Rebelle ou soumise, l’Europe se cherche face à Trump
Floués, vexés et furieux, les dirigeants européens ont douloureusement réalisé avec le sabordage de l’accord avec l’Iran combien Donald Trump les méprise et les considère comme des ennemis s’ils osent contester ses décisions. Vont-ils se soumettre ou se rebeller ?
La décision de Donald Trump de réactiver immédiatement toutes les sanctions contre l’Iran et contre les entreprises européennes opérant dans ce pays sonne comme une déclaration de guerre commerciale. Le conflit couvait depuis sa décision d’instaurer des taxes sur les importations d’acier et d’aluminium. Le président américain a joué un temps au chat et à la souris avec les Européens. La mise à mort ne devrait plus tarder maintenant qu’il a dévoilé son jeu avec l’Iran.
Richard Grenell, le nouvel ambassadeur des Etats-Unis à Berlin, a signifié tout le mépris de l’administration américaine pour les Européens en sommant les entreprises allemandes qui sont en Iran de « cesser immédiatement leurs activités » quelque heures après l’annonce par Donald Trump de sa décision. Un ton comminatoire très mal vu, mais en ligne avec la mission donnée au « diplomate » arrivé à Berlin le jour même . Trump ne ménage pas ses critiques contre l’Allemagne, considérée comme un ennemi car coupable de creuser le déficit commercial américain et de refuser de payer sa part pour les dépenses militaires au sein de l’Otan.
Federica Mogherini, la représentante pour la diplomatie européenne, veut se battre. L’accord avec Téhéran est le grand succès de son service et elle refuse sa mise à mort.
« L’Union européenne est déterminée à agir conformément à ses intérêts en matière de sécurité et à protéger ses investissements économiques », a-t-elle affirmé dans la foulée de l’intervention de Donald Trump. La Commission européenne va examiner les possibles contre mesures à mettre en place et le déplacement à Téhéran du commissaire à l’Energie, l’Espagnol Miguel Canete, du 18 au 21 mai est maintenu.
L’Europe ne cache pas les craintes suscitées par les missiles iraniens, de plus en plus puissants et dont la portée est de plus en plus longue. Mais elle veut éviter que l’Iran sorte de l’accord sur le nucléaire. Donald Trump joue la déstabilisation du président Hassan Rouhani, fragilisé par les difficultés économiques. Ses adversaires, partisans d’une confrontation avec l’Occident, sont nombreux et certains se sont enrichis grâce aux sanctions, souligne un responsable européen impliqué dans le dossier. Pour cela, l’Europe va devoir contrarier Washington et défendre ses entreprises. Ses banques sont vulnérables, car leur avoirs aux Etats-Unis peuvent être gelés au titre des sanctions américaines si elles financent des activités en Iran. C’est le principe de l’extraterritorialité des lois américaines. Les activités des pétroliers comme Total sont également menacées. Or les champs pétroliers et gaziers iraniens sont stratégiques pour la diversification des approvisionnements des pays européens, trop dépendants de la Russie pour leurs achats.
Jusqu’au dernier moment ils ont espéré que Donald Trump opterait pour une rupture en douceur. Ils avaient été informés de sa décision de quitter l’accord, mais restaient dans l’incertitude pour les sanctions. « Donald Trump a choisi la pire des solutions », ont déploré les services de la Commission européenne. « L’activation immédiate de toutes les sanctions est peut être la moins mauvaise chose, parce qu’elle permet immédiatement aux signataires de l’accord de prendre les mesures », soutient Nathalie Tocci, directrice de l’Istituto Affari Internazionali (IAI) et conseillère de Federica Mogherini dans un entretien à la revue Formiche.
Mais elle ne se fait pas beaucoup d’illusions. « Les Européens ont le choix entre l’Alliance atlantique et l’accord sur le nucléaire avec l’Iran », a-t-elle résumé. La position de la France est à ce titre jugée ambiguë. Si le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian soutient que « l’accord n’est pas mort », le Président Emmanuel Macron dit le contraire.
« Nous travaillerons collectivement à un cadre plus large couvrant l’activité nucléaire, la période après 2025, les missiles balistiques et la stabilité au Moyen Orient, en particulier en Syrie au Yémen et en Irak ». La position du chef de l’Etat français a ravi l’administration américaine, car c’est exactement ce que Trump demande, a souligné un porte-parole du département d’État Andrew Peek. Mais vouloir renégocier un accord international dont l’Iran a scrupuleusement respecté les clauses est hasardeux.
« Je suis très sceptique quant au fait qu’une renégociation incluant les missiles puisse aboutir », confie Nathalie Tocci. « L’Iran n’a pas l’intention d’abandonner son programme. C’est une question profondément enracinée dans le pays. Les Iraniens le considèrent comme un pilier de la sécurité nationale et un puissant instrument de dissuasion, compte tenu des missiles irakiens qui ont annihilé le pays dans les années 1990 », explique-t-elle.
L’Union européenne a jusqu’à présent refusé de toucher à l’accord sur le nucléaire dont le but est d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme. Emmanuel Macron veut les convaincre de le faire. La réponse lui sera donnée pendant le sommet sur les Balkans occidentaux organisé les 16 et 17 mai à Sofia. La position face à Donald Trump sera le plat principal du diner des chefs d’État et de gouvernements de l’UE. Il risque de rester en travers de la gorge de certains convives.