Stupeur et tremblements
Les dirigeants de l’Union ne se font plus guère d’illusions . La séparation avec le Royaume Uni le 30 mars 2019 sera acrimonieuse. Ils se sont préparés à cette éventualité. Plus préoccupante en revanche est la chute libre d’Emmanuel Macron. Tout le monde se posait la même question lors du dernier sommet européen de l’année: saura-t-il regagner la confiance des français ? r
Il est difficile de lutter contre les chimères. Lorsqu’ils ont accepté de recevoir Theresa May pour un entretien consacré au Brexit au début du sommet des 13 et 14 décembre, ses homologues de l’UE attendaient de bonnes nouvelles et étaient prêts à l’aider. Las, lorsque le Premier Ministre britannique a pris la parole, ils ont compris que rien n’avait changé de l’autre côté de la Manche.
Tous espéraient l’annonce de contacts avec son opposition pour tenter de constituer une majorité. Il n’en a rien été. Theresa May leur a demandé de renégocier l’accord de retrait avalisé le 25 novembre.
Un vrai brouillard est tombé sur la salle du Conseil européen et l’agacement le disputait à la consternation lorsque Theresa May a évoqué « l’esprit de Noël » pour convaincre le Parlement britannique d’accepter l’accord lors du vote qui doit avoir lieu avant le 21 janvier 2019, deux mois avant le prononcé du divorce.
« Nébuleux », a résumé le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker . Etrillée par les média britanniques, Theresa May était blême de rage lorsqu’elle l’a interpellé le lendemain, avant le début de la deuxième partie du sommet. La scène a été filmée et les spécialistes se sont livrés à un exercice de lecture labiale pour confirmer que le jugement « nébuleux » avait été très mal digéré à Londres. Donald Tusk, le président du Conseil européen, a assuré que tout le monde avait traité Theresa May avec «beaucoup de respect » et avait « plus d’empathie envers elle qu’envers certains députés britanniques ».
Mais la réponse des 27 n’a pas varié d’un iota : « personne n’est d’accord pour rouvrir l’accord de retrait sous quelque forme que ce soit ». Et contrairement à ce que Theresa May a déclaré lors de sa conférence de presse avant de quitter Bruxelles, aucune nouvelle discussion avec les institutions européennes n’a été programmée avant le vote du Parlement de Londres. Jean-Claude Juncker l’a dit sous forme de pirouette : « je ne suis pas à Bruxelles à Noël ». Ses services ont pour leur part expliqué que « tout a été dit à Theresa May » et qu’aucun mandat n’ a été donné pour discuter avec les Britanniques.
Le jeu du « je te tiens tu me tiens par la barbichette » se poursuit. Les 27 font monter la pression avec la publication des mesures préparées pour absorber le choc d’un divorce sans accord, ils laissent publier les prédictions sur les catastrophes qui menacent les Britanniques si telle est leur décision … et ils attendent.
Leurs soucis sont ailleurs.
L’Union craque. La gestion des migrations a viré à la dispute et l’idée de larguer certains pays fait son chemin. « Le refus de manière entêtée par certains d’accepter un minimum de solidarité ouvre le débat sur leur maintien dans la zone Schengen » l’espace de libre circulation, a lancé le Premier ministre libéral belge Charles Michel.
Pour le moment, ce ne sont que des mots. Charles Michel dirige un gouvernement devenu minoritaire depuis le départ des identitaires flamands de la NV-A, opposés à la signature du Pacte de l’ONU pour les migrations par la Belgique.
Comme lui, la plupart des dirigeants de l’UE sont affaiblis. Le sommet de décembre ressemblait plus à une infirmerie qu’à un centre de pouvoir. L’Allemande Angela Merkel n’est plus la chancelière d’antan. Elle a perdu le soutien de son parti au Bundestag et elle a du céder la présidence de la CDU. L’élection de sa dauphine Annegret Kramp-Karrenbauer permet une certaine continuité, mais pour combien de temps ? L’hypothèse de nouvelles élections en Allemagne taraude les esprits.
Mais le plus meurtri de tous était le chef de l’État français. Emmanuel Macron n’a pas su prendre la mesure du mécontentement incarné par le mouvement des « gilets jaunes ». Aujourd’hui 77 % des Français se disent mécontents de son action, mais ce qui le choque le plus, c’est la haine nourrie contre lui .
Il devrait lire le philosophe et homme politique italien Massimo Cacciari. Sa réflexion sur le troisième suicide européen est pleine d’enseignements.
L’Italie a fait toutes les erreurs que sont en train de commettre Emmanuel Macron et son prédécesseur François Hollande : mépriser les laissés pour compte de la mondialisation, ignorer leurs peurs et leur mal être.
« Nous avons été les bons élèves de l’Europe mais nous avons oublié d’écouter ce que demandaient nos concitoyens ». L’ancien Président du Conseil Romano Prodi a laissé ce mea culpa à ses successeurs. Il n’a pas été écouté par les dirigeants des grandes familles politiques. L’Italie est aujourd’hui gouvernée par un duo formé par un dirigeant d’extrême droite et par le « grillon » d’un ancien comique devenu gourou d’un mouvement populiste. Les media, accusés d’être à la solde de la caste des élites qu’ils haïssent, sont court-circuités. La communication se fait sur les réseaux sociaux, à coups de slogans et de mensonges. Personne ne parvient à contrer cette propagande devenue une menace mortelle pour les démocraties.
« Emmanuel Macron saura-t-il regagner la confiance des Français ? J’en doute. Il faudrait pour cela qu’il abandonne son mode de présider jupitérien», m’a confié un responsable européen pendant le sommet.
Un président français affaibli est mauvais pour l’Europe car il ne peut attendre aucune clémence de ses adversaires. Or Emmanuel Macron a peu de soutiens dans l’Union européenne. Les résultats du Sommet l’ont montré. Même ses amis lui font la leçon. Ils attendent tous de savoir comment le gouvernement français va financer les quelque onze milliards d’euros lâchés pour tenter de calmer les « gilets jaunes » et s’il va éviter un nouveau dérapage du déficit budgétaire .
« On ne peut pas dire aujourd’hui on distribue et après moi le déluge. Un politique ne doit pas penser qu’aux prochaines élections, mais aussi aux prochaines générations ». La petite phrase de Xavier Bettel a fait grand bruit dans le landerneau macronien. Car le Premier ministre du Luxembourg est considéré comme un ami par le Chef de l’Etat.
Emmanuel Macron doit impérativement redescendre de son Olympe ou l’Elysée sera son enfer