L’Europe en marche
Le sourire dents du bonheur affiché par Emmanuel Macron le soir de sa victoire a rendu le sien à Angela Merkel et a réchauffé les vieux os de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. La vague populiste s’est brisée sur la France. L’Europe va pouvoir se mettre en marche. Mais attention, a averti la chancelière : « le charme ne durera que s’il y a des résultats à la clef ».
Les Européens se reprennent à rêver au retour de l’âge d’or, quand Kohl, Mitterrand et Delors inventaient l’Union. « La conjonction est similaire », soutient un haut responsable bruxellois. « La Commission Junker va pouvoir avancer de nouvelles propositions au cours des derniers dix-huit mois de son mandat », assure-t-il. Jean-Claude Juncker a connu cet âge d’or et rien ne lui ferait plus plaisir que de pouvoir transmettre à son successeur une Europe accomplie, devenue puissance.
Emmanuel Macron porte beaucoup d’espoirs. Il a été élu et bien élu en brandissant haut les couleurs de l’Europe et depuis dimanche il dispose d’une réelle majorité. « Pour l’instant, il est le seul dans l’Union », souligne le responsable bruxellois. « Il faut attendre les élections en septembre pour savoir comment Angela Merkel va pouvoir gouverner , explique-t-il.
Saluée en Europe, sa victoire fait grincer en France. Mais aux pisse-froid qui s’interrogent sur les pleins pouvoirs, Jean-Louis Debré, figure de la droite, a apporté une réponse cinglante. « Je n’ai pas entendu cela en 1968 ni en 1993, quand le RPR et l’UDF avaient plus de 400 élus. Ce sont des arguments qu’on utilise quand on est en perdition et qu’on veut cacher le fait qu’on a pas de discours politique », rappelle l’ancien président du Conseil constitutionnel. Quant aux Socialistes, ils avaient obtenu il y a cinq ans la majorité à l’Assemblée et au Sénat, contrairement à Emmanuel Macron qui va devoir composer avec une seconde chambre du Parlement majoritairement à droite.
Emmanuel Macron saura-t-il mener les difficiles réformes demandées par ses partenaires européens pour restaurer la crédibilité de la France ? « Je lui fait pleine confiance. Il sait ce qu’il doit faire », assure Angela Merkel. A Bruxelles, l’équipe Juncker est convaincue que oui et assure qu’elle fera son possible pour l’aider, notamment pour l’obligation de ramener le déficit à 3 % du PIB. Le jeune président va, lui, devoir démontrer qu’il sait écouter et négocier pour éviter de devoir affronter la rue, comme le promettent ses adversaires « insoumis ».
« La France est décisive » , soutient l’ancien chef du gouvernement italien Enrico Letta, président de l’Institut Jacques Delors . « L’Europe a vécu une longue phase de domination allemande et ce n’était pas bien, car cette « union de minorités » ne peut accepter quelqu’un qui commande pour les autres », explique-t-il. « La France est de retour et est en mesure de rééquilibrer la situation. C’est une opportunité et j’espère que l’Italie jouera aussi son rôle », ajoute-t-il.
Matteo Renzi a fait du mot d’ordre « En Marche » son moto et il espère reprendre les commandes du pouvoir. « La décision de reporter l’organisation des élections à 2018 en Italie est une bonne chose. Ce délai va permettre de terminer la restructuration du système bancaire et de régler le problème posé par Monte di Paschi di Sienna, car c’est une des banques systémiques du pays», commente le responsable bruxellois.
La révolution Macron en France porte beaucoup d’enseignements pour les Européens. Sa victoire et celle de ses candidats députés, dont la plupart sont, comme lui, novices en politique, marque « la fin des politiciens de profession », se félicite Enrico Letta. « Les temps ont changé pour les partis politiques traditionnels et leurs politiciens qui faisaient carrière hors de la vie normale », estime-t-il.
Elle montre également que « face à des propositions concrètes, la vague populiste retombe ». « Les Français ont tranché de façon nette sur la base de propositions claires », souligne-t-il. Au second tour , les électeurs avaient le choix entre Emmanuel Macron, qui a fait campagne en brandissant le drapeau européen et Marine Le Pen, qui réclamait la sortie de l’Europe.
« C’est une chance pour l’Europe et il ne faut pas la gâcher, car je pense que c’est la dernière », avertit cet Européen convaincu.
Si l’Europe a passé la tempête populiste qui a menacé de l’emporter, « ce n’est pas fini », insiste-t-il. « Ce que nous avons fait jusqu’à présent en Europe n’est pas parfait. Il reste plein de problèmes », explique-t-il. « L’Euro doit devenir synonyme de croissance, pas d’austérité et de chômage », précise-t-il . Mais surtout, les citoyens attendent rapidement des actes concrets pour leur sécurité, leurs emplois, leur protection dans un monde qui a brutalement changé depuis l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis.
Le Brexit n’est plus devenu un enjeu de survie pour l’Union européenne. Le divorce va commencer à se négocier le 19 juin, mais les Brexiters ont perdu. Thérésa May ne sait pas si elle sera encore longtemps aux commandes au 10 Downing Street, mais le résultat risque fort d’être ravageur pour les partisans de la sortie du Royaume Uni, surtout si la relation future avec l’UE est similaire au statut de la Norvège, qui contribue au budget européen, accepte les règles européennes, mais n’a pas voix au chapitre.
L’Amérique de Donald Trump en revanche inquiète, même si certains iconoclastes y voient un bienfait pour l’Union européenne. Donald Trump ne comprend par l’UE et, acharné à détruire les legs de Barack Obama, il s’est aliéné les alliés les plus fiables des Etats-Unis lors de sa visite à Bruxelles pour une visite du nouveau siège de l’Otan.
« Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont révolus », a averti la chancelière. Les Etats-Unis ne sont plus un partenaire fiable pour les Européens. Il vont devoir lutter eux mêmes pour leur avenir et leur destin. Pour cela, Angela Merkel a besoin d’une France forte et Européenne, capable de rallier les autres pays. Le premier conseil des ministres franco-allemand est prévu en juillet. Des décisions sont promises. Terrorisme, défense européenne, budget et ministre de la zone euro, travailleurs détachés, fiscalité, les sujets ne manquent pas, mais certains sont encore sujets de désaccords entre les deux pays. « C’est de la symbiose que naît le compromis ». Angela Merkel voudra toujours avoir le mot de la fin