La faute à l’Allemagne
La monnaie unique européenne aura 20 ans le 1er janvier 2019. Mais elle est encore loin d’être établie, reste fragile aux crises et pourrait sombrer si les gouvernements européens n’ont pas le courage de forcer l’Allemagne à lever son blocage sur les réformes nécessaires pour lui donner un Etat et une légitimité, soutient Jean Quatremer dans son dernier opus, « Il faut achever l’euro ».
Le double sens du titre résume la thèse développée par l’auteur: soit les Européens terminent le travail lancé par les « pères fondateurs » de l’euro, soit ils lui donnent le coup de grâce.
Disons le tout de go: ce gros pavé de 666 pages n’a rien d’un pensum infernal. Il est bien écrit, instructif et captivant. Les réunions de l’Eurogroupe ne sont en rien folichonnes et les grands argentiers des 19 pays membres de la zone euro ne sont pas tous de joyeux drilles, même si l’assemblée compte quelques zèbres. La lecture du livre de Quatremer redonne un sens historique et une perspective à cette instance qui, il faut le rappeler, est informelle, statue à huis clos et à l’unanimité, sans aucun contrôle parlementaire, ni national, ni européen.
Correspondant à Bruxelles du quotidien Libération depuis 1991, chroniqueur pour l’émission « La faute à l’Europe » sur France Info et auteur de « Ces hommes qui ont fait l’euro » publié en 1999, Quatremer domine son sujet.
« L’euro, projet politique à l’origine, n’a pas été accompagné des partages de souveraineté nécessaires pour qu’il devienne l’instrument d’une puissance politique », déplore-t-il.
Chroniqueur de la construction européenne depuis près de trente ans, Quatremer plonge ses lecteurs dans l’histoire de l’euro, enfant de mai 68 porté par la France et l’Allemagne puis, trahi par la brouille entre ses géniteur, abandonné, encore chétif, aux coups de colère des marchés et à la défiance des citoyens. Il a survécu. Les europhobes comme Marine Le Pen en France ne se risquent plus à réclamer son abandon. Mais il n’est pas sauvé pour autant.
L’auteur pousse un coup de gueule contre l’incapacité de l’Allemagne et de la France à s’entendre depuis le non français au Traité constitutionnel européen en 2005 et il dénonce « l’impérium germanique ».
« Berlin a réussi le tour de force de se placer au centre du système: rien ne peut se faire sans elle ou contre elle au sein de la zone euro. Le Bundestag et la Cour constitutionnelle fédérale sont devenus le Parlement et la Cour suprême de la zone euro », souligne-t-il.
La France, ancrée dans l’inter-gouvernementalisme, a laissé faire. Berlin a investi les institutions et placé ses femmes et ses hommes aux fonctions clefs. Le chapitre « l’impérium germanique » laisse pantois et devrait interpeller à Paris.
« L’hubris allemande est devenue le problème de la zone euro », affirme-t-il. « Toutes les solutions imaginées par la Commission, le Parlement, la France et la plupart des économistes pour stabiliser la zone euro et pour la démocratiser se heurtent à un puissant +nein+ »
Les outils sont sur la table: un budget conséquent –plusieurs points du PIB de la zone euro– pour lui permettre de jouer le même rôle que le budget fédéral américain; un Trésor européen doté de la capacité d’emprunter sur les marchés à des taux durablement bas; un ministre des Finances contrôlant ce budget sous la surveillance d’un Parlement de la zone euro; une union bancaire achevée.
Seulement voila, Berlin freine la refondation voulue par Emmanuel Macron. L’Allemagne n’est pas seule, mais elle commande. Les avancées obtenues lors du sommet européen de décembre sont minimales: une ligne de financement dans le budget de l’UE. Pas de ministre des Finances et rien sur la création d’un fonds monétaire européen.
Les oiseaux de mauvais augure ont maintes fois prédit la mort de l’euro. Certains ont même donné une date: il ne survivra pas à l’année 2011 (Emmanuel Todd), il ne passera pas l’hiver 2011-2012 (Jacques Sapir et Jacques Attali) , 2016 sera la fin (Nouriel Roubini). La monnaie unique a jusqu’à présent déjoué tous ces pronostics et Quatremer a adoré railler les « doctor doom ». Mais à son tour il est gagné par le pessimisme. « Il n’est nullement exclu que la prochaine crise emporte l’euro dans sa prime jeunesse ». C’est écrit à la page 14. Le lecteur est tout de suite dans l’intrigue.