Les loups et l’agneau européen
Un géant économique, un nain politique. L’Union européenne semble se complaire dans ce cliché. Mais les temps ont changé. Des brutes ont pris le pouvoir un peu partout et avoir de l’influence ne suffit plus. Il faut le pouvoir pour être respecté.
Le vouloir est une chose, l’obtenir une autre. « L’Union européenne est encore un acteur en quête de son identité. Elle ne sait pas encore quel rôle elle veut jouer ». L’Espagnol Josep Borrell est cruel, mais son diagnostique est posé. Haut représentant pour la politique étrangère dans la nouvelle équipe de dirigeants européens, il est bloqué chaque jour par l’impossibilité de trouver l’unanimité pour agir.
« Borrell a les idées claires, il est politique et il a une vision stratégique. Il est comme on l’escomptait », se félicite le représentant d’un grand Etat fondateur. Le franc-parler de l’Espagnol agace, mais il est intelligible et il secoue. Chacune de ses interventions est un coup de fouet pour une Union européenne de moins en moins unie, repliée sur ses égoïsmes nationaux.
Ses dirigeants n’enflamment plus, ne partagent plus. Ils gèrent. Et ils condamnent l’Union européenne à la petitesse. Si l’un d’eux affiche des aspirations, elles sont sabordées. La confiance a disparu. L’Europe navigue au compromis. Elle avance au rythme d’un caboteur, incapable de prendre le large, car elle n’a pas été conçue pour résister aux tempêtes.
La négociations de son budget pour la période 2021-2027 va être un nouvel épisode de médiocrité. Les ambitions affichées vont être laminées par la mesquinerie de quelques uns. Car chez ces gens là, monsieur, on ne rêve pas, on compte. Les radins sont quatre: Danemark, Pays-Bas, Suède et Autriche. Ils veulent limiter le budget commun à 1% du PIB européen. L’Allemagne les couve, car ils servent ses intérêts: limiter sa contribution nette, conserver la maitrise de ses excédents budgétaires, protéger son industrie contre la révolution climatique.
« Une Europe qui a un budget autour de 1% de son produit intérieur brut n’a pas de vraie politique, surtout quand chacun est obsédé par la redistribution dans son pays », a averti Emmanuel Macron.
Le Brexit est passé par là. Un très important contributeur net, le Royaume-Uni, a quitté l’Union et laisse un trou de 75 milliards à combler sur la période. Tout le monde va devoir contribuer plus et obtiendra moins. La négociation va porter sur la répartition des pertes. Elle devra être équitable pour être acceptable.
Les priorités sont très différentes et ce sera « très difficile » avertit le président du Conseil européen, le Belge Charles Michel. Paris et Berlin vont devoir surmonter leur divergences. Elles sont profondes. « En arriver à comparer sa contribution nette, c’est du niveau de l’épicerie », déplore un négociateur.
Un accord sera trouvé. Peut être pas du premier coup. Le sommet extraordinaire du 20 février devra sans doute être doublé. Le résultat ne sera pas glorieux, sauf si une entente est trouvée pour enfin doter le budget commun de ressources propres et confier certains financements à la Banque Européenne d’Investissements (BEI), comme le propose Charles Michel.
Le projet est audacieux, compréhensible et quantifiable. L’UE fait aujourd’hui payer aux entreprises le droit de polluer 25 euros la tonne de CO2. Ces revenus sont intégrés dans les budgets nationaux et il n’est pas question de les verser au pot commun. Mais le prix du CO2 va augmenter. La proposition consiste à allouer les revenus supplémentaires obtenus avec le renchérissement des doits à polluer au budget européen. Montant estimé par les services de la Commission: 8 à 9 milliards d’euros par an.
L’autre idée demande une mise de fonds, car il faut augmenter le capital de la BEI. Dix milliards en cash, 90 milliards en garanties, 500 milliards d’euros de potentiel par l’effet levier pour financer des projets stratégiques dans les domaines du numérique, de la Recherche et du climat.
Malheureusement, de cette négociation budgétaire, on retiendra surtout la bataille sur les rabais réclamés par l’Allemagne et le club des radins. L’image de l’Union ne sortira pas grandie de l’affichage de la pusillanimité de ses dirigeants.
Ainsi affaiblie, L’Union européenne ne sera jamais un acteur sur la scène internationale. Juste un agneau bêlant « il faut, il faut » incapable de se donner les moyens pour agir et surtout pour peser. Pourtant les armes ne lui manquent pas. Mais elle n’a pas la volonté politique de les utiliser.
« Si vous pouvez avoir de l’influence sur les décision des autres et les contraindre à faire ce que vous avez décidé, alors vous avez le pouvoir. Sinon, vous avez juste de l’influence ». Josep Borrell ne mâche pas ses mots. Et ils ont une portée certaine lorsqu’ils sont prononcés au cours de la Conférence pour la sécurité à Munich, le rendez-vous annuel de tous ceux qui comptent dans le monde.
« Les Européens doivent faire face au monde tel qu’il est, et non tel qu’ils le souhaitent. Cela signifie qu’ils doivent réapprendre le langage de la puissance et combiner les ressources de l’Union européenne de manière à maximiser leur impact géopolitique ».
Car l’Europe aujourd’hui est seule, lâchée par un président américain qui la déteste. Les loups sont au pouvoir à Washington, Moscou et Pékin. Accords commerciaux, dévaluations des monnaies, technologies sont devenues des armes au service de la puissance, analyse l’Espagnol.
« Le pays qui contrôle aujourd’hui la 5G ou l’intelligence artificielle ou l’internet et qui établit les normes numériques mondiales sera le chef de file mondial », soutient-il.
L’Union affiche cette ambition. Mais faute de se donner les moyens, elle risque de louper le coche.