L’Europe colmate les fuites
Une belle cérémonie sous le soleil de Rome, de mâles paroles et quelques traits d’humour. Mais les sourires affichés sur la photo de la famille européenne cachent mal le sentiment de malaise ressenti pendant le sommet organisé pour le soixantième anniversaire du traité fondateur. L’Europe colmate les fuites, mais ne parvient pas à se relancer, faute de capitaine et d’un cap pour l’avenir.
Une image résume ce sentiment : les doigts de Jean-Claude Juncker tâchés par l’encre du vieux stylo utilisé il y a soixante ans et ressorti de son écrin pour l’occasion. Comme lui, l’Europe fuit. Pour la première fois de son histoire, elle va perdre un de ses membres. Le Royaume Uni a décidé de rompre les ponts le 29 mars, mécontent d’une Union à laquelle il n’a jamais vraiment adhéré. L’encre des signatures apposées sur la déclaration de Rome aura à peine séché quand la lettre de rupture sera remise aux présidents des institutions de l’Union européenne. Elle était attendue plus tôt, mais Theresa May a choisi de jouer les trouble fêtes jusqu’au bout, et elle a réussi.
Tous les dirigeants présents à Rome avaient à l’esprit la difficile négociation qui va commencer avec Londres et tous étaient soucieux d’éviter d’autres départs au cours des deux prochaines années. Le texte de la déclaration de Rome reflète cette peur. «Il est le reflet des divisions » soulignent les quotidiens italiens Il Sole 24 Ore et La Stampa. « Le grand saut en avant impose la suppression du droit de veto », soutient Il Sole. «Mais personne n’a le courage ni les soutiens pour agir de manière radicale », déplore la Stampa.
La Pologne a joué sur ces peurs et ces divisions. La déclaration de Rome revient de très loin, raconte La Croix. Rome devait lancer l’Europe à plusieurs vitesses, mais la menace de Varsovie de ne pas la signer a conduit à la formulation alambiquée retenue : « Nous agirons de concert, si nécessaire à des rythmes différents et avec une intensité différente, tout en avançant dans la même direction, comme nous l’avons fait par le passé, conformément aux traités et en laissant la porte ouverte à ceux qui souhaitent se joindre à nous plus tard ». Le principe d’une Europe à plusieurs vitesses est entériné, assurent les signataires de la déclaration. Mais dans les faits, rien ne va changer. L’Europe fonctionne déjà à plusieurs vitesses. Il y a l’Europe de l’Euro, avec 19 des 27 Etats membres, celle de Schengen avec 22, et il y a l’Europe des coopérations renforcées, avec ses règles très strictes : au moins neuf participants et l’accord de tous les membres de l’Union. Toutes ces déclinaisons de l’Europe ont montré leurs limites et créé le désenchantement. « L’Europe a fêté ses soixante ans, mais elle n’est pas sure de faire encore beaucoup rêver », a commenté le quotidien suisse Le Temps.