Le choix cornélien imposé par Trump à Zelensky et à l’Europe

Le choix cornélien imposé par Trump à Zelensky et à l’Europe


Perdre sa dignité ou perdre un allié. Volodymyr Zelensky a résumé par cette formule le choix cornélien posé par Donald Trump pour faire accepter à l’Ukraine un “nouveau” plan de paix élaboré au Kremlin. Ce choix vaut aussi pour l’Europe. Le plan vise à affaiblir l’Ukraine et à diviser les Européens. Zelensky refuse de renoncer à la souveraineté et à l’indépendance de son pays et appelle à l’unité nationale. Mais est-il en mesure de dire non à Trump ? Le président ukrainien est affaibli par l’implication de son entourage dans un scandale de corruption. Ses soutiens européens n’ont pas les moyens de le soutenir financièrement et militairement sans les Etats-Unis. Zelensky est un battant, mais il semble au bout du rouleau. Sa dernière carte est une négociation difficile pour remanier le plan. Elle imposera des sacrifices et des renoncements. Ensuite, ce sera salut l’artiste.

“J’ai besoin de munitions, pas d’un chauffeur”. En 2022, Zelensky avait ainsi répondu à l’offre du président américain Joe Biden de l’exfiltrer alors que les blindés russes avançaient sur Kiev. Trois ans plus tard, un autre président américain, Donald Trump, lui met un pistolet sur la tempe pour le contraindre à accepter un plan élaboré par le conseiller de Vladimir Poutine Kirill Dmitriev et le promoteur américain Steve Witkoff, pour mettre fin à une guerre qui saigne l’Ukraine et la Russie.

“Nous traversons actuellement l’une des périodes les plus difficiles de notre histoire. L’Ukraine est confrontée à un choix cornélien : soit la perte de sa dignité, soit le risque de perdre un partenaire clé. Soit un plan en 28 points exigeant, soit un hiver extrêmement rigoureux – le plus rigoureux qui soit – et d’autres dangers à venir. Une vie sans liberté, sans dignité et sans justice, et l’obligation de faire confiance à un adversaire qui nous a déjà attaqués à deux reprises. Ils attendent notre réponse”. Vendredi soir, Zelensky était grave lors de son allocution à la nation. L’Ukraine a jusqu’à jeudi, jour de Thanksgiving, pour accepter l’accord de paix. En cas de refus, l’Amérique ne partagera plus ses renseignements militaires et cessera ses fournitures d’armes.

Concessions territoriales au profit de Moscou, réduction de l’armée ukrainienne et de ses armements, non-adhésion à l’OTAN : le plan reprend les principales exigences maximalistes formulées par la Russie depuis le printemps 2022, souligne la revue le Grand Continent. Le Kremlin gagne sur tous les tableaux avec l’intégration de la Russie dans l’économie mondiale — notamment son retour à la table du G7, qui redeviendrait alors le G8 — ainsi qu’une amnistie pour Vladimir Poutine, visé depuis 2023 par un mandat d’arrêt international pour crimes de guerre. “La Russie ressortira grande gagnante si le plan est adopté”, a commenté le Premier ministre solvaque Robert Fico, un des soutiens du Kremlin au sein de l’UE avec le Hongrois Viktor Orban.

Le président ukrainien a consulté ses alliés européens. Le Français Macron, l’Allemand Merz et le Britannique Starmer lui ont réaffirmé leur “engagement indéfectible” en faveur d’une paix juste et durable et ont souligné que toute solution doit impliquer pleinement l’Ukraine, préserver sa souveraineté et garantir sa sécurité future. Mais les Européens ne sont pas capables de surmonter leurs divisions. Les difficultés rencontrées pour convenir d’un prêt de réparation de 140 milliards d’euros pour l’Ukraine, financé par les actifs souverains russes gelés, montrent que tous les dirigeants de l’UE ne sont pas prêts à faire “tout ce qui est nécessaire”. Un accord est recherché pour le sommet européen des 18 et 19 décembre. Seul un groupe de pays – l’Allemagne, les pays nordiques et baltes – a pris en charge la majeure partie du poids financier du soutien à l’Ukraine. La France a ses propres problèmes budgétaires. La Pologne se concentre davantage sur le renforcement de sa défense face à la menace russe. Seuls 13 pays sur 19 ont décidé d’utiliser Safe, l’instrument de prêt du plan de réarmement de l’UE, en faveur de l’Ukraine. La coalition des volontaires est lettre morte. Le bouclier aérien destiné à protéger le ciel ukrainien ne s’est jamais concrétisé. Ce sont là autant de signes du manque de détermination des Européens. L’ultimatum fixé par Trump au 27 novembre vaut également pour l’Europe.

