Plan de relance: la charge d’Angela
Les dirigeants de l’Union Européenne veulent un accord sur le plan de relance en juillet. C’est réalisable. Mais ce sera extrêmement difficile. Les blocages sont nombreux. Ils sont politiques et certains sont même idéologiques. Il va falloir du métier et de la force de conviction. Ce sera la dernière charge d’Angela Merkel avant sa retraite
« Nous sommes devant un Rubik cube ». L’image est bien trouvée. Elle s’est imposée vendredi à l’issue du sommet virtuel. Chacun a exposé sa position. Sans surprises, le projet d’emprunt et la proposition de budget pluriannuel élaborés par la Commission européenne sont loin de faire l’unanimité. Les blocages portent sur l’importance de l’emprunt et l’allocation des fonds, sur le financement du budget et les dépenses.
Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a proposé aux Etats membres de garantir une capacité d’emprunt de 750 milliards d’euros sur quatre ans. L’argent sera remboursable sur 30 ans à partir de 2028. 500 milliards seront alloués sous forme de subventions. Les fonds iront aux régions et aux secteurs les plus touchés par la crise provoquée par l’arrêt des activités pour lutter contre la propagation du coronavirus. L’autre partie de l’emprunt, 250 milliards, sera accordée sous forme de prêts à des taux très préférentiels.
Personne ne s’est opposé vendredi à la nécessité d’emprunter. Mais on ne peut pas dire que le projet face consensus. Quatre pays du nord, les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark et la Suède, jugent le volume de l’emprunt trop important et refusent l’idée de « donner » leur argent.
« Nous soutenons pleinement la création d’un fonds de relance d’urgence limité dans le temps. Il doit être d’une taille significative. Mais pas plus importante que celle qui pourrait être utilement absorbée par les États membres dans la situation d’urgence actuelle. Nous voulons qu’il cible ceux qui ont été le plus durement touchés par la crise de Covid-19. Nous pensons que lorsque nous empruntons de l’argent ensemble dans l’UE, la manière fondamentalement saine d’utiliser cet argent est de le convertir en prêts pour ceux qui en ont vraiment besoin, aux meilleures conditions possibles », ont soutenu leurs dirigeants dans une tribune publiée dans le Financial Time. Ils n’ont pas bougé de cette position vendredi.
« Il va falloir de grandes améliorations avant que le budget et le fond de relance soient suffisamment bien”, a averti le Suédois Stefan Lofven.
« La négociation est extrêmement compliquée. Elle est politique, idéologique et porte également sur les chiffres. Le tout sur fond de crise », a confié un participant.
Christine Lagarde, la patronne de la Banque Centrale Européenne (BCE) a mis beaucoup de pression au cours de la réunion en expliquant que les marchés financiers restent calmes car ils attendent un accord.
Tout le monde pousse pour le boucler en juillet, avant la pause de l’été. Charles Michel, le président du Conseil, doit maintenant élaborer une position de compromis en mesure d’être approuvée à l’unanimité.
Il a annoncé son intention de réunir un nouveau sommet à la mi-juillet. Les dates les plus probables sont le 17 et le 18, à cause du 14 juillet en France et du 16 juillet en Espagne. Mais « il ne va pas faire un sommet pour un sommet », avertit son entourage ».
« Il n’y a pas de raison de se presser. Il n’y aura pas de gros dommages si nous ne parvenons pas à un accord à la mi-juillet. C’est bien que d’autres pays mettent la pression, mais nous, nous nous concentrons sur le contenu », a lancé le Néerlandais Mark Rutte.
Nouvelle coquetterie de la part d’un Premier ministre coutumier des fanfaronnades ? Pas seulement. « Il doit le faire approuver par son Parlement avant la fin de l’année, comme tous les dirigeants européens. Sinon impossible d’emprunter, et donc pas de plan de relance. Mais pour lui, ce sera très difficile à vendre après les positions qu’il a affichées », souligne le représentant d’un grand pays européen.
Charles Michel va immédiatement commencer les consultations. Il sait que sa tâche est difficile et qu’un nouvel échec ne lui sera pas pardonné. Il va tester des options et soumettra ses propositions aux Etats membres une dizaine de jours avant le sommet.
La négociation est compliquée, car le plan de relance est adossé au budget pluriannuel, source d’une bataille acharnée. Les positions n’ont pas varié depuis l’échec de février. Les pays du nord veulent des économies sur les dépenses et demandent d’orienter les financements sur les politiques d’avenir. Dans le même temps ils exigent de conserver les rabais sur leurs contributions hérités de l’époque du chèque britannique.
« Aucun sujet n’est facile », souligne un négociateur. Mais « il y a des espaces pour trouver des compromis », signale-t-il.
La proposition de budget soumise par la Commission comporte du gras, « environ 40 milliards », dans lequel il est possible de tailler. Le plan de relance peut également être allégé. La capacité de 250 milliards pour des prêts peut être abandonnée, car « elle risque de ne pas être utilisée ». Mais la France et l’Allemagne seront inflexibles sur le montant de 500 milliards, coeur de leur engagement. Une fois cette ligne rouge signalée, la discussion peut porter sur les critères et les conditions pour l’allocation des fonds.
La clef du plan de relance se trouve dans les nouvelles ressources proposées pour financer le budget. Elle ne sont pas nouvelles. depuis des années les Européens entendent parler des projets de taxe sur les Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple), d’une taxe sur les plastiques non réutilisables, d’une taxe sur les transactions financières et d’une taxe carbone aux frontières. Mais aucune n’a vu le jour . Une autre ressource existe en revanche depuis 2005: les revenus tirées de la vente des droits à polluer échangés via l’ETS où la tonne de CO2 coûte 24 euros.
Un dirigeant peut tourner cette clef: Angela Merkel. La chancelière et ses ministres vont présider l’Union européenne pendant six mois à compter du 1er juillet. Angela Merkel a décidé de se retirer après 15 années de pouvoir et elle rêve d’entrer au Panthéon des grands Européens où trône Helmut Kohl, le mentor qu’elle a renié.
L’idolâterie a commencé en Allemagne. Mais Angela Merkel doit encore gommer son image de dirigeante « plus tacticienne que visionnaire », soucieuse de défendre les intérêts commerciaux de l’Allemagne, sans se préoccuper de ce que cela implique pour l’Europe.
La chancelière a contribué à l’échec du sommet de février en exigeant de conserver le rabais sur sa contribution arraché par l’Allemagne à l’époque du « I want my money back » britannique et en refusant la proposition d’allouer au budget communautaire une partie des revenus tirés des droits à polluer, a raconté un des participants.
Ironie de l’histoire, les revenus de l’ETS ont été prévus lors de l’élaboration du paquet climat de l’UE comme un financement pour la transition énergétique dans l’Union. A l’époque, Angela Merkel était surnommée « la chancelière verte ». C’était avant que l’Allemagne ne comprenne que cette mesure allait coûter très cher a son industrie, car l’abandon du nucléaire a relancé le charbon, très polluant, pour produire l’énergie.
Sa compatriote Ursula von der Leyen a élaboré un plan de relance avec un emprunt dont le remboursement sera assuré par les nouvelles ressources propres. « Sinon il faudra augmenter les contributions nationales ou réduire les financements pour certaines politiques ». Elle a baptisé son plan « NextGenerationEU », parce qu’il est conçu pour la jeune génération, celle qui devra le rembourser.
Charles Michel tient sa revanche. La responsabilité de sauver l’Europe vient de passer sur les épaules d’Angela.