Rumeur, tu meurs
Il y a quelque chose de pourri au sein de la Commission européenne, une atmosphère faite de rancœurs et de haines recuites dont l’expression est la rumeur. Elle court, se propage, et tue. Elle veut Jean-Claude Juncker déprimé, fatigué, dépassé et annonce son intention de tout lâcher. Impossible de démentir, personne ne veut plus croire.
La seconde partie de son mandat s’annonce pénible. Le quotidien italien La Repubblica l’a annoncé lundi prêt à abandonner si en mars il constate l’impossibilité de relancer la machine européenne, bloquée par le divorce avec le Royaume Uni. Les sources sont européennes et des plus estimables, assure le quotidien. Deux hommes sont prêts à le remplacer : le Néerlandais Frans Timmermans et le Finlandais Jyrki Kaitainen.
L’annonce est du même calibre que celle publiée le 13 février par Politico. Le site se livrait à une longue analyse sur la course à la succession ouverte par la décision de Jean-Claude Juncker de ne pas briguer un second mandat à la présidence de l’institution. Les « deux hommes qui veulent le job » étaient nommés : Frans et Jyrki.
Rumeurs, affirme l’entourage du président. « Fake news », s’est même risqué le porte-parole Margaritis Schinas, qui s’est fait taper sur les doigts pour avoir utilisé la rhétorique hostile à la presse du nouveau président américain Donald Trump.
Mais le mal est fait. « Il renonce, épuisé », a lancé le quotidien Le Monde dans un éditorial très sombre après avoir « découvert » que Jean-Claude Juncker ne souhaitait pas rempiler en 2019. « Je n’ai rien dit de nouveau », a commenté l’intéressé dans une feinte surprise. Il l’avait explicitement dit à Jean Quatremer dans un entretien publié en décembre dernier et c’était la chute choisie par notre confrère.
La rumeur révèle un profond malaise au sein de la Commission européenne. Plusieurs commissaires, dont les deux prétendants, ne sont pas considérés par le président et ils en souffrent. Leurs fonctions sont inexistantes et leur rôle réduit. Juncker a ses favoris, des femmes et des hommes qu’il apprécie. Autant il sait se montrer démonstratif dans l’affection, autant il peut être cassant dans le rejet. Et lorsque le patron, mécontent, ferme sa porte, tout l’appareil suit. La disgrâce est difficile à vivre. Elle libère la parole et les oreilles sont nombreuses à Bruxelles pour recueillir les doléances et se faire l’écho des tensions au sein de l’exécutif. Il ne faut pas croire que Jean-Claude Juncker ignore d’où partent les coups. « Il sait tout », assure son entourage. Mais ils le servent. Ils mobilisent ses soutiens. Les dirigeants européens sont très partagés sur le président de la Commission européenne, mais ils ne peuvent se permettre d’ajouter une nouvelle crise.
Jean-Claude Juncker n’a rien inventé. Jacques Delors en son temps menaçait régulièrement de partir si les dirigeants européens refusaient de le suivre. Ils pestait ensuite contre les agences de presse qui annonçaient son intention de démissionner. Jean-Claude Juncker a vécu cette période aux premières loges. Un peu de dramaturgie permet de garder la main lorsque la partie s’annonce difficile. Mais les temps ont changé. Les participants sont plus nombreux et leurs opinions publiques sont déçues par cette Europe qui ne les écoute pas. La rumeur peut alors tuer le bluffeur