauds de l’Europe m’a rappelé le commentaire d’un grand ambassadeur sur notre sentiment de vivre la dislocation de l’Union européenne : « Il y a une part de vérité, mais la description est un peu rude ». Là est la force du récit de Jean Quatremer. Tout ce qu’il écrit est démontré et pour cette raison, son « guide à l’usage des eurosceptiques » va déranger beaucoup de monde dans les capitales et au sein des institutions.
Les salauds ne sont pas Boris Johnson ou José Manuel Barroso. Le Premier est europhobe; le second est un opportuniste sans scrupules. Non, les salauds sont ceux qui ont laissé le premier prendre de plus en plus d’influence sans vraiment combattre ses arguments et le second ternir l’image des institutions européennes sans sévir. Les salauds sont les chefs d’État et de gouvernements des Etats membres, les dirigeants des institutions et les élus européens qui vont se réunir à Rome pour la grand messe du 60e anniversaire du Traité fondateur. Les Salauds de l’Europe, c’est le récit de leurs lâchetés, de leurs calculs, de leurs compromissions. Les politiques veulent être aimes, les fonctionnaires ont besoin d’être craints. La décomposition de l’Union européenne est le résultat de leurs affrontements. Le temps des architectes de l’Europe est révolu, l’Union est passée aux mains de comptables, incapables de gérer un héritage trop lourd à porter. Les grands anciens ne leur ont pas facilité la tâche. Jacques Delors, qui a présidé la Commission européenne avec le soutien de François Mitterrand et de Helmut Kohl, avait mis en garde contre la fuite en avant d’un élargissement mal préparé avec des institutions inadaptées. Le récit de Jean Quatremer rappelle l’histoire et pointe les erreurs pour expliquer comment elles ont nourri le sentiment anti-européen et la monté des europhobes. Pas de pédanterie ni de grande tirades savantes. Quatremer cogne et il cogne dur. Son livre va rester en travers de la gorge pour beaucoup de lecteurs et lui valoir de sérieuses inimitiés. Mais c’est salutaire. Le lire avant de se rendre à Rome est recommandé pour ne pas se laisser séduire par le théâtre d’ombre qui va se jouer au Capitole. L’Union européenne a besoin d’un bon coup de pied pour se réveiller. Elle est encore incomplète, n’est pas en mesure de réagir aux crises et résiste difficilement aux tempêtes, car elle n’a pas été conçue pour cela. Avec le départ du Royaume Uni, l’heure des réformes à sonné. Mais la voie choisie, celle des coopérations renforcées ou dissociées, n’est pas viable pour l’auteur. Jacques Delors était contre. Ca ne peut pas marcher parce qu’un pays peut toujours opposer son veto, soulignait-il dans un entretien au Monde en 2000. La solution pour parvenir à une Europe politique c’est la constitution d’une avant garde, une fédération d’Etats nations, plaidait alors l’ancien président de la Commission européenne. Quatremer est sur cette ligne et il explique pourquoi dans son avant dernier chapitre. La conclusion est un pied de nez à Marine le Pen, la présidente du Front national, qui veut la mort de l’Europe et demande aux Français de l’élire à la présidence de la République pour l’exécuter.