Trump : l’UE sourde, aveugle et silencieuse face à la dérive autocratique des États-Unis

Trump : l’UE sourde, aveugle et silencieuse face à la dérive autocratique des États-Unis

L’Europe doit-elle fermer les yeux sur la dérive autoritaire de Donald Trump, alors que le président américain et son entourage attaquent ses valeurs et soutiennent ouvertement les personnalités et les partis politiques anti-européens ? Le gouverneur démocrate de Californie Gavin Newsom a sonné l’alerte rouge sur les desseins de Trump. Mais les Européens font la sourde oreille et traitent le président américain comme si rien ne venait perturber les relations transatlantiques. En témoigne le tapis rouge déroulé pour sa seconde visite d’État au Royaume-Uni, qui conforte Trump dans son sentiment de toute puissance et dans sa vision d’une Europe vassalisée.

Arrivé mercredi pour une visite d’Etat de deux jours au Royaume Uni, Donald Trump s’est comporté comme un enfant à Disneyland. Une entrée en carrosse avec le roi Charles III au château de Windsor et une inspection de la garde d’honneur au cours de laquelle le monarque est resté en arrière, visiblement ailleurs. C’était la partie images. La signature d’un pacte pour la prospérité technologique avec le Royaume Uni est le vrai but du déplacement et suscite des inquiétudes.

Les grandes entreprises technologiques américaines se sont engagées à investir massivement en Grande-Bretagne. Mais en échange, leur lobby, le CCIA, demande la suppression des obstacles au commerce numérique, notamment le DMCC Act (l’équivalent britannique du règlement européen sur les marchés numériques) ou l’Online Safety Act, destiné à protéger les citoyens, que les patrons de la tech américaines et l’administration Trump dénoncent depuis des mois.

Les États-Unis sont soupçonnés de chercher ainsi “une sorte de soutien du Royaume-Uni “ pour peser contre les textes de loi de l’UE qui les préoccupent le plus : les réglementations sur les marchés numériques et les services numériques, la norme de déclaration de la chaîne d’approvisionnement CSDD et la loi sur l’Intelligence Artificielle, écrit notre confrère Dave Keating. Le Royaume Uni deviendrait le cheval de Troie des Etats-Unis pour torpiller la protection numérique de l’Union européenne.

Le sujet préoccupe les Européens et constitue un test de crédibilité pour la présidente de la Commission européenne. L’UE doit défendre la démocratie et la Commission doit “protéger les débats électoraux avec des mesures claires”, soutient le représentant d’un Etat membre. L’Union cherche en outre des moyens pour financer un budget pluriannuel solide et une des nouvelles ressources propres est la taxe sur les services numériques. L’idée fait hurler les géants de la tech américains. Ursula von der Leyen ne l’a pas proposée dans son projet par peur de froisser Trump. Mais ça reste ”une partie de l’équation pour le budget commun”, soutient un responsable européen.

La dérive autoritaire du président américain est devenue une évidence. Donald Trump et son administration détestent l’Union européenne et ses valeurs, confient les diplomates à Bruxelles. Mais les dirigeants européens la considèrent comme une affaire intérieure. Les ingérences du vice-président JD Vance et de Elon Musk dans les élections irritent, mais aucun dirigeant n’ose les dénoncer par crainte de contrarier Trump.

L’Europe se montre faible car elle a besoin des Américains à l’Otan, pour le soutien à l’Ukraine et pour sortir de sa dépendance des énergies fossiles russes. Trump le sait bien, et en a profité pour tordre le bras des Européens en liant l’issue des négociations commerciales avec l’article 5 de l’Otan. Un chantage jamais utilisé jusqu’à présent et qui a empêché les Européens d’établir un rapport de force moins malsain.

