Brexit : la métaphore du dentifrice
Deux ans après avoir lancé la procédure, les Britanniques ne savent toujours pas comment gérer leur sortie. Leurs anciens partenaires de l’UE ne veulent pas porter la responsabilité d’un mauvais divorce et la séparation s’annonce interminable.
« Le Brexit, c’est comme la pâte dentifrice. Vous la sortez facilement, mais pour la remettre dans le tube, c’est très compliqué ». Briscard de la politique européenne, Jean Asselborn, le chef de la diplomatie du Luxembourg, est un homme facétieux avec un talent pour la formule.
Son image du tube de dentifrice illustre le résultat du référendum du 23 juin 2016. Les chefs de file du Brexit, Boris Johnson, Nigel Farage et Jacob Rees-Mogg ne subiront pas les conséquences de leur haine pour l’Europe. Mais leurs compatriotes commencent à réaliser les menaces que fait peser le départ de leur pays pour leurs emplois, pour leurs déplacements et même pour leur vie de tous les jours.
Programmée pour le 29 mars 2019, la sortie du Royaume Unie a été reportée une première fois au 12 avril pour permettre à Theresa May de faire adopter l’accord de divorce, un pavé de 600 pages, négocié avec les Européens. Par trois fois la Première ministre a été mise en échec à la Chambre des communes et elle revient penaude le 10 avril devant les dirigeants de l’Union pour quémander un nouveau report au 30 juin, la limite avant l’entrée en fonction du nouveau Parlement européen dont le Royaume Uni ne veut plus entendre parler.
Elle va l’obtenir, mais pour cela, elle est contrainte de s’humilier dans des négociations avec son pire adversaire, le dirigeant du Labour Jeremy Corbyn, « un communiste » pour nombre de Tories. Elle va devoir en outre accepter les conditions imposées par les Européens, ulcérés par les prises de positions des durs du parti conservateur menés par Jacob Ress-Mogg.
Aucun de ses interlocuteurs de l’UE ne la juge capable de trouver un accord avec Jeremy Corbyn avant le 22 mai, la date butoir pour tenir sa promesse de ne pas appeler les Britanniques aux urnes le 23 mai pour élire leurs députés européens. D’autant que cette date du 22 mai est jugée trop proche des Européennes, et certains dirigeants de l’UE vont demander à ce que le couperet soit avancé pour éviter de parasiter la consultation dans les 27 autres pays.
« Le No deal (le divorce sans accord) ne sera jamais la décision de l’UE », a affirmé son négociateur, le Français Michel Barnier, à la veille du sommet. « La demande d’extension doit être utile pour donner plus de temps, si nécessaire, afin de réussir à construire la majorité pour faire approuver l’accord de sortie », a-t-il expliqué depuis Luxembourg à l’issue d’une réunion préparatoire au nouveau sommet du Brexit avec les ministres des Affaires européennes des 27.
Pragmatiques, les Européens vont accepter ce nouveau délai. Même si cela déplaît à certains pays, notamment la France, aucun Etat membre ne bloquera la nouvelle requête britannique car il s’agit de maintenir l’unité de l’UE. Theresa May s’est rendue à Berlin et à Paris pour plaider sa cause et expliquer comment elle compte négocier avec Jeremy Corbyn.
Michel Barnier lui a un peu forcé la main. « Theresa May a engagé des négociations avec le labour pour aboutir à un accord. Le Labour souhaite une Union Douanière entre le Royaume Uni et l’UE. Nous sommes prêts à modifier la déclaration politique en ce sens. Quelques heures peuvent suffire », a-t-il lancé.
Union Douanière. L’idée fait bondir les Brexiters, qui hurlent à la vassalisation du Royaume Uni. Jusqu’à présent, l’argument portait. Mais les Britanniques commencent à se lasser de ces imprécations dont ils ont compris qu’elles ne menaient à rien de bon pour eux.
L’UE ne fera rien pour imposer un divorce dur au Royaume Uni, mais elle ne l’empêchera pas si telle est la décision des Britanniques. Nigel Farage comme Jacob Rees-Mogg le réclament. Les Britanniques sont en revanche de plus en plus circonspects.
S’il faut plus de temps encore à Theresa May pour arracher enfin une ratification de l’accord, les Européens sont prêts à le donner. « Nous devons donner toutes les dernières chances pour permettre au Royaume Uni de quitter l’UE de manière ordonnée, s’il confirme que telle est sa décision », a insisté Michel Barnier. Un délai de neuf à douze mois est envisagé, jusqu’au 31 mars 2020. La France ne refusera pas, assure-t-on de sources européennes. Mais elle va défendre une périodicité trimestrielle pour vérifier si Londres respecte ses engagements. Elle veut également des conditions. Elles seront draconiennes.
Le Royaume Uni devra élire ses députés européens le 23 mai. L’idée plaît beaucoup aux sociaux démocrates, car le contingent d’élus du Labour, qui pourrait être conséquent, renforcera leur groupe au Parlement face aux conservateurs du PPE, qui eux, ne gagneront rien. Les Tories font groupe à part depuis bien des législatures. Les élus britanniques peuvent ainsi permettre de rétablir l’équilibre entre les deux grandes familles politiques pour le début de la législature.
Pas question en revanche que le Royaume Uni puisse interférer dans la désignation du successeur de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne. Londres a par le passé opposé à deux reprises son veto à la nomination de candidats belges, jugés trop fédéralistes. Il ne devra pas non plus prendre part aux négociations sur le nouveau budget pluriannuel pour la période 2021-2027.
Les prises de position de Jacob Rees-Mogg ont facilité cette sévérité. Le Brexiter a recommandé de « se monter aussi difficiles que possible en cas de report sur une longue période, en bloquant toute hausse du budget européen, en s’opposant à toute tentative de créer une armée européenne et en ruinant les visées intégrationnistes de Macron ». Tout cela, les Britanniques l’ont fait pendant 44 ans, en étant membre de l’UE. Mais maintenant qu’ils ont décidé de partir, pas question de les laisser continuer à paralyser l’UE. La France sera intraitable sur ce point. Le bouledogue britannique doit être tenu en laisse courte jusqu’à son départ .
Autre conséquence de la tragi-comédie britannique : les autres europhobes ne parlent plus de faire sortir leurs pays de l’Union européenne. Ils ont changé leur stratégie et préfèrent désormais rester dans « le tube » de l’UE pour, explique leur chef de file, l’Italien Matteo Salvini, « devenir une force de gouvernement et de changement en Europe ».