Une Europe à bout de souffle

Une Europe à bout de souffle

Un long catalogue de “choses à faire” débité d’une voix monocorde par une présidente de la Commission mal à l’aise face à un Parlement colérique ; un affrontement verbal d’une rare violence entre deux présidents de groupes pro-européens devenus ennemis et un cri du coeur : “Nous sommes en train de perdre les Européens”. La session plénière de rentrée du Parlement européen cette semaine à Strasbourg a offert le spectacle navrant d’une Europe à bout de souffle, en manque de leadership, incapable de se projeter, réduite au rang de spectatrice d’une recomposition mondiale par des puissances hostiles. L’Euroréalisme dénoncé par Jacques Delors a tué le rêve. La lente agonie de l’Union européenne prédite par Mario Draghi a commencé.

Ursula von der Leyen savait que son intervention devant les députés serait difficile. Un sondage Eurobazooka réalisé pour la revue le Grand Continent et publié la veille de son discours sur l’Etat de l’UE témoignait du ressentiment provoqué par les droits de douane imposés par Donald Trump et les concessions acceptées par la présidente de la Commission. 75 % des personnes interrogées estiment qu’elle “a mal défendu les intérêts européens” et 60% – 54% en Allemagne, son pays– souhaitent sa démission. Les résultats de cette enquête étaient dans tous les esprits et son intervention pour défendre le résultat de sa négociation – le projet d’accord doit être approuvé par les Etats et par le Parlement – a déclenché une vague de protestations dans l’hémicycle.

Mais le véritable choc est venu ensuite, avec les interventions des présidents des groupes politiques, loin, très loin des images d’épinal souriantes des réunions préparatoires publiées par les services de la présidente. Premier intervenant, l’Allemand Manfred Weber, président du groupe du Parti Populaire Européen au parlement et du Parti Populaire européen – il cumule les deux fonctions – a d’emblée accusé le groupe socialiste dirigé par l’Espagnole Iratxe Garcia Perez d’être responsable “par son comportement” hostile à l’accord avec les Etats-Unis “de diviser la plateforme” (la coalition des partis pro-européens).

Weber a ensuite attaqué Pedro Sanchez, le chef du gouvernement socialiste espagnol dont Iratxe est proche. Le patron de la droite européenne a déploré la différence de Sanchez d’avec son homologue socialiste danoise Mette Frederiksen, dont le pays exerce la présidence des conseils de l’UE. Il a terminé sa diatribe par ces mots : “J’espère que la réalité politique espagnole ne va pas s’étendre à l’Europe”, faisant ainsi référence à l’antagonisme entre le PSOE et le Partido Popular, membre du PPE. Juste après avoir fait de cet antagonisme une réalité dans l’hémicycle du Parlement européen…

En trois phrases, Weber a fait imploser la coalition en soutien à von der Leyen. Iratxe Garcia Perez a répondu durement. “Présidente von der Leyen, aujourd’hui, vous voyez qui est votre principal ennemi : M. Weber du PPE. Vous avez fait tous les efforts possibles pour essayer de présenter ici un programme de travail dans lequel toutes les forces pro-européennes se sentent représentées. Le responsable du fait que la majorité pro-européenne ne fonctionne pas dans ce Parlement, s’appelle Manfred Weber, du Parti populaire européen ».

La rupture semble consommée entre les deux familles politiques. Manfred Weber soutient l’accord avec les droits de douane imposés par les Etats-Unis. Iratxe Garcia Perez a annoncé l’intention des socialistes “d’amender votre pacte avec Trump” et a demandé d’activer l’instrument anti-coercition de l’UE. “Accepter des droits de douane de 15 % sans riposte est inacceptable. Promettre aux États-Unis des centaines de milliards de dollars pour le pétrole, le gaz et la défense – sans autorisation – constitue un abus de pouvoir. Vous êtes allés en Écosse pour enterrer les rapports Draghi et Letta, et avec eux, notre autonomie stratégique”, a lancé Iratxe à Ursula.

