Quand le franco-allemand est grippé, l’Union retient son souffle
La mésentente franco-allemande suscite un mélange malsain de satisfaction revancharde et d’inquiétude à Bruxelles. Le « directoire » Paris-Berlin a toujours été mal vécu par leurs partenaires. Mais l’Union est paralysé à cause de leurs divergences et cela préoccupe au plus point. Les crises s’enchaînent et les tensions internationales exigent la fin de la brouille entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz .
Ce ne sera pas facile. « Ils ne se connaissent pas, ils ne se comprennent pas, ils ne se font pas confiance ». Tout est dit avec cette confidence lâchée par un haut responsable européen à l’issue du sommet consacré à la crise énergétique les 20 et 21 octobre à Bruxelles.
Le chancelier allemand Olaf Scholz est un mur. « Difficile de lui tirer une parole pour qui ne le connait pas », explique un ministre européen. Face à lui s’agite un président français impétueux, impatient et brutal. Emmanuel Macron est son opposé. Le feu et la glace n’ont jamais fait bon ménage.
Leur rencontre à Paris le 26 octobre visait à calmer le jeu. Les communiqués et les gazouillis sur le réseau social twitter se sont voulus rassurants. Le dialogue a été « amical » et « très constructif », ont assuré les communicants. Mais pas de conférence de presse et aucune explication à cela. « Quelque chose ne tourne pas rond », a analysé un fin connaisseur de la relation franco-allemande. Et l’information, sortie de source allemande, selon laquelle l’Elysée a refusé l’exercice a ajouté au malaise.
« C’est très mauvais », « le courant ne passe pas, cela pose un grave problème ». Le pessimisme gagne à Bruxelles. « Nous avons besoin qu’ils soient sur la même longueur d’onde », souligne un commissaire. « La déclaration de Macron sur l’isolement de l’Allemagne à son arrivée au sommet a été du plus mauvais effet, mais il a raison: l’Allemagne s’est renationalisée », reconnait-il.
La position d’Olaf Scholz n’est pas aisée. Il doit gérer une coalition difficile entre son parti, le SPD, les verts et les libéraux. Or les intérêts divergent au sein de cette alliance. Le chancelier doit également gérer l’héritage légué par Angela Merkel et surtout ses erreurs. Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, a bien résumé le dilemme.
« La Russie et la Chine contribuaient à notre développement économique. Ce n’est plus le cas: cela va impliquer une forte restructuration de notre économie, car l’accès à la Chine va devenir de plus en plus difficile et nous n’aurons plus de gaz russe bon marché », a-t-il souligné devant les ambassadeurs de l’UE réunis à Bruxelles. « L’ajustement sera difficile. Et cela créera des problèmes politiques ».
« D’autre part, nous avons délégué notre sécurité aux États-Unis. Mais qui sait ce qui se passera dans deux ans? Ou même en novembre? », a-t-il souligné dans une référence aux prochaines échéances électorales aux Etats-Unis. « Nous devons assumer nous-mêmes plus de responsabilités, nous devons assumer une plus grande partie de notre responsabilité en matière de sécurité ».
Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre qui est concerné par cette situation. La prospérité de l’Allemagne était fondée sur une triple dépendance envers la Russie, la Chine et les Etats-Unis. Ce n’était qu’une illusion. Quelques uns à Bruxelles mettaient en garde contre l’effondrement du modèle allemand, mais ils criaient dans le désert.
L’autonomie stratégique défendue par Macron et à laquelle s’était ralliée Angela Merkel ne parvient pas à s’imposer. Le franco-allemand s’est grippé et la solidarité européenne souffre. Olaf Scholz refuse le plafonnement du prix du gaz utilisé pour fabriquer l’électricité, car cela favoriserait la France. Une note de la Commission européenne abonde en ce sens. Il ne veut pas non plus entendre parler d’un nouveau financement commun, sur le modèle de celui utilisé pour relancer l’économie lorsqu’elle a été mise sur le flanc par le Covid. Et il va consacrer l’essentiel de la dotation de 100 milliards d’euros annoncée pour remettre à niveau la défense de son pays à des achats de matériel militaire américain. L’irritation du président français a des arguments.
En agissant de la sorte, Olaf Scholz renforce ses adversaires politiques. « Les tensions entre Olaf Scholz et Emmanuel Macron arrivent à un moment absolument inopportun », déplore son compatriote Manfred Weber, président du Parti Populaire Européen, la famille conservatrice démocrate-chrétienne, et de son groupe au Parlement européen. « Le gouvernement allemand coordonne à peine sa politique avec ses partenaires européens et il ne l’explique pas », accuse-t-il.
Mais le chancelier semble pour le moment décidé à jouer solo. Et personne n’est en mesure d’aider à la réconciliation avec Paris. L’ancien Premier ministre du Luxembourg Jean-Claude Juncker se targuait lorsqu’il était en fonctions de pouvoir servir de pont entre les dirigeants des deux pays. Mais Juncker s’est retiré et « ce temps est fini », constate un de ses anciens collaborateurs.
« Il ne faut pas être trop pessimistes », soutient le commissaire. « C’est une mauvaise passe », veut-il croire.
Une énorme négociation est en cours au sein de l’UE, rappelle un dirigeant européen. « Un échec est parfois nécessaire pour parvenir à un accord. Ca fait partie du jeu », soutient-il. « Il y a beaucoup d’exagérations sur les difficultés, et la communication est devenue un instrument dans la négociation », explique-t-il.
« Dans toutes les familles, il y a un oncle riche. Il a des problèmes, mais la famille compte sur lui », ironise un autre responsable européen. « L’Allemagne est un moteur économique et tout le monde à intérêt à ce qu’elle se porte bien ».