Donald Trump a ainsi obtenu des Européens un accord à son seul bénéfice, soit 15% de droits de douane sur leurs importations aux Etats-Unis et 0 pour les exportations américaines vers l’Europe, l’engagement d’investir 600 milliards de dollars aux Etats-Unis et d’acheter pour 750 milliard de dollars de gaz et de pétrole. Cherry on the cake : Trump a surfacturé de 10% les armements américains achetés par les Européens pour l’Ukraine. Trump a ainsi coupé net l’ambition européenne de réduire les achats d’armements aux États-Unis – 50 milliards par an – et de conserver en Europe les 300 milliards d’euros d’épargne européen investis chaque année aux Etats-Unis.

Ces engagements, que le président américain exhibe pour vanter sa capacité de faire affluer des centaines de milliers de milliards, n’empêche pas la bataille de narratifs qui fait rage aux Etats-Unis. Trump loue la bonne santé de son économie. Ses détracteurs soutiennent le contraire. “L’économie ralentit, l’inflation commence à augmenter. La confiance des consommateurs est en baisse, l’endettement des cartes de crédit augmente, les droits de douane terrifient nos alliés et les impôts pèsent sur le peuple américain, les familles de la classe moyenne. Trump est en difficulté”, affirme ainsi le gouverneur démocrate de la Californie Gavin Newsom, adversaire politique honni de la Maison Blanche.

Les Etats-Unis sont dans un moment « inhabituel », avec « un risque des deux côtés », l’emploi et l’inflation, ce qui rend « la situation difficile pour la politique économique », a confirmé mercredi le patron de la FED, Jerome Powell, avec l’annonce de l’abaissement d’un quart de point des taux directeurs. Donald Trump veut la peau de Powell, surnommé “trop tard”, et menace l’indépendance de la FED avec sa volonté de le remplacer par un homme sous son influence. La manœuvre est suivie avec appréhension par la Banque Centrale Européenne. Une prise de contrôle de la Fed par Trump serait « un danger très sérieux » pour l’économie mondiale, a averti Christine Lagarde.

Trump s’est également attaqué au premier amendement de la Constitution des Etats-Unis, fondement de protection de la liberté de la presse, de la liberté d’expression, de la liberté de religion et de la liberté de réunion. Le président américain a dans la foulée interdit le mouvement « Antifa », terme générique pour désigner les groupes d’extrême gauche se réclamant de l’antifascisme, qualifié d’organisation « terroriste ». Cette décision, couplée à l’obligation pour les voyageurs de communiquer leurs identifiants de réseaux sociaux pour entrer aux Etats-Unis peut avoir de sérieuses conséquences pour les déplacements des Européens.

Newsom a sonné “l’alerte rouge” et soupçonne Trump de préparer un coup de force avec les moyens donnés au Service de l’immigration et des douanes des États-Unis (United States Immigration and Customs Enforcement – ICE), devenu quasiment une milice privée. “Nous devons tous prendre conscience de ce qui se passe. Si nous ne nous levons pas maintenant, l’Amérique que nous avons connue autrefois aura disparu”, a affirmé le gouverneur de la Californie.

Affaires intérieures commentent prudemment les responsables européens. Est-ce si sûr ? Trump et son mouvement MAGA comptent de nombreux soutiens en Europe. Le Premier ministre hongrois Viktor Orban, le plus actif, aujourd’hui en difficulté, devancé par son opposant Peter Magyar et son parti Tisza à quelques mois des élections législatives prévues au printemps 2026, pourrait être tenté d’imiter Trump pour conserver le pouvoir. Osera-t-il ? Quelle sera dans ce cas la réaction des autres membres de l’UE ? Une protestation ?

La bataille engagée par Trump pour faire sauter, au nom de la liberté de parole, les réglementations imposées par l’UE aux grandes plateformes numériques s’inscrit dans une stratégie de déstabilisation et d’affaiblissement des Etats. La séquence électorale en Europe, comme aux Etats-Unis, va être menée sur les plateformes numériques. L’une des plus importantes, X, est la propriété de Elon Musk, un des grands électeurs de Donald Trump et un soutien affiché de tous les mouvements anti-européens.

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