Iran: quitte ou double européen
Face à Donald Trump, déterminé à asphyxier l’Iran pour renverser le régime des ayatollah, le sauvetage de l’accord sur le nucléaire conclu avec Téhéran en 2015 s’apparente à une mission impossible. L’opération est devenu un test de crédibilité pour les Européens.
Sur l’image prise au ministère des Affaires étrangères à Téhéran, le chef de la diplomatie iranienne Mohammad Zarif et le commissaire européen à l’Energie Miguel Arias Canete sont tout sourire. Mais elle est trompeuse. Au cours de la réunion, l’Iranien a confié à son interlocuteur combien il lui devenait difficile de calmer les durs du régime, favorables à la reprise du programme d’enrichissement pour doter leur pays de l’arme nucléaire.
Premier responsable occidental reçu à Téhéran depuis la décision des Etats-Unis de se retirer de l’accord et de réimposer des sanctions économiques, le commissaire espagnol était l’interlocuteur parfait. Les Iraniens lui ont demandé l’assurance de pouvoir continuer à vendre leur pétrole et leur gaz malgré les sanctions américaines. L’enjeu est considérable: le secteur de l’énergie a fait entrer 50 milliards de dollars dans les caisses de l’Etat en 2017, soit 80% des recettes d’exportation, selon les données européennes.
L’Iran est revenu sur l’échiquier pétrolier avec une production de 3,8 milliards de barils par jours dont 70% est vendue à la Chine, à l’Inde, à la Corée du Sud et au Japon. Pour le moment Téhéran n’envisage pas d’augmenter sa production.
L’Europe joue dans l’arrière-cour. Elle achète 20% du pétrole iranien pour 9 milliards de dollars, soit l’équivalent du montant des exportations européennes vers l’Iran. Les acheteurs sont l’Espagne, la France, l’Italie, la Grèce et les Pays-Bas.
L’intérêt est ailleurs, dans les gisements de gaz en pleine mer. L’Iran possède les plus importantes réserves gazières au monde après la Russie. Elles sont estimées à 191 trillions de m3. L’essentiel de la production de gaz est utilisé pour la consommation interne. Les exportations ont représenté 10 milliards de m3 en 2017, vers la Turquie et l’Irak.
L’Europe s’est positionnée avec ses pétroliers. Total, associé au Chinois CNPC, est présent sur Pars Sud, 40% des réserves, 58% de la production Le groupe français a déboursé 4,8 milliards de dollars pour détenir 50,1% des parts du consortium. L’anglo-néerlandaise Shell est en attente sur un autre lot. Ils sont la principale cible des sanctions américaines.
Trop grands, trop exposés aux Etats Unis (Total a 10 milliards d’actifs aux Etats-Unis, 90% de ses financements viennent de banques américaines et 30% de son actionnariat est américain, ils vont devoir partir dès l’entrée en vigueur des sanctions à l’automne. Le bouclier juridique européen (le blocking statute de 1996) ne peut les protéger. Seule une exemption accordée par les autorités américaines pourrait leur permettre de poursuivre son projet gazier en Iran. « La probabilité que nous obtenions une exemption est très faible », a jugé le 1er juin son PDG Patrick Pouyanné. Les Chinois vont très certainement prendre la place, déplorent, amers, les responsables européens.
Les Iraniens ne comprennent pas et sont plus que circonspects. « M. Canete nous a présenté verbalement un certain nombre de propositions et de mesures destinées à contrebalancer la décision américaine et nous espérons qu’elles vont se concrétiser », a souligné le vice-président iranien Ali Akbar Salehi, premier interlocuteur du commissaire européen et artisan de l’accord sur le nucléaire.
« Pour le moment (…) nous attendons de voir si ces mesures débouchent sur des résultats tangibles », a-t-il insisté. « Dans le cas contraire, nous serons contraints de prendre une décision que personnellement je ne souhaite pas ». Il faudra un an pour faire de l’Iran une puissance nucléaire si son programme d’enrichissement d’uranium est relancé à un niveau industriel, avertissent les experts.
Le temps presse. Les Européens multiplient des déclarations, mais ils sont au pied du mur. L’idée chemine d’utiliser l’euro pour les transactions sur le pétrole iranien, réglées via des transferts entre les banques centrales européennes et la banque centrale iranienne. Des assurances seront souscrites dans les Etats européens importateurs pour les cargaisons, comme cela se fait en Grèce, en France et en Italie. Pour l’instant tout cela existe sur le papier. Manquent les décisions politiques.
« C’est une idée de la banque centrale iranienne de faire de l’euro la monnaie de référence si cela permet de simplifier le processus des flux. Nous devons étudier cette possibilité, de même que la question de transferts de liquidités en une seule fois d’un Etat membre à la Banque centrale d’Iran. Nous parlons de sommes importantes. La question est sommes nous, les Européens, capables de monter des véhicules financiers novateurs et d’établir des garanties », m’a confié le commissaire Canete.
« Les Iraniens ont un doute. Ils se demandent si les Européens sont capables de ne pas plier face aux intérêts américains et d’accepter d’affronter les conséquences de la politique américaine. Je crois que le sujet est crucial et va déterminer le rôle de l’Union européenne », a-t-il conclu.