Les douze travaux d’Ursula
Première présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen est aussi la plus mal élue, et son mandat s’annonce difficile. Elle a beaucoup promis et va devoir démontrer très vite, en trois mois, ce dont elle est capable.Sa première tâche sera de vaincre la défiance manifestée à son égard au Parlement européen. Sa décision de forcer l’élection a été risquée. « Si elle n’était pas passée, on avait une énorme crise institutionnelle en Europe », a reconnu le représentant d’un grand état membre à Bruxelles.
« Il n’ y avait pas d’alternative », a-t-il confié. « Angela Merkel aurait rompu la grande coalition avec le SPD et cela aurait entrainé de nouvelle élections en Allemagne », a-t-il souligné. « Et il aurait fallu trouver en un mois une femme membre du Parti Populaire européen qui ne soit ni Française, après la nomination de Christine Lagarde à la Banque Centrale Européenne, ni Belge à cause de Charles Michel, choisi pour la présidence du Conseil, ni Espagnole à cause de Josep Borrell, désigné pour être le nouveau Haut représentant pour la diplomatie européenne », a-t-il expliqué.
« Il s’en est fallu de peu », a-t-il admis. En fait, son élection s’est jouée à dix voix. Elle devait rallier 374 votes en faveur. Elle en a obtenu 383, et ce grâce aux voix des ultra-conservateurs polonais du PIS (Parti droit et justice) et des élus anti-système italiens du Mouvement 5 étoiles. Pas glorieux comme élection.
Ursula von der Leyen a payé le prix de la déstabilisation de la grande coalition en Allemagne. Les Bavarois de la CSU n’ont pas digéré la manière dont Angela Merkel a acquiescé à l’élimination de leur candidat Manfred Weber, privé des soutiens des groupes socialistes et centriste à la demande de leurs mentors politiques, l’Espagnol Pedro Sanchez et le Français Emmanuel Macron. Et une partie de sa famille, la CDU, ne l’apprécie pas . Elle a voté contre elle ou s’est abstenue. Entre 20 et 40 voix lui ont ainsi manqué au sein du groupe du Parti Populaire Européen, domin par la CDU, selon les confidences d’un de ses responsables.
Le SPD a pour sa part vengé l’élimination par le PPE du Néerlandais Frans Timmermans, le candidat élu par les partis Socialistes pour briguer la présidence de la Commission européenne. Il a entrainé dans sa fronde au moins une quarantaine d’élus du groupe. Quelques dissidents — une dizaine– sont également comptés au sein de Renew Europe, le nouveau groupe libéro-centriste. Mais ses dirigeants soutiennent le contraire.
Les Verts, quatrième force pro-européenne de l’assemblée, auraient pu l’aider à passer l’orage, mais ils ont refusé de la soutenir pour des raisons tactiques. « Elle va revenir vers nous car son élection a montré qu’elle n’avait pas de majorité stable avec seulement trois groupes », soutient le co-président du groupe, le Belge Philippe Lamberts.
Qu’importe la manière, seul le résultat compte. « Elle a obtenu la majorité absolue. Ce n’était pas simple avec un Parlement aussi fragmenté », insistent les représentants des groupes de réflexion pro-européens à Bruxelles. Oubliées les analyses pessimistes sur la faiblesse d’une présidente élue avec moins de 400 voix. La tonalité se doit d’être positive. « Beaucoup de députés n’ont pas voté pour elle pour des raisons qui n’ont rien à voir avec sa personne ou son programme », assurent-ils.
Le premier des travaux d’Ursula sera de forger une majorité pro-européenne. La nouvelle présidente en est consciente. Elle a promis de panser les plaies. « Il doivent mieux me connaitre pour pouvoir me faire confiance », a-t-elle confié lors de sa première conférence de presse. Mais il va lui falloir faire des concessions et parfois dire non. Les Verts exigent quatre commissaires écolo contre leur soutien. Est-ce irréaliste ? Beaucoup le pensent. Mais certains voient dans cette demande l’ouverture d’une négociation.
Pour ce faire, elle doit constituer une équipe de commissaires dignes de confiance, capable d’affronter les auditions et de remporter le vote de confiance du Parlement en octobre. Ce seront ses deuxième et troisième travaux. « Si son assise s’est élargie lors de ce vote, elle aura gagné », veut croire l’ambassadeur européen.
Ce n’est pas acquis. Ursula von der Leyen a promis au Parlement européen la parité absolue dans son collège, soit 13 hommes et 13 femmes, et , comme son prédécesseur, Jean-Claude Juncker, elle a menacé de ne pas accepter certains candidats. L’engagement sera difficile à tenir. Le gouvernement conservateur grec, membre du PPE, comme elle, a ignoré sa demande de soumettre deux candidatures et désigné un homme, l’ancien porte-parole de la Commission, Margaritis Schinas. Fin juillet, quatorze candidats commissaires ont été désignés et seulement quatre sont des femmes. Respecter son engagement de parité sera son quatrième travail. S’ils veulent l’aider, les dirigeants de neuf des treize pays qui n’ont pas communiqué leur décision devront désigner une femme. La France devrait faire ce choix.