Le Français Jordan Bardella, président du groupe de partis souverainistes et anti européens Patriotes pour l’Europe, 3e force politique du Parlement, a ajouté un clou au cercueil du pacte avec Trump, avec une charge virulente contre Ursula von der Leyen. “Quels intérêts défendez vous vraiment”, a-t-il lancé à la présidente. “Vous signez en notre nom un accord avec les Etats-Unis qui est une reddition et une vassalisation pour l’Europe avec un tribut de 750 milliards d’euros d’importations européennes, ce qui hors de prix, et 600 milliards en investissements (aux Etats-Unis) aux dépens de nos territoires”. Quand les socialistes et l’extrême-droite se rejoignent dans la critique, la Commission européenne a un problème.

“Nous sommes en train de perdre les Européens”. Le cri lancé par la Française Valérie Hayer, présidente du groupe Renew, a claqué comme un avertissement. Son constat fait écho à celui de Mario Draghi, sur la montée du scepticisme envers l’Europe, lié aux doutes sur “sa capacité à défendre les valeurs sur lesquelles l’Union européenne à été fondée”.

Le constat terrible reflète une réalité. Se dire pro-européen en France et défendre l’Union européenne devient de plus en plus difficile. L’hexagone a viré eurosceptique. La moitié des 81 eurodéputés élus en juillet, soit 43, sont membres de partis anti-européens (34 députés d’extrême droite et 9 élus du parti d’extrême gauche La France Insoumise) et partagent la même aversion pour Emmanuel Macron, le plus pro-européen des présidents français. Les partis anti-européens sont en progression dans la plupart des grands pays et leurs dirigeants ont fait d’Ursula von der Leyen l’incarnation de l’Union européenne qu’ils honnissent.

Hémicycle désert pendant un débat sur l’Ukraine, querelles de chefs pendant le discours sur l’Etat de l’UE, implosion en direct de la coalition pro-européenne : le spectacle offert pendant la session plénière de septembre signe le naufrage du Parlement européen.

La Commission européenne ne se porte pas mieux. Ursula von der Leyen n’a pas changé. La présidente continue de confondre autoritarisme et leadership et a clivé politiquement le collège en s’appuyant sur les commissaires membres du PPE, sa famille politique, pour marginaliser les commissaires socialistes et libéraux. Son chef de cabinet et compatriote Bjoern Seibert, terrorise l’institution. Son comportement révolte et le mécontentement est devenu public. D’autant que Seibert a commis de nombreuses erreurs politiques avec une gestion très (trop) personnelle de l’accord avec Trump, du projet de budget pluriannuel et du blocage de l’amende pour Google.

Le Conseil européen porte également sa part de responsabilité dans cette débâcle. La gestion type notaire des acquis de la construction européenne a ramené l’UE à la case départ : les intérêts nationaux priment sur l’intérêt européen, l’Union n’a pas de leadership, pas de politique étrangère, pas de défense commune, pas de politique commerciale vis-à -vis de la Chine et des Etats-Unis. Elle est le témoin passif du grand bouleversement créé par Donald Trump depuis son retour à la Maison Blanche et ne comprend pas que la nouvelle administration américaine se comporte comme un ennemi, proche des partis anti-européens dont elle souhaite ouvertement la victoire électorale.

“L’Europe doit prendre son indépendance”, a clamé Ursula von der Leyen à Strasbourg. Mais le message éculé sonne comme un disque rayé à force d’être rabâché en dehors de tout réalisme politique. Les institutions européennes actuelles sont au bout du rouleau. “L’organisation existante doit changer”, a asséné Draghi dans son intervention à Rimini le 22 août. La survie de l’Union impose un virage, soutient l’homme qui a sauvé l’euro lorsqu’il présidait la Banque Centrale Européenne. “Nous pouvons rectifier la trajectoire de notre continent. Transformez votre scepticisme en action, faites entendre votre voix”, a-t-il lancé aux Européens. Son appel sera-t-il entendu ? L’enquête du grand Continent est un début de réponse.

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