Rome et la promenade des Anglais
La rupture avec le Royaume Uni a sonné l’heure des décisions pour les autres membres de la famille européenne, mais l’avenir est conditionné par les choix électoraux des Français. Soit ils élisent l’europhobe Marine Le Pen et c’est la fin de l’Union, soit ils choisissent un européen critique comme François Fillon ou Benoît Hamon et ce sera la stagnation, soit ils décident de faire confiance à Emmanuel Macron et la relance sera possible.
L’auteur de ces lignes n’est pour rien dans cette description de l’issue de la présidentielle en France. Elle a été formulée par l’ancien président du Conseil italien Enrico Letta et par le vice-chancelier allemand et ancien président du SPD Sigmar Gabriel, deux hommes de gauche et deux Européens convaincus. Elle est également entendue à Bruxelles où Emmanuel Macron est considéré comme le seul candidat à avoir un véritable engagement européen. « François Fillon c’est la poursuite de l’intergouvernemental et Benoît Hamon veut la peau de la Commission européenne », explique l’entourage de Jean-Claude Juncker.
Macron Président et Schulz Chancelier
« Imaginez : Macron devient président et Schulz Chancelier ». Sigmar Gabriel a ainsi adoubé Emmanuel Macron lors du congrès du SPD qui a intronisé Martin Schulz comme candidat pour la Chancellerie. Le Français a tout fait pour séduire. « Je ne gouvernerai pas sans l’Allemagne, je ne gouvernerai pas sans l’Europe », a-t-il assuré dans un entretien au Bild lors de sa visite à Berlin. Un ton qui tranche avec les attaques de François Fillon contre « les Allemands assis sur leurs excédents » .
Enrico Letta lui aussi mise sur Emmanuel Macron. «L’avenir de l’Europe est dans les mains des électeurs français. Si Marine Le Pen gagne, alors l’Europe c’est fini. Mais si Emmanuel Macron l’emporte en France et si en Allemagne nous avons une grande coalition avec Merkel et Schulz, deux européens convaincus, alors je fais le pari qu’en octobre, nous aurons une grande initiative européenne tirée par la locomotive franco-allemande ». Son optimisme fait du bien en ces temps moroses où il est de bon temps d’enterrer l’Union européenne pour son soixantième anniversaire
La grande messe au Capitole de Rome risque d’être décevante. Le texte de la déclaration était encore conflictuel la veille de la réunion et la Pologne menaçait de ne pas la signer. Ce soixantième anniversaire de la signature du traité fondateur tombe au plus mauvais moment pour l’Europe. La Grande Bretagne a décidé de quitter l’Union. Après avoir défendu le maintien, le nouveau Premier ministre, Theresa May, a décidé de respecter le vote de ses compatriotes et de lancer la procédure de rupture le 29 mars. La dernière promenade européenne des Anglais durera au moins deux ans et elle sera pénible.
Ce divorce sera dans tous les esprits à Rome, d’autant que les autres membres de la famille sont plutôt mal en point. Les dirigeants des grands pays sont soit des fantômes comme François Hollande, soit des intérimaires comme l’Italien Paolo Gentiloni, soit des mal élus comme l’Espagnol Mariano Rajoy. Même la chancelière Angela Merkel aura la tête ailleurs, engagée dans une campagne pour sa réélection beaucoup plus difficile depuis l’entrée en lice de Martin Schulz. « Aucune décision ne sera prise à Rome. Les choix se feront après les élections en France et en Allemagne », explique un diplomate de haut rang. A Rome, il s’agira de montrer que l’on reste unis face à l’adversité. « L’idée est de prendre acte du départ de la Grande Bretagne et de faire renouveler les vœux de mariage par les autres membres de l’Union », soutient sans rire un responsable européen.
Le débat est mal engagé
Mais le débat sur l’avenir de l’UE à 27 est mal engagé. La Commission européenne a mis sur la table cinq options. Elle ne sont pas ses choix, mais le résultat des positions exprimées par les dirigeants européens. Ce sont eux les décideurs. Le développement d’une Europe à plusieurs vitesses grâce aux coopérations renforcées tient la corde. Rien de nouveau. La première date de 2010. Ironie de l’histoire, elle a été lancée entre neuf pays pour aider au règlement des divorces internationaux. Une autre a été constituée pour les brevets et une troisième pour créer une taxe sur les transactions financières. Elle devait entrer en vigueur en 2014, mais les négociations se sont enlisées, un des 11 participants, l’Estonie, s’est retiré et l’initiative est aujourd’hui menacée.
L’Europe des coopérations renforcées n’est peut être pas la solution. L’un des grands anciens, l’ancien président de la Commission européenne Jacques Delors, était contre. « Ça ne peut pas marcher, parce qu’un pays peut opposer son veto », expliquait-il. Pour lancer une coopération renforcée, les règles sont très strictes : il faut l’accord des 27 pays et ensuite la participation d’au moins 9 d’entre-eux. Or l’option d’une Europe à plusieurs vitesses est déjà contestée par la Pologne.
Un autre plan est possible, mais il est plus périlleux car il impose un nouveau traité. Jacques Delors préconisait en son temps la constitution d’une avant garde de pays désireux et capables d’aller plus loin dans l’intégration. Le concept a été relancé par l’ancienne vice-présidente de la Commission européenne, la conservatrice (PPE) Luxembourgeoise Viviane Reding. « L’Europe devrait se regrouper autour d’un groupe central d’État membres prêts à s’engager dans une véritable Europe politique, sociale et fiscale. Ils seraient accompagnés par d’autres Etats membres disposés à aller de l’avant dans un nombre significatif mais limité de domaines et entourés par un cercles de partenaires », a-t-elle plaidé dans un communiqué publié la veille de la réunion de Rome. L’épouvantail du noyau dur a ainsi été redressé. Ce serait la fin de l’UE, car il entraînerait des exclusions a aussitôt mis en garde l’ancien Premier ministre finlandais Alexander Stubb.
A Rome, l’avenir de l’UE à 27 s’annonce assez sombre. Il faudra plus qu’une bonne dose d’optimisme pour éviter que le départ des Britanniques ne provoque une implosion ou un naufrage de l’Union européenne.