L’Union européenne, grand corps malade
Gangrenée par les idées des mouvements anti-européens et xénophobes, décriée par des citoyens de plus en plus mécontents de son inaction et de ses divisions, amputée de l’un de ses plus grands Etats membres, le Royaume Uni, l’Union européenne n’a jamais semblée aussi fragilisée qu’en cette fin d’année 2016 et les cérémonies organisées pour le 60e anniversaire de la signature de son traité fondateur le 25 mars 2017 à Rome pourraient bien être son chant du cygne.
Sonnés par la décision des Britanniques de voter pour la sortie de l’UE, les dirigeants européens se veulent intraitables. Ils ont fait leur deuil du Royaume Uni et veulent agir vite, sans merci, pour l’exemple. Le Brexit doit être sans retour et douloureux. Mais il est déjà trop tard. L’europhobie s’étend et les brillantes démonstrations sur les dangers d’une rupture sont ignorées.
L’Union européenne est devenue un grand corps malade. Marine Le Pen est entrée à la fin de l’année 2016 dans le classement des personnalités préférées des Français à la 37è place sur 50. «Marine Le Pen devient la personnalité politique préférée des Français », se félicite Russia Today, l’instrument de la propagande russe en France. Son rival à droite, François Fillon, occupe la 42è position dans les préférences des Français et l’ancien Premier ministre socialiste Manuel Valls est absent de ce classement. La nouvelle fait peur à quelques mois d’une élection présidentielle dont l’issue reste très incertaine. Europhobe et pro-russe, la présidente du Front National annonce un « Frexit » et une sortie de l’Otan si elle est élue en mai 2017. Vladimir Poutine est aux anges.
La gangrène europhobe est bien installée en France, et a commencé a pourrir les esprits. Elle a également pris aux Pays Bas, ou Geert Wilders, allié de Marine Le Pen au Parlement européen, multiplie les provocations, porté par des sondages qui prédisent un succès de son Parti de la Liberté (PVV) aux législatives le 15 mars 2017. Elle gagne aussi en Italie ou la Ligue du Nord, autre allié de Marine Le Pen, et les populistes du Mouvement 5 étoiles (M5S) se préparent pour des législatives anticipées après la démission de Matteo Renzi. L’ancien chef du gouvernement est convaincu de pouvoir rebondir après l’échec de son référendum pour modifier la Constitution. Il aimerait aller vite, mais un accord doit encore être trouvé sur la loi électorale, ce qui n’est pas joué. Elle a gagné l’Allemagne ou le parti eurosceptique et anti migrants Alternative pour l’Allemagne (AfD) est devenu un problème pour Angela Merkel, candidate pour un quatrième mandat et fragilisée en cette année d’élections fédérales par la grogne de la CSU, le parti frère bavarois de la CDU, contre sa politique d’immigration.
« Jamais l’Europe n’a connu autant de crises et jamais elle n’a été aussi fragilisée ». A ce constat dressé par l’entourage de François Hollande répond la préoccupation de la Commission européenne. « La France est très affaiblie », déplore un proche de Jean-Claude Juncker. Sans une France solide, l’Union est déséquilibrée. Car contrairement aux idées répandues en France, Hollande et Merkel se sont montrés complémentaires dans la gestion de la crise grecque et face à la Russie après l’annexion de la Crimée. Les deux dirigeants se sont en revanche manqués pendant l’exode des réfugiés syriens. A la générosité montrée par l’Allemagne la France a répondu par la pusillanimité, par peur de son extrême droite, contraignant Angela Merkel a renoncer à forcer une répartition obligatoire des réfugiés. L’Union s’est rompue sur la solidarité. L’Europe reste une terre d’asile, mais elle n’est plus une terre d’accueil.
Il faut sauver l’Europe est devenu un leitmotiv. L’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine en a fait le titre d’un essai politique. Il s’est fait étriller par le quotidien suisse le Temps qui rappelle sa responsabilité dans l’affaiblissement des institutions européennes, totalement soumises aux Etats. « L’Europe a été minée par la volonté déterminée des Etats de ne rien mettre en commun de ce qu’ils tenaient pour essentiel, ou de le faire mal dans le cas de l’euro », assène le quotidien.
Le Royaume Uni sur le départ, la France affaiblie, l’Italie dans le brouillard : Angela Merkel reste seule face à Vladimir Poutine et à Donald Trump, alliés dans leur volonté de briser les reins d’une Union européenne devenue encombrante car économiquement puissante. Tout ce qui peut affaiblir la capacité de l’UE de négocier des traité, de défendre ses marchés et de forger des coalitions doit être combattu, ce à quoi s’emploient avec zèle les mouvements europhobes. Poutine et Trump ont trouvé leurs assassins et ils les cajolent. La France hors de l’UE, c’est la fin de l’UE.
L’Union peut se ressaisir. Elle le doit. Mais pour réussir, elle doit réapprendre à parler aux citoyens et les convaincre de son utilité pour les pousser à élire des dirigeants engagés à la défendre et à la renforcer.
« L’Europe est économiquement forte aujourd’hui, mais ce ne sera pas éternel. D’ici 10 à 20 ans, elle ne sera plus un très grand acteur global. A la fin du siècle, nous représenterons 4 % de la population mondiale. L’heure n’est plus au compartimentage national mais à l’unité et donc à l’Union Européenne », met en garde Jean-Claude Juncker. Mais qui écoute encore la voix de Bruxelles ?