Ursula, créature du PPE
Posture ou véritable engagement ? Dans un clair signe de défiance envers l’ouverture de la « spitzenkandidat » du Parti Populaire Européen à une coopération avec les partis nationalistes, les groupes Socialiste, Vert, Libéral (Renew) et The Left (la Gauche) se sont interdit toute coalition avec l’extrême droite et ont appelé la présidente de la Commission Ursula von der Leyen à prendre cet engagement. La droite conservatrice a répondu par la bénédiction de l’accord conclu par un de ses chefs de file, le Croate Andrej Plenkovic, avec un parti populiste de droite pour rester au pouvoir.
La campagne pour les Européennes est ouverte et les hostilités sont déclarées. Candidate de la droite pour un second mandat à la tête de la Commission européenne, Ursula von der Leyen s’est dite prête à une collaboration avec le groupe des Conservateurs et Réformistes Européens lors du premier débat entre les représentants des groupes politiques. Problème: l’ECR compte dans ses rangs le parti polonais Droit et Justice (PiS) idéologiquement nationaliste et eurosceptique, le parti Italien Fratelli d’Italia, nationaliste, populiste de droite et post fasciste qui a rompu avec le PPE en 2013, le parti d’extreme droite neofranquiste espagnol Vox, le parti d’extreme droite français Reconquête, et plusieurs autres formations d’extrême droite nationalistes.
Sursaut au sein des autres familles politiques du Parlement qui sont appelées à se prononcer sur le candidat désigné par les dirigeants européens pour la présidence de la Commission. La déclaration signée le 8 mai par les dirigeants des groupes Socialiste, Vert, Renew et The Left est sans ambiguïté: “Nous n’allons ni collaborer, ni former de coalition avec les partis d’extrême-droite à aucun niveau, et nous appelons la présidente de la Commission et tous les partis démocrates à rejeter catégoriquement toute normalisation, coopération et alliance avec l’extrême-droite et les partis radicaux”. L’engagement est souscrit par le chancelier SPD allemand Olaf Scholz et le chef du gouvernement socialiste espagnol Pedro Sanchez. Le président français Emmanuel Macron, chef de file des Libéraux, a également manifesté son hostilité envers les nationalistes.
“Je regrette que le PPE ait refusé de signer. Cela montre une fois de plus leur ambiguïté, comme l’a révélé Ursula Von der Leyen lors du débat de la semaine dernière”, a déclaré le spitzenkandidat des Socialistes, le Luxembourgeois Nicolas Schmit, membre du collège des commissaires présidé par Ursula von der Leyen et en conflit avec sa gestion très personnelle de l’institution et avec ses prises de positions.
Le PPE a finalement répondu à sa manière au manifeste signé par les responsables des autres familles politiques de l’UE. L’annonce par le Premier ministre croate Andrej Plenkovic de l’accord conclu entre son parti, l’Union démocratique croate (HDZ), avec le Mouvement de la Patrie (DP), un parti nationaliste d’extrême droite, pour former un gouvernement de coalition a fait l’effet d’une douche froide. Plenkovic est un des “chevau-légers” du PPE à la table du Conseil européen. Sa décision est un bras d’honneur.
Le plus surprenant est le choix du silence fait par le Premier ministre conservateur polonais Donald Tusk. Son adversaire politique, le PiS, dirige l’ECR et une alliance entre le PPE et l’ECR est une ligne rouge pour l’ancien président du Conseil européen et ancien président du PPE qui a ramené la Pologne dans le jeu européen et traite d’égal à égal avec Emmanuel Macron et Olaf Scholz. Le fait que Ursula von der Leyen en sa qualité de présidente de la Commission ait annoncé l’archivage de la procédure de l’article 7 ouverte contre Varsovie pour violations de l’Etat de droit juste avant le déplacement d’Ursula candidate du PPE en Pologne laisse le champ libre à toutes les interprétations du mutisme de Donald Tusk. La politisation de la présidence de la Commission dénoncée par Emmanuel Macron devient flagrante. La volonté affichée de la CDU allemande , le parti dominant du PPE , d’avoir à la tête de la Commission européenne une présidente soucieuse des intérêts de sa famille politique ajoute aux difficultés de retrouver le consensus sur sa personne depuis qu’elle a accepté de devenir la spitzenkandidat du PPE.
“Après les élections européennes de juin, je souhaite mettre en place une large coalition pour une Europe forte”, a annoncé la candidate du PPE. “Pour moi, la base de cette coalition est limpide comme de l’eau de roche: un engagement clair en faveur de l’État de droit, un engagement clair envers l’Ukraine, un engagement clair en faveur de notre Europe”. Qui répond à ces critères au sein de l’ECR ? La dirigeante de Fratelli d’Italia, la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni. Mais Mme Meloni va-t-elle lâcher l’ECR ? Le PPE peut-il réintégrer Fratelli d’Italia ? Pour rallier Fratelli d’Italia, Ursula von der Leyen est-elle prête à pactiser avec Vox, le parti allié du Partido Popular, fer de lance du PPE en Espagne ou avec le parti croate DP allié de Plenkovic en quête d’un groupe au Parlement européen ? Trop d’extrèmistes de droite ont rallié l’ECR et le groupe est devenu infréquentable pour la Nouvelle Alliance Flamande (NV-A), le parti nationaliste et populiste de droite belge. Pas de faux semblants. Pour la NV-A, l’ECR est devenu un nid de l’extrême droite.
La Commission européenne a jusqu’à cette date toujours trouvé ses soutiens dans la coalition pro-européenne constituée au Parlement européen par le PPE, les Socialistes et les Libéraux, auxquels peuvent se joindre les Verts. Mais cette coalition n’a pas soutenu l’investiture d’Ursula von der Leyen en 2019. La candidate imposée par les dirigeants européens après le rejet du Spitzenkandidat du PPE, l’Allemand Manfred Weber, a obtenu une courte majorité de 9 voix grâce aux votes de certains partis de l’ECR. Mais Fratelli d’Italia ne lui a pas accordé ses suffrages, a précisé Giorgia Meloni.
La politisation et la droitisation d’Ursula von der Leyen, ajoutée à l’aversion manifestée envers les Socialistes par le président du PPE Manfred Weber et par le Partido Popular espagnol, ne favorise pas une reconduction de la présidente sortante pour un second mandat. Ursula von der Leyen mendie aujourd’hui les voix des nationalistes car elle sait qu’elle ne peut pas compter sur le soutien total des socialistes et des libéraux et entend que les Verts ne lui sont pas acquis. Un second mandat qui serait une répétition du premier, marqué par une épreuve de force continue entre la présidente et les commissaires socialistes et libéraux, comme cela a été décrit par plusieurs commissaires, serait-il bon pour l’UE ?
Solution de facilité lorsqu’elle était la présidente sortante, la reconduction d’Ursula von der Leyen devenue créature du PPE est aujourd’hui devenue un problème. Olaf Scholz, Pedro Sanchez et Emmanuel Macron doivent tenir l’engagement souscrit dans le manifeste publié le 8 mai et trouver un candidat pro-européen capable de s’imposer non parce qu’il est membre d’une famille politique puissante, mais parce qu’il est capable de prendre la barre de l’UE et de la tenir alors que de nouvelles tempêtes s’annoncent.