Jeu de dupes
Le divorce entre l’Union et le Royaume Uni est un marché de dupes. Chacune des deux parties à sous estimé l’autre, sa volonté, ses intérêts, et au final tout le monde sera perdant, avec le risque d’une détestation mutuelle et l’engrenage de mesures de représailles.
Theresa May joue ses dernières cartes avant le 29 mars, date fixée par la loi britannique pour le divorce. Mais le Royaume Uni n’a plus aucun crédit au sein de l’UE . Les engagements pris par la Première ministre n’ont aucune valeur, car aucun n’a jamais été tenu. Ses homologues de l’Union européenne sont las. Donald Tusk, leur représentant, l’a signifié lors d’une inhabituelle déclaration avant le sommet européen du 21 mars: « Il y a une fatigue de plus en plus visible liée au Brexit et elle est justifiée », a-t-il lancé.
L’enjeu de la réunion est simple: Theresa May s’est engagée à soumettre une troisième fois au vote de son Parlement l’accord de sortie négocié avec l’UE après le sommet. En contrepartie elle demande à ses homologues de donner une caution politique aux garanties juridiques apportées à l’accord et plaide pour une courte prolongation jusqu’au 30 juin afin de finaliser sa ratification avec l’adoption d’une série de lois au Royaume Uni.
Le pessimisme sur ses chances de passer là où elle a échoué à deux reprises était palpable au sein de l’Union. « L’espoir d’un succès final peut paraître fragile, voire illusoire, mais nous ne pouvons renoncer à rechercher jusqu’au tout dernier moment une solution positive », a lancé M. Tusk.
Mais les concessions ont été mesurées. La prolongation demandée jusqu’au 30 juin a été recalée. Elle sera au maximum jusqu’au 22 mai, veille des élections européennes.
L’Union a calé devant le risque juridique mis en avant par la Commission européenne. « A partir du 23 mai, si le Royaume Uni est toujours dans l’Union et n’a pas organisé d’élection pour les Européennes, la Commission européenne devra lancer une procédure d’infraction et à partir du 2 juillet, lors de la première session du nouveau Parlement européen, n’importe quel citoyen pourra saisir la Cour de justice de l’UE au motif que l’Union est mal représentée au Parlement et que tous les actes pris sont nuls et non avenus, ce qui signifie un blocage de l’Union », a expliqué le représentant d’un état membre.
Cette prudence est un signe évident de défiance. Les Européens se sont braqués et certains sont décidé à ne plus faire de concessions. « Theresa May a déjà dupé ses homologues avec ses engagements non tenus. Maintenant ils ne lui accordent plus aucune confiance », a confié un autre diplomate de haut rang. « Nous sommes allés à la limite du possible », a-t-il insisté.
Les gouvernements européens sont exaspérés. « L’ambiance est très mauvaise (…) Nous sommes réellement épuisés par ces négociations », a averti le ministre allemand des Affaires européennes Michael Roth.
« Nous sommes dans une impasse du fait de la décision des Britanniques et l’incertitude est insupportable », a pour sa part lâché son homologue française Nathalie Loiseau.
Theresa May n’est pas indifférente au mépris affiché par ses homologues devant son incapacité à s’imposer à son parti et a constituer une majorité de coalition pour éviter le chaos d’un divorce acrimonieux. Elle a craqué lors d’un sommet européen et est apparue au bord des larmes après les critiques de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne.
Tout le monde attend sa démission si elle échoue pour la troisième fois devant son Parlement. Ce sera la condition pour accorder une dernière chance qui imposera un long report de la date de sortie du Royaume-Uni, avertissent les plus durs au sein de l’Union.
« Il n’est pas question de renégocier l’accord de divorce » reste la ligne. Mais les positions entre les 27 divergent sur les conditions. La France refusera son accord à une demande de report si elle n’est pas motivée par un plan crédible », a averti le chef de la diplomatie Jean-Yves le Drian. « We need a game changer », insiste Paris en anglais à l’adresse des décideurs britanniques.
« Il n’est pas question d’une prolongation dans le brouillard », confirme un allié de Paris. Mais Berlin est sur une ligne plus modérée, reconnait Paris. Or l’unanimité est requise.
En cas d’échec du troisième vote à Westminster, un nouveau sommet pourrait-être convoqué avant le 29 mars et il sera difficile pour l’Union, car il pourrait provoquer une fracture entre les 27.
Un divorce sans accord devient de plus en plus probable, et l’inquiétude gagne, car tout le monde ne s’est pas préparé pour cette échéance.
« On ne peut pas être favorable à un +no deal+, car il provoquera un chaos dont une partie seulement est prévisible », a averti un diplomate.
« On peut arriver à quelque chose de monstrueux », a-t-il insisté.
« Nous avons fait le maximum pour être prêts, mais on n’est jamais tout à fait prêt », a-t-il reconnu. La France assure avoir pris les mesures nécessaires, mais de source européenne, on averti que le port de Calais, porte commerciale vers le Royaume Uni, n’est absolument pas prêt.
L’autre crainte est un cercle vicieux de représailles et de confrontation.
« S’il n’y a pas d’accord, je crains une sortie désordonnée, dans le désarroi, avec des mesures d’urgence de part et d’autre », confie un ancien haut fonctionnaire britannique de la Commission européenne.
« L’ambiance sera détestable, avec une campagne hostile au Royaume Uni pour rejeter la faute sur l’Union européenne, accusée d’avoir cherché à humilier et punir les Britanniques. J’ai très peur d’escarmouches entre bateaux de pêche dans la Manche. Cela peut très mal tourner », met-il en garde.