Fermé jusqu’au nouvel ordre

Fermé jusqu’au nouvel ordre

« Soit le virus tue l’Europe, soit l’Europe tue le virus ». Arancha Gonzales Laya a brutalement résumé l’enjeu. La riposte financière se prépare, mais la ministre espagnole des Affaires étrangère a raison de s’inquiéter: l’Union est encore désunie face à la crise.

« Fermé jusqu’au nouvel ordre ». Les affichettes se sont multipliées sur les devantures des commerces à Bruxelles et un peu partout ailleurs en Europe. Un virus minuscule mais mortel à mis l’Union a genoux.  Personne ne sait encore quand, ni même si elle va se pouvoir se relever et dans quel état.

L’Italie, l’Espagne, la France ont fait fermer toutes les activités non essentielles et ordonné un confinement strict. Les autres pays ont suivi, en ordre dispersé, car tous ne sont pas touchés de la même manière.

L’Union a mal débuté pour affronter la  pandémie. Certains l’ont même niée. « On est mal entrés dans le confinement. Maintenant il s’agit de bien en sortir », a confié un des dirigeants européens lors de leur sommet virtuel du 10 mars.

Une sortie cela se prépare. Les optimistes espèrent voir le bout du tunnel début mai. Mais avant cela, il faut se mettre d’accord sur les instruments pour fournir des liquidités aux Etats membres et, surtout, avancer dans le débat sur le plan de relance.

La réunion du mardi 7 avril sera déterminante. Les ministres des Finances doivent s’entendre sur un méga plan de 500 milliards d’euros de financements pour aider les gouvernements à se remettre sur pieds. Ils doivent également proposer des instruments capables de permettre de lever des sommes colossales –on parle de l’équivalent de 2 à 3 points de PIB de l’UE — pour relancer l’économie.

Le Portugais Mario Centeno préside l’eurogroupe, l’entité informelle des ministres des Finances des 19 pays de la zone euro. Il a cité trois sources de financements pour les 500 milliards : une ligne de crédit de l’ordre de 240 milliards d’euros par le biais du Mécanisme Européen de Stabilité (MES), une capacité de 200 milliards d’euros de prêts de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et 100 milliards de prêts prévus par l’instrument SURE conçu par la Commission de Bruxelles pour financer les plans nationaux de chômage partiel. Tout ces montants seront empruntés sur les marchés financiers avec la garantie donnée par les Etats.

L’accord n’est pas encore acquis. Mario Centeno évoque des « résistances » au sein de l’Union. Les Pays-Bas et les pays Nordiques sont toujours rétifs, mais  « les Allemands ont bougé », a expliqué le représentant d’un Etat membre.

Les conditions pour les lignes de crédits du MES sont encore un sujet de frictions entre le Nord et le Sud. « Il y aura une forme de conditionnalité », a reconnu le président de l’eurogroupe. Mais il n’est pas question de programme d’austérité, comme lors de la crise de la dette souveraine.

« L’objectif est d’annoncer à l’issue de la réunion: nous avons une force de frappe de 240 milliards d’euros et nous sommes prêts à l’utiliser », confie le diplomate.  Ce sera « un message politique à l’adresse des marchés et une preuve de solidarité ».

Ce nouveau paquet de 500 milliards d’euros vient s’ajouter aux 2.770 milliards d’euros mobilisés depuis le début de la crise.

L’Union utilise tous les instruments à sa disposition. Le budget commun a été essoré. Les réserves et les marges ont été utilisées. 3 milliards viennent d’être alloués pour répondre aux urgences sanitaires. Il reste un peu moins d’un milliard dans les caisses pour des « circonstances exceptionnelles ».

Le Pacte de stabilité a sauté et il devra être repensé. Les fonds structurels non utilisés par les Etats ont été débloqués pour parer aux urgences. Même les règles pour les aides d’état ont été transgressées.

Tous ces moyens ont permis de maintenir le navire Europe à flot. Mais il va falloir se montrer créatifs et généreux pour le relancer. Le dirigeants européens l’ont explicitement demandé dans leur déclaration commune le 10 mars.

L’Union européenne va-t-elle être capable de penser et de s’entendre sur un nouvel instrument financier? Difficile. Les Nordiques considèrent que les 3 instruments sur la table suffisent. Neuf pays qui demandent la possibilité de créer de la dette en commun pensent différemment.

