Le roi Macron est nu, l’Europe frissonne
Cohabitation dure, majorité introuvable, gouvernement technique. Les scénarios les plus sombres se dessinent à mesure que se précisent les intentions de vote pour les législatives anticipées du 30 juin et du 7 juillet en France. La dissolution a signé la fin du pouvoir absolu pour Emmanuel Macron. Mais la paralysie de la France inquiète ses partenaires européens. Si la situation perdure, l’Union risque la division, le repli, le chacun pour soi, et à terme la mort. Précisément ce que veulent Vladimir Poutine et Donald Trump.
Jamais l’Europe n’avait été aussi protectrice, unie, solidaire face à la pandémie et à la guerre en Ukraine. Emmanuel Macron a été de toutes les initiatives avec Angela Merkel puis avec Olaf Scholz. Sans l’accord des dirigeants français et allemands, l’Union n’aurait pas eu les vaccins contre la Covid, le grand emprunt et le Plan de relance qui a permis à l’Italienne Giorgia Meloni de disposer de 190 milliards d’euros, les financements pour soutenir l’Ukraine. Macron trébuche au moment où l’Union européenne a besoin d’élan. Le monde bouge, se réorganise. “C’est le moment choisi par les Français pour se détacher de l’Europe, pour la rejeter”, déplore un diplomate européen. Le président est victime de la détestation des Français, qui ont fait des Européennes un référendum pour ou contre lui.
Sa décision de dissoudre l’assemblée nationale et de convoquer des élections anticipées dans un délai très court à provoqué un tollé de protestations. “Où conduit l’orgueil…Le désaveu des élections européennes n’est pas celui de la ‘majorité’ présidentielle, même médiocre et pétrie de contradictions, mais le rejet quasi-épidermique et jusqu’à l’irrationnel du Président lui-même”, a résumé le soir même l’eurodéputé français et vice-président du PPE, Arnaud Danjean. L’argument s’est développé et s’est imposé dans les analyses. La plupart des commentateurs étrangers se disent surpris par la détestation des Français pour leur président.
Le problème est que les Européennes ont imposé le Rassemblement national comme le plus grand parti de France. Or cela n’est pas reflété dans les politiques mises en œuvre ni à l’Assemblée nationale. Les accusations de “déni démocratique” et “d’illégitimité” auraient rapidement empoisonné la vie politique et le gouvernement serait tombé sur une motion de censure. Macron n’a pas agi sur un coup de tête mais a voulu rendre la main au peuple pour couper court à l’argumentaire populiste, nous a expliqué un de ses conseillers. Soit, mais le pays est au bord de la crise de nerfs et l’Union européenne s’inquiète.
A une semaine du premier tour, la situation se cristallise entre trois pôles: l’extrême droite du Rassemblement national, l’alliance du Nouveau Front Populaire entre les partis de gauche et d’extrême-gauche et la majorité présidentielle. Les projections en siège des intentions de vote par l’IFOP créditent l’extrême-droite de 200 à 240 sièges, le Nouveau Front Populaire de 180 à 210 sièges, Ensemble, la majorité présidentielle de 80 à 110 sièges, la droite (Les Républicains) de 40 à 60 sièges et les divers gauches (Socialistes non ralliés au Front populaire) de 8 à 12 sièges. “Nous aurons ingouvernabilité du pays, bipolarisation aux extrêmes qui rappelle 1849, Rassemblement national au Top”, note l’historien Eric Anceau. “Le meilleur scénario pour avoir une nouvelle dissolution dans un an”, estime l’analyste Mathieu Gallard de l’IPSOS.
Les avertissements se multiplient contre ces projections. Il n’y a pas une seule élection à l’échelle du pays, mais 577 comme le nombre de circonscriptions que comprend le territoire français. Et même si les sondages doivent obéir à des règles claires, les intentions de vote nationales se répercutent de manière inégale à l’intérieur de chaque circonscription. Qu’importent les mise en garde, les prétendants se voient au pouvoir. Ils sont deux à se dire prêts à gouverner la France: Jordan Bardella pour l’extrême droite et Jean-Luc Mélenchon, le “leader” de l’extrême gauche, méprisant pour les alliés du Front Populaire qualifiés de “gauchistes qui passent leur temps à s’engueuler entre eux”.
