La surprise du chef
Donné pour politiquement mort après le sommet de l’Otan, Jean-Claude Juncker revient de l’enfer grâce à une trêve commerciale conclue à Washington avec Donald Trump, mais il se garde de tout triomphalisme, car le président américain est très versatile.
« Rien n’est gravé dans le marbre », ont averti ses collaborateurs. Tout est déclaration d’intentions. Mais le président de la Commission européenne a rempli sa mission. Donald Trump a accepté de ne pas imposer de nouveaux droits de douane sur les berlines allemandes tant que les deux blocs négocient pour éliminer leurs droits de douane sur les biens industriels.
Jean-Claude Juncker revient de loin. Les images le montrant euphorique et titubant, soutenu par deux dirigeants pendant le sommet de l’Otan, ont été désastreuses. Des doutes ont été émis sur sa capacité de rester à la tête de la Commission européenne jusqu’au terme de son mandat, à l’été 2019. Il a été très affecté par ces critiques, blessé dans son amour propre. Il s’est alors lancé dans une série de déplacements en Chine, où il a obtenu l’engagement de Pékin de travailler à une réforme de l’Organisation mondiale du Commerce, puis au Japon pour la signature d’un accord de libre échange.
Le voyage aux Etats-Unis était plus délicat. Donald Trump est un dirigeant imprévisible et cruel. Il n’a pas hésité à humilier Emmanuel Macron et Angela Merkel, venus lui demander de ne pas taxer l’acier et l’aluminium européen parce que cela ne se fait pas entre alliés. Après leur avoir fait croire qu’il pourrait être sensible à leurs arguments, il a changé d’avis et est passé à l’acte. Pire, il a ensuite poursuivi la chancelière de sa vindicte, l’accusant pendant le sommet de l’Otan de financer la machine de guerre russe avec ses achats de gaz. L’UE était devenue une ennemie et une profiteuse.
Jean-Claude Juncker s’est efforcé de calmer les attentes sur son voyage à Washington. D’autant que Trump à multiplié les tweets rageurs et belliqueux en guise d’accueil. « Je ne suis pas excessivement optimiste », a-t-il lâché à son arrivée à Washington. Mais pas question de se laisser marcher sur les pieds. « Nous répondrons du tac au tac », avait-il averti. Un train de mesures de rétorsions européennes était prêt au cas où Trump déciderait de taxer les automobiles. Un vrai « brutal killer » s’est donc présenté à la Maison Blanche.
A la surprise générale, la réunion s’est bien passée et Jean-Claude s’est même permis de donner une bise à Donald, après avoir soigneusement évité de lui serrer la main.
Concrètement, il n’y a rien. « Nous ne sommes pas encore au niveau de l’accord », a averti un des négociateurs européens. « L’UE a souscrit des déclarations d’intention, mais n’a pris aucun engagement », a-t-il souligné. Les Européens achèterons davantage de soja et de gaz naturel liquéfié américain seulement si les prix sont compétitifs. Le marché reste le maitre. « Nous ne sommes pas une économie soviétique », a-t-il rappelé, caustique.
« La déclaration commune lue par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et par le président Donald Trump permet d’éloigner, voire d’éliminer le péril d’une guerre commerciale majeure entrainée par des tarifs supplémentaires sur les voitures européennes au nom de la sécurité nationale des Etats-Unis », a-t-il insisté. « En ce sens, c’est un excellent résultat », a-t-il commenté.
La trêve a été conclue parce que les mesures de représailles adoptées par les victimes de Donald Trump commencent à faire mal aux Etats-Unis. « La pression est très forte au niveau national pour arrêter les guerres commerciales », explique le négociateur européen. Le terrain était donc favorable à Jean-Claude Juncker. « Trump voulait une voie de sortie », a-t-il expliqué.
De cette rencontre Jean-Claude Juncker a gagné le respect de Donald Trump. Le président des Etats-Unis a trouvé le numéro de téléphone de l’UE, et c’est celui qui fait sonner le vieux Nokia du président de la Commission européenne. De quoi réveiller un mort.
One thought on “La surprise du chef”
Je suis désolé, mais je ne partage pas cet optimisme. On essaye de propager l’illusion qu’on peut faire la paix tout seul pourvu qu’on ait de la bonne volonté. Mais la guerre commerciale, il faut une personne pour y consentir, la paix ne peut se faire qu’à deux.
En l’occurrence, ce qu’a fait Juncker, c’est que pour parer à une menace, il a fait une concession. Une concession européenne contre zéro concession américaine. Et si demain Donald Trump menace de nouveau ? Une autre concession ?
Ce n’est pas tant le soja en soi ou le gaz liquéfié qui pose problème, mais le fait qu’on est prêt à mettre en jeu notre acquis européen, les normes, sans aucune contrepartie, juste la fin de la menace (et avec Trump les promesses n’engagent ceux qui y croient). Les normes européennes, c’est ce qui fait notre force, c’est ce qui justifie que l’Europe ambitionne d’avoir un poids dans le monde, qu’elle veuille l’influencer pour promouvoir un projet de civilisation, surtout dans un enjeu aussi important que la protection de la planète.
Pour résumer le résultat de la visite de Juncker (du moins de mon point de vue): ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable. Guère encourageant !
Ainsi donc, on hypothèque ce pourquoi on souhaite peser. Au final, on en vient à se demander si Juncker représentait l’intérêt général ou l’industrie automobile allemande. Pour cette raison, je souhaite que la France s’oppose à cette déclaration d’intention.
Si Trump souhaite la guerre commerciale, la seule solution, c’est de s’y préparer, pas d’essayer de retarder l’inéluctable. Et là-dessus je suis très optimiste, car l’expérience montre que l’UE triomphe là où tout le monde la donne perdante. Je suis intimement convaincu que nous autres Européens pouvons botter les fesses des cousins pour leur enseigner à ne pas nous marcher sur les pieds à tel point que la seule industrie qui sera rentable outre-atlantique, ce sera celle des anti-dépresseurs.