Trump, the Jabberwocky
Donald Trump va-t-il ressouder une Union européenne en pleine crise existentielle après le divorce avec le Royaume Uni et les affrontements sur la crise des migrants ? Certains veulent le croire, mais la mollesse des réactions après l’adoption du « Muslim ban » aux Etats-Unis permet d’en douter. Le sommet européen de Malte le 3 février sera déterminant et celui de Rome le 25 mars sera crucial, car il pourrait être celui d’une rupture.
Quelques jours après sa prestation de serment, les Américains ont découvert le caractère autoritaire du 45e président des Etats-Unis et les aspects nauséabonds de son idéologie. Ceux qui espéraient encore que le président serait différent du candidat en sont estomaqués.
Car Donald Trump n’a pas attendu pour passer aux actes. Sa politique est bien celle annoncée par ses rafales de tweets rageurs et insultants, une suite de strophes en 140 signes dont la lecture donne les clefs de sa politique. Il n’aime que les courtisans et Thérésa May, le Premier ministre britannique, pourrait bien avoir commis un impair politique en se précipitant à sa rencontre. Il lui a fallu ensuite marquer son désaccord avec le décret anti-immigration signé par le président américain devant l’indignation en Grande-Bretagne. Le Premier ministre britannique se retrouve ainsi prise entre le marteau et l’enclume.
Donald Trump divise les Etats-Unis et se fâche avec ses partenaires. La rupture avec le Mexique pourrait bien marquer le retour de l’anti-américanisme dans toute l’Amérique latine. Une crise menace également avec la Chine.
Et son mépris pour l’Union européenne n’en est que plus affligeant. L’écoute assidue de Nigel Farage, l’artisan du Brexit devenu son « visiteur du soir », explique sans doute cette posture, comme l’a souligné l’ancien ambassadeur des Etats-Unis à Bruxelles Anthony Gadner, viré comme un malpropre par Donald Trump le 20 janvier avec tous les autres ambassadeurs des Etats-Unis dans le monde. Europhobe affiché, Farage se rêve en dynamiteur de l’ Union. Le retour de bâton pourrait toutefois être cinglant. Le Royaume Uni n’a rien à gagner d’une rupture totale avec l’espace économique européen et Nigel Farage pourrait bien devenir un paria dans son pays.
L’Union européenne semble pour l’instant encore hésitante face à des Etats-Unis entraînés vers l’isolationnisme et le protectionnisme. Les dirigeants de ses trois institutions sont comme tétanisés. Le président sortant du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, attend de savoir ce que pensent ses patrons, les chefs de gouvernements européens. L’Italien Antonio Tajani, tout nouveau président du Parlement européen, se cherche encore et montre qu’il est loin d’avoir l’envergure politique de son prédécesseur, le social démocrate allemand Martin Schulz. Quand à Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, il observe et attend.
« Trump, cyniquement parlant, est une bonne chose pour l’Union européenne, car il va permettre d’unifier l’Europe en accélérant l’Europe de la Défense, l’Union monétaire et l’Europe de l’Energie », m’a confié un haut responsable européen. La thèse est audacieuse.
Elle est recevable pour l’Europe de la Défense. Les critiques de Donald Trump contre une Otan jugée obsolète ont refroidi à l’Est de l’Union européenne. Les Baltes vivent ce jugement comme une invitation faite à Poutine de venir tester sur eux les défenses d’une alliance bien moins forte qu’elle ne le dit. Certains en Europe s’attendent à des incidents avec l’Estonie où vit une importante population russophone. Le parapluie américain s’est tout d’un coup retourné et les pays en première ligne, comme la Pologne, se retrouvent bien dépourvus. Or ce sont les mêmes pays qui ont dit non au partage de l’accueil des réfugiés syriens et refusé de montrer leur solidarité avec l’Allemagne dans la crise migratoire. La relance de l’Europe de la Défense est sur la table. La fragilisation de l’Otan par les Américains pourrait précipiter sa réalisation. « Si nous ne voulons pas être les victimes des accords entre Trump et Poutine, nous devons mettre en place un vraie Europe de la Défense », plaide l’ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt, président de l’Alliance des Libéraux et Démocrates européens au Parlement européen.
La thèse vaut aussi face à la Russie. L’élection de Donald Trump est une victoire pour le président russe, humilié par les sanctions économiques infligées à son pays et par son expulsion du G8 après l’annexion de la Crimée et la déstabilisation de l’Ukraine. Vladimir Poutine veut une Union européenne affaiblie et minée par les divisions. Donald Trump a le même objectif. Il soutient ouvertement les partis européens favorables à la fin de l’UE comme le Front National en France .
Les Européens ont tout intérêt à serrer les rangs face à cette alliance contre nature. Mais pour le moment, seule la chancelière Angela Merkel ose s’opposer. Elle est devenue pour cette raison la cible d’attaques visant à la déstabiliser. Donald Trup a ouvertement mis en cause ses capacités de dirigeante et a ainsi implicitement appelé à sa défaite lors des prochaines élections. Personne pour le moment n’a protesté. François Hollande la soutient, mais mollement. Le président français est en fin de mandat et sa voix ne compte plus. Les candidats à sa succession sont plus attachés à se combattre. Même silence en Italie, l’autre grand pays de l’UE, retiré des affaires internationales depuis la démission de Matteo Renzi après le rejet de son projet de réforme de la constitution italienne.
« Nous , Européens, avons notre destin dans nos propres mains », a averti Angela Merkel. L’Union européenne saura-t-elle afficher son unité et sa fermeté face aux provocations de Donald Trump ? La dernière en date est son intention de nommer ambassadeur à Bruxelles son ami Ted Malloch, un homme ouvertement favorable à l’explosion de l’Union européenne. Les Européens oseront-ils refuser les lettres de créance d’un tel ambassadeur ?
Le sommet organisé début février à Malte montrera si l’Union européenne est encore crédible ou si comme le prédit Ted Malloch, elle est sur le point de mourir. Mais le vrai tournant sera pris le 25 mars à l’occasion de la réunion de Rome pour le soixantième anniversaire de la signature du Traité fondateur de l’UE. « Nous devons choisir entre l’isolationnisme, les inégalités, les égoïsmes nationaux et la force par la solidarité », a lancé Jean-Claude Juncker. « A Rome, l’Union européenne décidera si elle est en mesure de continuer à 27 ou si elle doit trancher, se séparer et poursuivre sa route à 19, avec les pays de l’euro », m’a expliqué un haut responsable européen.