Macron a perdu la France, L’Europe perd la France
Le constat des Européennes est terrible: Macron a perdu la France et l’Europe perd la France. 50,2% du corps électoral français a participé au scrutin et un électeur sur deux a voté pour les partis anti-Europe – 37% pour le Rassemblement National et Reconquête à l’extrême droite, près de 10 % pour La France Insoumise à l’extrême gauche – et 7% des voix se sont portées sur un parti de droite, les Républicains, opposé à la reconduction de l’Allemande Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne. Si le chef de l’Etat est logique avec lui-même, il devrait refuser sa confiance à la présidente sortante, au risque de plonger l’Union dans une crise institutionnelle.
“J’ai entendu le message, les préoccupations”, a assuré hier soir le chef de l’Etat avant d’annoncer sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections législatives anticipées sur deux tours, le 30 juin et le 7 juillet. Stupeur et colère. La dissolution fait le jeu de l’extrême droite, dont l’électorat est mobilisé après la victoire aux Européennes. La famille Le Pen se ressoude avec la décision de la nièce, Marion Maréchal, tête de liste de Reconquête, de lâcher Eric Zemmour pour renouer et travailler avec le Rassemblement National dirigé par sa tante, Marine Le Pen. Face à l’extrême droite, la droite hésite, le centre est désorienté et la gauche se divise. Trois semaines, c’est court pour constituer un front républicain avec des formations qui se détestent. La “majorité” de Macron va s’effacer. Elle en présentera pas de candidat contre les députés sortants faisant parti du champ républicain, a annoncé le ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné, un des rares mis dans le secret du projet du président, selon le quotidien Le Monde
“Emmanuel Macron n’était pas forcé de prendre cette décision. Il s’est laissé dicter l’agenda par Jordan Bardella (la tête de liste du RN pour les Européennes – NDLR). Il joue un jeu dangereux” , s’est insurgé Raphaël Glucksmann, la tête de liste des socialistes. “Décision suicidaire”, “Pompier pyromane devenu kamikaze suicidaire”, “apprenti sorcier”, “joueur de poker”, “architecte du chaos”: les épithètes ont fusé pour critiquer le président.
“Méconnaître à tel point l’état de son pays et s’en remettre ainsi à un pari électoral est juste vertigineux”, tance l’eurodéputé conservateur français Arnaud Danjean, vice-président du PPE. “Où conduit l’orgueil”, s’insurge-t-il. “Le désaveu des élections européennes n’est pas celui de la “majorité” présidentielle, même médiocre et pétrie de contradictions, mais le rejet quasi-épidermique et jusqu’à l’irrationnel du président lui-même. Une législative anticipée ne résoudra rien”, analyse-t-il.
“L’ironie cruelle au cœur des élections européennes: au niveau européen, le centre s’est maintenu. En France, sous la houlette d’un des centristes les plus pro-européens de l’UE, le centre a été écrasé”, a souligné Sophie Pedder, correspondante de The Economist à Paris.
“Le vote en France n’est qu’en partie un vote eurosceptique”, m’a confié un élu français. “C’est avant tout et de façon écrasante un vote de politique intérieure. Ces Européennes étaient un scrutin de mi-mandat transformé en référendum sur Macron. D’où le côté atypique des résultats français. Chez moi, la plupart des électeurs ont voté contre Macron et contre le système qui est surtout parisien avant d’être bruxellois”, m’a-t-il expliqué.
Le Rassemblement National peut plastronner, mais ses trente députés ne vont servir à rien. Jordan Bardella, invisible pendant cinq années, va rempiler à la tête d’un groupe de partis d’extrême-droite comptant moins de 60 élus, pour la plupart pestiférés. Un cordon sanitaire va être instauré par les autres groupes pour le marginaliser au Parlement et l’éviction des Allemands de l’AfD l’affaiblit. Patronne du RN, Marine Le Pen cherche à faire alliance avec Giorgia Meloni, mais l’Italienne, au pouvoir dans son pays, ne voit pas l’intérêt de ruiner ses efforts pour être reconnue par ses pairs au Conseil en frayant au Parlement européen avec une bande de députés pro-Poutine. Sa victoire, Bardella l’a obtenue en poussant le président à jouer une partie de politique intérieure française.