Repoussoirs pour nombre d’électeurs, les dirigeants des deux pôles tentent de policer leurs images avec des annonces et des renoncements. Leurs programmes économiques sont terribles. Celui de l’extrême droite est un “arbre de Noël”, celui du Nouveau Front Populaire est “dangereux”, analyse Olivier Blanchard, ancien chef économiste au FMI. Nombre de leurs promesses feraient sortir la France de l’UE. L’espoir est dans un sursaut, avec la constitution d’un Front Patriotique. Mais on ne voit rien venir d’autres que des invectives, des attaques et des rancœurs.
Les législatives vont tourner une page et marquer la fin de l’exception française en Europe. Le roi Macron est nu. “Le Macronisme c’est fini”, assure François Hollande. L’ancien président socialiste cherche à se faire élire député en Corrèze et se voit comme le Romano Prodi français. L’ancien président du Conseil italien avait réussi à fédérer l’ensemble des partis de la gauche italienne en 2006 pour vaincre Silvio Berlusconi, mais l’alliance n’a tenu qu’une année. Une cohabitation s’annonce. Ce ne sera pas la première, mais elle reste un peu une nouveauté pour la France lorsque c’est la normalité dans les autres pays de l’UE ou le compromis, mot étrange pour les Français, est même devenu un art.
Le chef de l’Etat donne le change depuis sa décision. Le 17 juin à Bruxelles, lors du dîner sommet des dirigeants de l’UE consacré aux Top Jobs, un seul faisait la gueule: l’Italienne Giorgia Meloni. Emmanuel Macron, que nous avons croisé à sa sortie de la réunion avec deux confrères, n’a pas donné l’image d’un président absent, au bout du rouleau, dépassé par sa décision, comme le présentent beaucoup de commentateurs. Pourtant beaucoup de questions se posent. Quelle va-t-être l’influence de la France en Europe? Elle sera nulle au Parlement européen si Valérie Hayer, ne parvient pas à se faire élire à la tête du groupe Renew. Une cohabitation va renvoyer les grands ministres à leurs études, ce qui explique la virulence du grand argentier Bruno Lemaire dans la défense de son bilan et ses attaques contre “les cloportes qui peuplent l’Elysée”.
Le choix du représentant français dans la nouvelle Commission européenne dirigée par la conservatrice Ursula von der Leyen et dominée par les partis de droite membres du Parti Populaire Européen (PPE), sera déterminant si Emmanuel Macron “l’Européen” veut continuer à défendre les priorités énoncées dans son discours de la Sorbonne. Tout plaide pour le maintien du commissaire sortant Thierry Breton, dans la continuité que représente la reconduction d’Ursula von der Leyen.
Le président français va jouer une partie difficile lors du sommet européen jeudi et vendredi. Va-t-il jouer un rôle décisif dans la rédaction de l’agenda stratégique qui définit les orientations et les objectifs de l’UE pour la période 2024-2029 ? Saura-t-il peser pour les nominations à la tête de la Commission et du Conseil européen ? Obtiendra-t-il un portefeuille important pour le commissaire français ? Contraint à une cohabitation dure avec le Rassemblement national, il peut baisser les bras, arrêter de lancer des initiatives, cesser de plaider pour une Union autonome, de pousser à plus d’unité. Mais dans ce cas, qui le fera ? L’Allemagne, tentée à chaque crise par le chacun pour soi parce qu’elle ne veut pas payer pour les autres ?
Si la France opte pour le repli national, l’Union va se diviser, se casser et tout perdre, nous a confié un responsable européen. La Défense européenne sera l’Otan, une alliance de plus en plus fragile si les Etats-Unis l’abandonnent, comme Donald Trump menace de le faire. Économiquement, ce sera le retour à la “zone mark” , car l’Allemagne est le seul pays capable d’attirer les investissements et de soutenir financièrement ses industries grâce à son endettement très faible. “L’Europe est mortelle, elle peut mourir”, a averti Emmanuel Macron. Cela devient de plus en plus une prémonition.