Une puce, un monstre et un nuage

Une puce, un monstre et un nuage

La bataille pour la protection des données industrielles s’engage et elle sera meurtrière pour l’Europe si elle reste passive. L’Union cherche à se mobiliser. Son commandant en chef est Français. Le super commissaire Thierry Breton a une vision claire de ce qui doit et peut être fait. Il attend d’avoir les moyens de passer à l’action.

« Aucune entreprise n’est prête à ce jour à créer un +Cloud industriel+ avec des éléments de sécurité et les services associés ». Parole de spécialiste. Le jeu est ouvert, l’enjeu est posé.

L’Union européenne a « offert » les données personnelles de ses citoyens. Elle sont pillées par les Gafam, l’acronyme des géants du web, les groupes américains Google, Amazone, Facebook, Apple et Microsoft, qui dominent le marché du numérique. Elle sont vendues comme des marchandises et utilisées en toute discrétion par l’administration américaine grâce au Cloud Act.

« Il n’est pas question de faire la même erreur pour les données industrielles, qui seront plus importantes et stratégiques ».

Aujourd’hui, 16% des entreprises de l’UE utilisent un système « d’informatique en nuage » grâce à un fournisseur de services. Ces société sont américaines (Amazon, Google, Microsoft), chinoises (Huawei) et européennes (Orange, Atos, Cap Gemini, OVH).

L’Union européenne doit se doter de son propre « nuage industriel », l’environnement virtuel qui permet à des sociétés d’échanger des données sensibles en toute sécurité. Elle bouge en ce sens.

« Notre souveraineté numérique repose sur trois piliers indissociables: puissance de calcul, maîtrise de nos données et connectivité sécurisée ». Thierry Breton martèle le message dans toutes ses interventions depuis sa prise de fonction au sein de la commission européenne présidée par l’Allemande Ursula von der Leyen.

Derrière cette conquête de la souveraineté numérique se dissimule la souveraineté militaire. Avion de combat du futur, capacités spatiales, cyber-sécurité: les enjeux sont conséquents. Ancienne ministre de la Défense, Ursula von der Leyen est au fait de cette réalité. Et ce n’est pas un hasard si le super-commissaire Breton a reçu l’Espace et la Défense dans son gigantesque portefeuille.

L’Union Européenne doit s’affranchir de la tutelle des Etats-Unis. La présidence arrogante et brutale de Donald Trump a été un coup de fouet salutaire. L’Amérique est devenue une rivale et une menace, au même titre que la Chine. C’est tout le sens du plaidoyer d’Emmanuel Macron dans son entretien au Grand Continent, avec une version en anglais. 

Le plan d’action de Thierry Breton a deux axes: combler le retard technologique et se  protéger contre les prédateurs.

La puce, ce sont les microprocesseurs. Ces composants micro-électroniques sont le coeur, le moteur, des monstres, les supercalculateurs.

« L’Union européenne a arrêté son développement technologique à un certain niveau et s’est mise en dépendance avec les sous-traitances. Elle doit maîtriser le premier chaînon. C’est la condition de sa souveraineté numérique », explique-t-on à la Commission.

Thierry Breton a l’ambition de faire des entreprises de l’Union les meilleures au monde pour les processeurs de haute performance. Dans cet univers, petit est synonyme de puissance.

L’Union représente 10% de la production mondiale de microprocesseurs, mais ils taillent 14 nanomètres quand les groupes américains et taïwanais sont à 5 nanomètres.

Une start-up, SiPearl, ambitionne de fournir en « 2021-2022 » un microprocesseur capable de  motoriser les premiers supercalculateurs exaflopiques européens. Ces machines ont la puissance de calcul pour les application d’intelligence artificielle et les simulations précises dans le domaine de la médecine ou de la météo.

SiPearl est dirigée par l’ancien vice-président d’Atos et ancien directeur général du consortium européen de processeur européen EPI. Le consortium est piloté par Atos, constructeur de supercalculateurs. Thierry Breton était le PDG d’Atos avant de devenir super-commissaire à l’Industrie. Il connait bien son dossier.

Mais il ne créée rien. Le projet de supercalculateurs a été lancé par la commission Juncker en 2018 avec une entreprise commune, EuroHPC, constituée par 12 pays européens dont la France et l’Allemagne, dotée d’un budget de 1,5 milliards d’euros (500 millions du budget européen, 500 millions des Etats membre et 500 millions du privé). Il va monter en puissance et tenter d’embarquer l’Union dans le projet des ordinateurs quantiques.

« Avec le quantique, on craque tout », assure un expert. Aucun système de cryptage ne résistera, et une confidentialité totale sera assurée pour la transmission des données. Le haut débit avec la 5G pour la rapidité du traitement et une connectivité grâce à des satellites en orbite basse compléteront le dispositif.

La 5G peut être totalement européenne dans l’Union. Le groupe finlandais Nokia et le suédois Ericsson peuvent fournir des solutions complètes si le groupe chinois Huawei devait être écarté pour des raisons de sécurité, assure la Commission

L’exécutif bruxellois propose de consacrer 8 milliards d’euros au cours des six prochaines années pour permettre à l’Union de monter à l’assaut de « la nouvelle frontière » du quantique.

Ce sera « la bataille de la taille, de la puissance et de l’efficacité énergétique », car les monstres consomment énormément: la production annuelle d’une centrale thermique pour une utilisation permanente.

Il faut également organiser la défense. Thierry Breton propose un Digital Service Acts, une législation, pour faire plier les Gafam. Il veut leur imposer une supervision, à l’image de celle imposée aux grandes banques, et leur imposer des obligations. Les manquements seront sanctionnés, non par des amendes, mais par des interdictions d’exercer sur le marché européen.

Mais tout cela ne pourra se réaliser que si les Etats membres de l’UE ont la volonté politique de se lancer dans cette aventure et, surtout, de se donner les moyens financier.

Les coupes sombres réalisées dans les propositions de la Commission lors de la négociation du budget européen pour la période 2021-2027 ont écorné la crédibilité des ambitions affichées. La Défense et l’Espace ont laissé plusieurs milliards avec les taillées exigées par les Etats « frugaux » menés par les Pays-Bas.

Thierry Breton voit le verre à moité plein. « L’Europe a la volonté politique et les moyens de ses ambitions », soutient-il.  Pour preuve: les Etats ont accepté de dédier « un minimum de 20% des dépenses du plan de relance doté de 750 milliards d’euros pour la transition numérique ».

Seulement voila, les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. L’Union a démontré à maintes reprises la justesse de cette objection. Une partie des revenus tirés de la vente de droits à polluer devait servir à financer la transition énergétique. C’était stipulé dans l’accord Climat de 2008.  L’engagement n’a jamais été tenu.  L’argent est resté dans les caisses des Etats.  Aujourd’hui il leur est demandé de les verser au budget européen afin de le doter de nouvelles ressources pour rembourser le grand emprunt commun du Plan de relance. Mais l’Allemagne dit « Nein ».

 

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