Selon Mujtaba Rahman, directeur du centre d’analyse Eurasia, “il était très probable que Macron ait été contraint d’organiser des élections législatives anticipées à l’automne. Il a jugé qu’il gagnerait à prendre l’initiative d’un scrutin anticipé et à faire de l’expression « aller vers le peuple » une vertu avant d’être acculé à le faire”. Fin connaisseur des arcanes européennes, Rahman souligne que l’Elysée “s’attendait à une volée de motions de censure sur le budget 2025. Si Gabriel Attal avait perdu une ou plusieurs de ces motions, Macron aurait été plus ou moins obligé de dissoudre l’assemblée”. Mais l’analyste s’avoue perplexe et sceptique sur les chances de Macron de renverser la tendance, car le score de 32% aux Européennes place Le Pen dans une position très, très forte avant le vote à deux tours du 30 juin et du 7 juillet. “La France se dirige probablement vers un mauvais équilibre – que ce soit avec un Premier ministre d’extrême droite ou un autre parlement sans majorité”, estime-t-il.
“Dans quel pays vivent les commentateurs hyper rationalistes expliquant que la dissolution apportera une clarification salvatrice ? Au pire la double peine majorité RN/Extrême gauche attisant la rue en réaction, au mieux une assemblée hétéroclite aussi ingouvernable qu’aujourd’hui”, abonde Arnaud Danjean.
Emmanuel Macron va-t-il être en mesure de jouer un rôle dans les nominations pour les ”Top Job” européens ? Aucun de nos interlocuteurs n’y croit. S’il poursuit sur sa logique de l’écoute de ses concitoyens, le chef de l’Etat devrait refuser la reconduction d’Ursula von der Leyen pour un second mandat à la tête de la Commission. L’Allemande est devenue l’incarnation de l’Europe que les partis nationalistes et l’extrême droite rejettent. Ils voteront contre son investiture lors de la session inaugurale du Nouveau Parlement le 18 juillet si elle est proposée par les chefs d’Etat et de gouvernement, mais leurs suffrages seront insuffisants pour contrarier son élection. Macron pourrait la recaler avant le sommet des nominations, mais est-il en mesure de provoquer une crise institutionnelle contre l’Allemagne dont Ursula von der Leyen est la candidate ?
“Macron n’a aucun atout dans sa manche au niveau européen”, soutient un responsable du Parti Populaire Européen. “Ursula von der Leyen est la spitzenkandidat du PPE, le parti qui a gagné les Européennes. Elle a son soutien, elle aura des soutiens des Socialistes et elle aura des soutiens à l’ECR (le groupe des Conservateurs et réformistes européen dirigé par Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni). Et il n’ y a pas d’alternative crédible présentable par le Conseil”, affirme-t-il. “Ce sera une reconduction par défaut , sans enthousiasme”, reconnaît-il. Fermez le ban.
Macron l’Européen déçoit et inquiète l’Union Européenne. Mais elle est devenue le cadet de ses soucis. Il veut effacer l’image du plus mauvais président de la Ve République qui commence à lui coller à la peau. Son pari : mobiliser les électeurs qui se sont abstenus aux Européennes pour reconstituer un Front Républicain afin de faire barrage à l’extrême-droite en la diabolisant et en soulignant son incompétence.
“Cette tactique ne marche plus”, affirme Edouard Philippe, le premier ancien Premier ministre de Macron. Le président des Républicains (LR) Eric Ciotti a rejeté hier l’idée d’une alliance avec Emmanuel Macron. “La Macronie, c’est fini maintenant», a-t-il soutenu. Que va faire la droite française ? Pactiser avec l’extrême-droite, comme en Italie ?
Macron et son entourage veulent croire au sursaut et refusent l’idée de son arrivée au gouvernement en juillet, assure l’Elysée. Mais il semble prêt à assumer la politique du pire: une cohabitation avec un gouvernement dominé par le Rassemblement National jusqu’à la présidentielle de 2027. “Il pourrait juger cela stratégique, pour laisser aux citoyens le soin d’apprécier les renoncements et les défaillances de l’extrême droite au pouvoir, et démontrer que, somme toute, un gouvernement modéré est préférable”, estime le politologue Olivier Costa dans son analyse de la dissolution.
Petit rappel historique en forme de mise en garde par le philosophe et essayiste Nicolas Tenzer: “On sait comment l’extrême droite arrive au pouvoir, parfois démocratiquement ; on sait aussi ce qu’elle y fait, qui n’est pas vraiment démocratique ; on sait enfin que, lorsqu’elle le détient, il est autrement difficile de le lui faire abandonner”.