Brexit: Dieu sauve la Reine
Finies les subventions européennes pour les domaines de la famille royale. Les Anglais ont opté pour un divorce dur et leurs partenaires sont bien décidé à défendre leurs intérêts. La fin du chèque britannique est un de ces symboles. La ristourne est conséquente : 6 milliards d’euros sur la contribution britannique au budget commun, dont 1,6 milliard à charge des Français. Le prix à payer pour la rupture sera très lourd, pour l’exemple, pour mettre en échec les partis europhobes en France, aux Pays Bas, en Italie. Dieu sauve la Reine… et les Ecossais.
« Nous sommes patients. Nous savons ce que nous voulons et nous sommes prêts. La question est : les Britanniques savent-ils ce qu’ils veulent. Pour le moment c’est un mystère ». Le Premier ministre slovaque Robert Fico, hôte du sommet informel de Bratislava en septembre, le premier sans le Royaume Uni, a bien résumé la situation.
Theresa May, son homologue britannique, a fait part de son intention d’activer la procédure de l’article 50 l’année prochaine, avant la fin mars. Son choix, applaudi par les durs du parti Conservateur, est pour une rupture totale : départ de l’UE, mais aussi de l’Union douanière et du marché unique. La décision affole les marchés financiers et fait souffrir la Livre. Le Royaume Uni devra renégocier en son nom plusieurs dizaines d’accords commerciaux souscrits par l’UE et surtout perdra le passeport européen dont bénéficient 5.500 sociétés financières (banques, assureurs, gestionnaires d’actifs) basées au Royaume Uni pour vendre leurs services dans les autres membres de l’UE. Les Ecossais, les Irlandais du Nord et la City de Londres, qui ont majoritairement voté pour le maintien dans l’UE, n’apprécient pas du tout les décisions des Anglais et des Gallois. Le Royaume Uni pourrait ne pas survivre au divorce.
Pour le moment, les autres membres de l’UE gardent leur calme. « Nous ne réagissons pas sur des discours. Nous attendons toujours du Royaume Uni la notification formelle de son départ . Tant que la lettre ne nous sera pas parvenu, il n’y aura pas de négociations», a averti le porte-parole de la Commission européenne au lendemain des déclarations de Mme May. Jean-Claude Juncker s’entretiendra avec le Premier ministre britannique en marge du sommet européen d’octobre. Mais Mme May a-t-elle vraiment l’intention d’écouter les avis et les mises en garde du président de la Commission européenne ? Les deux dirigeants se sont entretenus au téléphone avant que Mme May ne prononce son discours et annonce un divorce dur.
«La rupture sera très douloureuse pour le Royaume Uni », soutient Robert Fico. Son homologue maltais Joseph Muscat, dont le pays présidera les réunions ministérielles européennes pendant les six premiers mois de 2017 est du même avis. « Le Royaume Uni ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Tous les pays sont sur cette ligne, même les Pays Bas , l’Estonie et l’Irlande, ses principaux soutiens », a-t-il expliqué dans un entretien à Politico.
« Tout statut spécial accordé au Royaume Uni serait une incitation pour d’autres Etats à quitter l’UE », explique Charles Grant, directeur du CER, un centre de réflexion européen. « Les quatre libertés sont indissociables. Marché unique et liberté de circulation vont de pair. C’est le mantra des institutions européennes ».
Chacune a désigné son chef négociateur. La Commission européenne a nommé le Français Michel Barnier , 65 ans, avec rang de directeur général. L’ancien commissaire européen sera secondé par l’Allemande Sabine Weyand, directrice adjointe au Commerce et a choisi deux conseillers : Stephanie Riso et Georg Emil Riekeles pour les relations inter-institutionnelles.
Le choix de Michel Barnier est une décision de Jean-Claude Juncker. Elle a fait grincer des dents dans les Etats membres et au sein même de l’institution. D’aucuns voyaient cette mission confiée au Néerlandais Frans Timmermans, jugé beaucoup plus conciliant et donc favorable aux intérêts britanniques. Le français a d’autres atouts . « Barnier est un type bien. Il connaît les problèmes sur lesquels ont va devoir négocier », a expliqué Jean-Claude Juncker dans un entretien au quotidien belge Le Soir. Barnier a été ministre de l’Environnement, de l’Agriculture, des Affaires européennes et des Affaires étrangères, commissaire européen chargé des politiques régionales (1999-2004) puis responsable du Marché intérieur et des services financiers (2009-2014) mandat au cours duquel il a négocié l’Union bancaire avec seulement deux vote contre des Britanniques sur 42 textes. Et il est apprécié à Londres. Syed Kamal, le chef du groupe des Conservateurs britanniques au Parlement européen a salué un « homme expérimenté et pragmatique ».
Michel Barnier va devoir composer avec l’équipe des Etats dirigée par le diplomate belge Didier Seeuws, 52 ans, chef de cabinet de Herman van Rompuy, le prédécesseur de Donald Tusk à la présidence du Conseil. Homme de l’ombre, il connaît bien les arcanes de la machine et les comportements des dirigeants européens pour les avoir côtoyés pendant des années. Ironie du destin, il a été dans une vie antérieure le porte-parole de l’ancien Premier ministre libéral belge Guy Verhofstadt, 63 ans, chargé de négocier le Brexit pour le Parlement européen. Les trois hommes se connaissent, ont déjà travaillé ensemble par le passé et s’apprécient.
Leur mission première sera de « détricoter 43 années d’acquis communautaire avec le Royaume Uni, et ce sera un énorme travail », m’a expliqué un de leurs collaborateurs. « On ne connaît pas encore les priorités des Britanniques. C’est un immense merdier, un saut total dans l’inconnu, mais il peut en sortir du bien », a-t-il confié.
Les détricoteurs attendent que Londres se décide. Michel Barnier veut rencontrer chacun des 27 gouvernements et le Parlement européen « afin d’établir une relation de travail « .
Leur mandat est clair. « Il s’agit de protéger les intérêts de ceux qui veulent rester ensemble, pas ceux de celui qui veut partir », a expliqué Donald Tusk. Jean-Claude Juncker a pour sa part averti de son intention d’être sans merci pour les « déserteurs ». « Les négociations seront très difficiles pour les britanniques », prédit Robert Fico. « L’intention est de montrer aux autres membres de l’UE qu’il vaut mieux rester au sein de l’UE », explique-t-il.