Zelensky ne peut se risquer à rejeter le plan. Il va négocier. Il l’a dit à ses compatriotes. “L’intérêt national ukrainien doit être pris en compte. Nous travaillerons calmement avec les États-Unis et tous nos partenaires. Je présenterai des arguments, je convaincrai, je proposerai des alternatives, mais nous ne donnerons certainement pas à l’ennemi des raisons de dire que l’Ukraine ne veut pas la paix, qu’elle sabote le processus et qu’elle n’est pas prête pour la diplomatie. Cela n’arrivera pas”. Des pourparlers ont commencé ce week-end à Genève entre ukrainiens et américains. Les délégations sont d’un haut niveau et des représentants de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni ont été associés. Une réunion est programmée avec les Russes. Le plan américain peut inclure les “perspectives ukrainiennes”, a estimé hier Zelensky.

Les Européens soutiennent la négociation. “Le projet de plan en 28 points proposé par les États-Unis comprend des éléments importants qui seront essentiels à une paix juste et durable. Des travaux supplémentaires sont nécessaires”, souligne la déclaration commune adoptée par les dirigeants européens et leurs alliés canadien et japonais au G20 à Johannesburg. Le président du Conseil Antonio Costa a invité les 27 dirigeants de l’UE à une réunion spéciale sur l’Ukraine en marge du sommet UE-Union Africaine à Luanda aujourd’hui, lundi. “Nous devons créer un moment de reconvergence”, a déclaré le président Français Emmanuel Macron. Mais le chancelier allemand Friedrich Merz s’est dit “sceptique” dimanche sur les chances de parvenir à un accord sur le plan de Donald Trump d’ici jeudi.

Comme Donald Trump, Volodymyr Zelensky veut mettre un terme à la guerre. “Depuis près de quatre ans, nous résistons à l’une des plus grandes armées du monde, et nous tenons une ligne de front de plusieurs milliers de kilomètres, et notre peuple subit chaque nuit des bombardements, des attaques de missiles, des frappes balistiques et des frappes de drones. Nos concitoyens perdent chaque jour des proches. Nos concitoyens veulent vraiment que la guerre se termine. Nous sommes solides comme de l’acier. Mais même le métal le plus résistant peut finir par céder”, a rappelé le président. Les Européens appellent également à la fin de ce conflit qui les divise. Mais Moscou ne veut pas entendre parler de cessez-le-feu, prélude aux négociations.

Le nouveau “plan de paix” n’est pas la solution. Il comporte des éléments inacceptables pour l’Ukraine et pour l’Europe. “C’est un torchon, une infamie”, s’est insurgée l’eurodéputée française Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission Défense du Parlement européen. “C’est un plan qui prévoit la capitulation de l’Ukraine et qui décide du sort des Européens à la place des Européens. C’est un plan dans lequel les Américains ne pensent qu’à faire du profit et récompensent l’agresseur”, a soutenu Loiseau. Moscou obtient une reconnaissance territoriale, Washington en tire des avantages financiers et renforce son influence, et l’Europe finance la reconstruction sans avoir le moindre pouvoir de décision, confirme l’analyste espagnol Antonio Legaz dans El País.

“Ce n’est pas le dernier mot”, a assuré Donald Trump, confronté à une opposition croissante aux Etats-Unis, y compris parmi des figures influentes du Parti républicain, car le texte est perçu comme trop favorable à Moscou et dangereux pour l’avenir de l’Ukraine.

L’administration américaine a perdu les pédales dimanche. Le document en 28 points n’est pas une initiative américaine, mais russe, a déclaré le secrétaire d’Etat Marco Rubio à un groupe de sénateurs. Recadré, Rubio a ensuite démenti. “La proposition de paix a été rédigée par les États-Unis”. Le secrétaire d’Etat n’est pas un acteur dans le jeu. Les luttes d’influences commencent à poindre et l’incompétence de Trump sur les dossiers internationaux devient de plus en plus flagrante. Le président américain est un homme manipulable. Avec lui, un retournement est toujours possible. Les Européens jouent cette carte. Mais dans un message sur son réseau Truth social, Trump s’est emporté hier contre les dirigeants ukrainiens, accusés de ne montrer “aucune gratitude” pour les efforts de paix des Etats-Unis,

De nouvelles sanctions contre la Russie sont élaborées aux Etats-Unis et en Europe. “Les exportations de pétrole brut russe sont à leur plus bas niveau. Et les recettes fiscales issues du pétrole sont au plus bas depuis le début de la guerre”, a rappelé la Haute Représentante de l’UE Kaja Kallas. Mais sans les mesures américaines et leur extraterritorialité, elles perdent en puissance et sont contournées. La pression revient sur Poutine. Le président russe va-t-il se braquer ou accepter ? “Il ne s’agit pas pour Moscou de terminer cette guerre avec ce plan, mais d’obtenir son ralentissement, la levée d’un maximum de sanctions, la division des Européens et l’érosion du consensus national en Ukraine”, analyse le consultant français en risques géopolitiques Stéphane Audrand sur X.

Cette crise ne sera pas la dernière pour l’Ukraine et pour les Européens. Usé, critiqué par une opposition interne virulente, Volodymyr Zelensky est tenté de lâcher la barre. Son épouse Olena Zelenska ne souhaite pas qu’il soit président pour le prochain mandat, ni pour les deux prochains mandats. Or Zelensky incarne l’Ukraine et sa volonté de rejoindre l’UE. Il ne peut pas abandonner au milieu du gué.

 

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