Migrations : L’accord baudruche
« J’attends des actes ». Le patron de la Lega Matteo Salvini n’est pas dupe. L’accord adopté au forceps par les dirigeants de l’Union européenne dans la nuit du 28 au 29 juin est sur le papier un plan d’actions efficaces pour bloquer les passages illégaux de migrants. Problème, il est très virtuel car aucun des signataires n’a la même lecture des engagements souscrits.
« Comediante, tragediante ». Le chef du gouvernement italien Giuseppe Conte a multiplié les rôles au cours de ce sommet. Il a reconnu avoir été pénible en bloquant les premières conclusions sur la Défense et le Commerce, contrarié de voir ses pairs tarder à lancer la discussion sur les migrations. «Certains nouveaux venus ne connaissaient pas nos méthodes de travail », a grincé la présidente lituanienne Dalia Grybauskaité. Mais au final, son mentor, Matteo Salvini, s’est dit « satisfait à 60% ».
L’accord prévoit des centres de débarquement sur les côtes des pays d’Afrique du Nord et des centres contrôlés sur le territoire de l’Union européenne pour enregistrer les arrivants, séparer ceux qui peuvent bénéficier d’une protection et ceux qui doivent être renvoyés, organiser la répartition des demandeurs d’asile et les retours des recalés dans les pays d’origine.
Solidarité et mutualisation sont les maîtres mots de ce compromis. Tout cela sur une base volontaire. Rien n’est plus imposé. Oubliés les quotas réclamés par la Chancelière Angela Merkel au plus fort de la crise de 2015 qui ont fracturé l’Union européenne. Générosité et humanité ont été remisées. L’Europe forteresse complète ses défenses. L’accord avec la Turquie en mars 2016 a permis de fermer les frontières orientales en Grèce et en Bulgarie, ceux conclus avec les milices et le pouvoir en Libye en 2017 de mieux contrôler les passages au sud. Les résultats sont probants : moins de 50.000 arrivées cumulées en Italie, en Grèce et en Espagne en juin 2018.
Mais le mal était fait. Jouant sur les peurs, l’extrême droite est arrivée au pouvoir en Italie et en Autriche, en Bulgarie et en Finlande. Ses faces sont multiples : populiste, souverainiste, eurosceptique voir europhobe, parfois ouvertement raciste et xénophobe. Elle siège au Parlement européen avec un groupe, L’Europe des Nations et des Libertés, et certains partis conservateurs comme la CSU allemande épousent sans complexes ses positions sur les migrations.
L’Italien Matteo Salvini est celui du groupe qui a le mieux réussi. Vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur, il est le vrai patron du gouvernement italien. Grande gueule , roublard, il communique via les réseaux sociaux comme l’Américain Donald Trump. Pas besoins d’équipe, il fonctionne seul et contrôle le président du Conseil, que les autres dirigeants de l’UE s’acharnent à considérer comme l’un des leurs. Giuseppe Conte n’a cessé de se référer à lui durant sa conférence de presse vendredi à la fin du sommet, démontrant à qui ne voulait pas le croire que le ministre de l’Intérieur menait la négociation.
Une tragi-comédie en trois actes s’est jouée entre jeudi et vendredi à Bruxelles. Le premier plein de rebondissements et de moments de tensions s’est terminé aux petites heures de la matinée de vendredi avec l’annonce d’un accord. Soulagement général et coup de massue pour les ONG. Leurs navires opérant en Méditerranée sont sommés de « respecter les lois applicables et de ne pas obstruer les opérations des garde-côtes libyens ».
Le second acte a été le triomphe des quatre pays du groupe de Visegrad –Hongrie, Pologne, République Tchèque et Slovaquie– et de leur leader,le Hongrois Viktor Orban. L’accord sonne en effet le glas de la solidarité imposée contre laquelle ils se sont battus. Le président du Conseil, le Polonais Donald Tusk leur avait donné raison contre la Commission européenne, petite main de la chancelière dans cette affaire. Il lui ont donné le coup de grâce dans la nuit de jeudi à vendredi. « Il est clair que la relocalisation des migrants ne pourra pas s’effectuer sans l’accord préalable et le consentement des pays concernés. Ainsi la Hongrie restera un pays hongrois et ne deviendra pas un pays de migrants », s’est félicité Viktor Orban.
Le troisième acte a été une pantalonnade. Emmanuel Macron s’est renié avec une lecture toute personnelle de l’accord, ce qui lui a valu un soufflet de l’Italien Giuseppe Conte. Le chef de Etat a affirmé les centres d’accueil devaient être installés dans les pays en première ligne. Faux a lancé l’Italien. « Macron devait être fatigué. Je l’invite à relire l’article 6 des conclusions. Il est nulle part écrit que les centres d’accueil en Europe doivent être dans des pays déterminés », a-t-il souligné. De fait, l’article 6 fait mention de « centres établis dans des Etats membres, uniquement sur une base volontaire ». Le président français a alors annoncé la couleur : la France n’ouvrira pas de centre d’accueil sur son territoire. Cascade de prises de position dans le même sens. Au final, aucun pays n’ouvrira de tels centres. De l’autre côté de la Méditerranée, même refus pour les plates-formes de débarquements. Rideau. L’accord s’est dégonflé comme une baudruche.
Emmanuel Macron aurait pu prendre le rôle de leader abandonné par Angela Merkel, fatiguée par treize années de pouvoir et minée par les dissensions au sein de sa coalition. Le chef de l’Etat aurait pu annoncer que la France, pays Méditerranéen, allait donner l’exemple de la solidarité européenne et ouvrir un centre. Mais il a préféré quitter Bruxelles sur de grandes tirades verbeuses. Pourquoi ? « C’est précisément ce que Salvini voulait », m’a confié un responsable français.
L’épilogue de cette tragi-comédie n’est pas écrit. Matteo Salvini en a toutefois rédigé les premières lignes et il risque d’être tragique avec sa décision de fermer les ports italiens aux navires des ONG pendant tout l’été. « Les ONG verront l’Italie seulement en carte postale », a-t-il fanfaronné. Or l’été est la période des traversées et des drames, car la mer est traîtresse. « Quand les gens ont faim, rien ne les empêchera de tenter de passer », a averti la cheffe de la diplomatie européenne, l’Italienne Federica Mogherini.