Brexit: Le prix de la divergence
Boris Johnson a tranché. Il veut un accord commercial avec l’UE pour amortir le choc du Brexit. C’est la bonne nouvelle du mois d’octobre, après neuf mois de déceptions. Cela peut se faire, mais ce n’est pas acquis, et certainement pas en trois jours. Le Premier ministre britannique n’inspire aucune confiance et les Européens veulent se protéger contre ses foucades. Ils exigent des mesures compensatoires si Londres ne veut pas respecter les règles du jeu du grand marché.Michel Barnier, le négociateur de l’UE, est revenu dans une zone de confort. Les dirigeants européens lui ont renouvelé leur plein soutien. Son mandat est clair et les Britanniques ont perdu au bluff.
Mais il n’est pas certain d’aboutir. Les discussions ont repris le 22 octobre à Londres après quatre jours de postures et de jeu de rôle de la part de Johnson, et elles vont se poursuivre à Bruxelles jusqu’au 31 octobre. « Une évaluation sera faite dimanche. Soit il y a la base pour un accord, sous réserve de le finaliser, soit il y a des blocages sur des sujets devenus politiques et il faudra décider si et comment continuer », explique un négociateur européen.
Les trois points durs sont identifiés: le respect des règles du jeu pour accéder au grand marché, la gouvernance et la pêche. Et pour le moment les Britanniques n’ont fait aucun mouvement pour donner envie aux Européens de bouger. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a reconnu jeudi que les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous. « Nous progressons bien, mais sur les deux questions essentielles que sont l’égalité des conditions de concurrence et la pêche dans cette région, nous aimerions voir davantage de progrès », a-t-elle souligné.
Des solutions sont sur la table. Il faut trouver l’entente, donc « faire des concessions de part et d’autre ». Angela Merkel a été très claire sur ce point lors du dernier sommet européen.
Le message passe difficilement en France et au Royaume Uni. Emmanuel Macron comme Boris Johnson sont en difficultés sur le plan intérieur et ils ne peuvent, ni l’un ni l’autre, accepter une défaite sur la pêche, devenu « le sujet emblématique » des négociations.
Johnson a fait de la reprise des eaux britanniques l’illustration de la souveraineté recouvrée. La Commission serait prête à céder. Mais le Président français refuse l’éviction des pêcheurs français de la mer du nord. Ce serait vécu comme un revers et un abandon. Ce serait surtout le signal donné que l’on peut lâcher sur d’autres secteurs d’activités et permettre de quitter l’UE victorieux. Impensable pour Emmanuel Macron. La France rejettera un tel l’accord, avertissent ses conseillers.
Un compromis est possible. Rien ne peut rester en l’état. On le reconnait à Paris. Il faudra « réduire la voilure « , faire des concessions, reconvertir ou déplacer des navires engagés dans la pêche hauturière, indemniser. Des solutions sont étudiées. Les pêcheurs britanniques vont perdre leurs accès dans les eaux de l’Union, des quotas peuvent être échangés. Le rapport devra être équilibré et le narratif sera essentiel pour cette partie de l’accord. Pour le moment, « on n’y est pas », assure un responsable européen.
Le vrai sujet d’inquiétude, partagé par tous les membres de l’UE, est la volonté des Britanniques de ne pas respecter les règles et les normes et de donner des avantages déloyaux à leurs entreprises.
« Le Royaume Uni est totalement souverain, mais il doit respecter notre propre autonomie. Il quitte l’Union européenne le 31 décembre 2020. Les autorités britanniques ont le droit de choisir de diverger sur les normes environnementales et sociales, mais elles doivent accepter les conséquences pour l’accès au marché intérieur », a averti le président du Conseil Charles Michel.
L’Union propose au Royaume Uni un accord de libre échange inédit: zéro quota,zéro tarif. Les Britanniques répondent merci, mais nous voulons un accord de libre échange comme celui conclu avec le Canada, sinon nous nous en tiendront à un accord comme celui de l’Australie.
Jeux de mots. L’Australie n’a pas d’accord avec l’UE et les échanges sont régis par les règles de l’Organisation mondiale du commerce. Parler d’accord australien, c’est revendiquer un « no deal ». L’Accord avec le Canada, lui, n’est pas transposable pour le Royaume Uni, dont le marché est intégrés à celui de l’UE.
La clef pour créer une relation du troisième type est la confiance. Or elle s’est abîmée avec la remise en question de l’accord de divorce par le Premier ministre britannique. Le « cirque » de Boris Johnson après le sommet européen n’a pas aidé à la restaurer.
Le fait qu’il ait accepté de revenir à la table des négociations permet d’espérer, mais c’est « un signe de faiblesse », analyse le chef d’un groupe politique du Parlement Européen. « Il faut éviter de l’humilier. C’est inutile », a-t-il conseillé.
Michel Barnier doit faire accepter une clause de sauvegarde dans l’accord. Les Européens veulent se prémunir si Londres refuse de s’aligner au cas où ils décident de renforcer leurs normes environnementales pour respecter l’accord de Paris sur le Climat. C’est sur ce point que son mandat a été renforcé. Jusqu’à présent, la Commission négociait la non régression. Les Etats membres veulent aussi s’assurer contre les risques sur le plus long terme. Si Londres veut diverger, le risque de concurrence déloyale sera évalué dans le temps et des mesures compensatoires comme le sont les tarifs douaniers seront applicables. Elle seront proportionnées, mais leur mise en oeuvre sera unilatérale. Pour le moment, Boris Johnson et son négociateur David Frost refusent. « C’est devenu un point dur », confie un responsable européen.
Le zéro tarifs – zéro quotas n’est concevable que s’il y a équivalence dans le temps pour les normes et les aides d’état. Dans le cas contraire, il faut rétablir des tarifs et des quotas par secteur concerné.
« Les mesures compensatoires sont destinées à prémunir les Européens contre une situation qui leur devient défavorable », explique-t-il.
La dernière semaine du mois d’octobre va être déterminante. Michel Barnier est retourné à Londres lundi soir pour un dîner de travail avec David Frost. Les équipes travaillent dur car le temps est compté. Tout le monde quittera Londres pour Bruxelles jeudi. Ce sera la dernière ligne droite. Elle peut se terminer sur un cul de sac.