L’architecture de la nouvelle commission sera capitale. Tous les Etats doivent y trouver leur compte. Mais beaucoup seront déçus. Le cinquième travail d’Ursula sera de contenter ses mandataires. Tout le monde veut le commerce ou la concurrence, les deux grands portefeuilles avec lesquels se sont illustrées la Suédoise Cecilia Malmström et la Danoise Margrethe Vestager, surnommée la « tax lady » par Donald Trump.
Ursula von der Leyen va également devoir gommer son image de marionnette du duo franco-allemand. Elle leur est redevable de sa nomination et, revers de la médaille, de son élection difficile. Saura-t-elle s’émanciper de la chancelière dont elle a été la fidèle collaboratrice pendant treize années? Saura-t-elle se libérer de l’emprise d’Emmanuel Macron qui se vante de l’avoir imposée ? Ce sera son sixième travail.
Elle a entrepris de sortir de l’ombre de Merkel, explique Die Welt dans un article traduit par le Soir. « Son programme n’est pas celui de la CDU. Il est perçu par le PPE comme tourné vers le centre, ce qui explique la perte d’une partie des votes des élus du groupe », soutient l’ambassadeur européen.
Se débarrasser d’Emmanuel Macron sera plus compliqué. Le président français la couve. Il avait dépêché sa ministre des Affaires européennes Amélie de Montchalin pour suivre son élection à Strasbourg et cette dernière s’est montrée très empressée, collant à la nouvelle présidente comme un coach à son champion. Aucun ministre allemand n’aurait osé faire cela.
« Ursula von der Leyen fait preuve d’indépendance. Je pense qu’elle sera très bien », assure un responsable français. Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecky est plus circonspect. La Pologne est un des gouvernements les plus rétifs aux ambitions affichées par la nouvelle présidente pour lutter contre le réchauffement du climat, gérer le défi posé par les migrations et développer une défense européenne autonome.
Que sera le nouvel exécutif européen? Une commission politique ou une technostructure, un secrétariat général au service des Etats membres et de leur conseil ? Ni l’une ni l’autre, assure-t-elle. Mais Ursula von der Leyen n’a jamais dirigé un gouvernement et lorsqu’elle traversera la rue de la Loi, qui sépare la Commission du Conseil, elle ne sera pas reçue comme un pair, mais comme une subalterne. Son septième travail consistera à s’imposer et à se faire respecter.
Elle veut aller vite. « Elle a promis des choses dans les 100 premiers jours et elle est attendue au tournant », rappelle l’ambassadeur européen. Ce sera son huitième travail. Son programme est public. Les actes vont devoir suivre.
Son neuvième travail devait être le départ de l’embarrassant secrétaire général de la Commission européenne, son compatriote Martin Selmayr. Jean-Claude Juncker, qui lui devait son élection, l’avait affectueusement surnommé « le monstre » pour sa capacité de travail. Le surnom a été conservé par ses détracteurs qui le haïssaient pour sa brutalité dans ses rapports humains.
Pas question d’avoir deux Allemands aux postes de pouvoir de la Commission. Paris ne l’aurait pas accepté. L’idée de le maintenir un temps en fonctions a provoqué une levée de boucliers et braqué les Verts européens.
Martin Selmayr n’a pas attendu d’être remercié. Quelques heures après avoir été lâché par Ursula von der Leyen, il a annoncé à Jean-Claude Juncker sa décision de quitter ses fonctions. Un ballet soigneusement réglé dans le déroulé qui donne le sentiment d’avoir été concerté
Le prix de cet effacement sera sans doute connu un jour. Mais si son départ libère la nouvelle présidente de l’un de ses travaux, il lui complique la tâche. Car Ursula von der Leyen débarque dans un monde inconnu, le Berlaymont, dont elle ne connait ni les codes, ni les coteries, contrairement aux huit commissaires reconduits pour un second mandat.
Frans Timmermans, l’homme aux ambitions contrariées, humilié par le PPE, sera-t-il un allié ou un adversaire ? Saura-t-elle gérer la notoriété de Margrethe Vestager ? Acceptera-t-elle d’être jugée à l’aune de ce qu’aurait fait la Danoise si elle avait été élue à sa place ? Sur qui va-t-elle pouvoir compter dans une maison dont tous les directeurs généraux doivent leur position à Martin Selmayr ? L’un d’eux, une femme, a pleuré lors de l’annonce de son départ.
La nouvelle présidente va devoir le remplacer, compléter sa garde rapprochée et trouver son porte-parole. Ce seront ses dixième, onzième et douzième travaux. Elle décidera sans doute de s’appuyer sur un chef de cabinet fort, comme l’ont fait Jean-Claude Juncker avec Selmayr et, avant lui, Jacques Delors avec Pascal Lamy. Un tel choix la place en position d’arbitre, car les décisions sont préparées par les chefs de cabinets, et lui donne l’autorité sur le collège. Ses premières nominations seront très suivies, car elles seront la marque de sa présidence.