« Une chose est certaine : nous ne pourrons nous en sortir rapidement que si nous nous aidons les uns les autres. Sinon, cela prendra beaucoup, beaucoup de temps et les conséquences sociales seront d’autant plus graves ».  La Danoise  Margrethe Vestager n’a pas dissimulé ses préoccupations dans un entretien à plusieurs quotidiens européens

Des investissements massifs vont être nécessaires pour assurer la reprise économique et l’emploi, aider les secteurs les plus affaiblis, lancer les grands chantiers dont la révolution numérique et la lutte pour le climat et, surtout, assurer l’indépendance de l’UE pour certaines productions qui jusqu’à présent avaient été externalisées.

L’ordre de grandeur est estimé entre 2 et 3 points du PIB européen. Le commissaire à l’Industrie Thierry Breton a évoqué le montant de « 1.600 milliards d’euros supplémentaire à mettre sur la table » par les Européens et insisté sur la  nécessité que « chacun puisse emprunter de façon équitable » .

Le budget pluriannuel sera la base de ce plan de relance, mais il faudra relever le plafond des ressources propres constituées par les contributions nationales, soutiennent les responsables de la Commission. La proposition de budget à 1,07% du Revenu National Brut européen est clairement insuffisante, assurent-ils.

Ce ne sera pas aisé. Un groupe constitué par les Pays-Bas , l’Autriche, la Suède et le Danemark, soutenus par l’Allemagne, veut le limiter à 1% du RNB.  L’échec du dernier sommet sur le budget est dans toutes les mémoires et l’image du Premier ministre néerlandais Mark Rutte, chef de file des « frugaux-radins », venu avec un livre de partitions musicales pour tuer le temps car il n’y avait pas matière pour négocier,  a marqué les esprits.

« Il est très probable que les solutions ne résident pas dans les outils dont nous disposons et qu’il faudra en trouver de nouveaux, dont nous n’avons même pas encore discuté », a souligné Margrethe Vestager.

Un nouvel instrument commun pour lever des fonds avec des garanties très fortes s’impose comme une nécessité et il faut le mutualiser pour permettre des conditions préférentielles pour les emprunts.  Mais il faut qu’il soit acceptable pour tous.

« Les circonstances sont exceptionnelles et exigent des prises de position fortes : nous pouvons être à la hauteur de la situation ou échouer en tant qu’Union », a averti le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez dans une tribune publiée par Le Monde . « Nous vivons un moment critique où même les pays et les gouvernements les plus européistes, comme l’Espagne, ont besoin de preuves d’un réel engagement ; ont besoin d’une solidarité forte », a-t-il insisté.

Cela impose d’apaiser les tensions entre le Nord et le Sud.  Il faut oublier l’émission d’euro-obligations, tente d’expliquer  à ses compatriotes l’ancien chef du gouvernement italien Enrico Letta,  à contre courant de la position du gouvernement dirigé par Giuseppe Conte. Mutualiser les  dettes existantes est inacceptable pour l’Allemagne et pour  les Pays-Bas . La contrepartie serait le droit de regard sur les dépenses nationales.

Enrico Letta préconise la création d’un instrument  au sein d’une institution existante, la BEI ou le MES, pour mettre en œuvre la politique convenue conjointement en réponse à la crise.  Cet instrument devrait émettre une obligation unique pour lever des fonds.  300 à 400 milliards d’euros pourraient ainsi être levés par le biais d’obligations d’une durée de 30 à 50 ans, affirme-t-il dans une tribune co-signée avec les économistes Carlo Cottarelli et Giampaolo Galli publiée dans la Repubblica en Italie et le Handelsblatt en Allemagne .

La France défend pour sa part la constitution d’un fonds « limité dans le temps » et doté d’une capacité d’endettement. Cet instrument viendrait en complément du budget pluriannuel.

Les commissaires Thierry Breton et Paolo Gentiloni ont également fait part de leurs idées dans une tribune publiée par le Corriere della Sera

Ces propositions et d’autres seront soumises aux dirigeants européens lors de leur prochain sommet virtuel programmé « juste avant Pâques, ou juste après ».

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