Grain blanc sur l’Europe

Grain blanc sur l’Europe

L’Europe semble complètement paumée. « Elle est comme le lapin devant le serpent » à attendre la décision des Britanniques le 23 juin, ironise un responsable européen . Va-t-elle connaître la triste fin du lapin ? « Je suis inquiet,  mais pas pessimiste »,  m’a confié le plus europhile des Britanniques de la Commission européenne. « Il faut être préparé à tous les scénarios »,  a-t-il toutefois insisté.

 

« Brexit » ou « Bremain », l’Union va affronter un sérieux coup de vent, et comme elle n’a pas de capitaine à la barre, il n’est pas certain qu’elle se redresse.  « Elle n’a pas été conçue pour affronter les tempêtes », reconnaît le représentant d’un grand pays.

Certains misent sur une crise salutaire.  Mais ils sont très peu à y croire.

Le moment hoisi par David Cameron pour organiser ce référendum à haut risque est très mauvais, car la France et l’Allemagne se préparent à entrer en campagne électorale et la défiance s’est installée vis à vis d’une Europe incapable de parler aux gens.

« Les institutions européennes sont faibles, les gouvernements sont faibles, les divisions se sont multipliées entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud. C’est du jamais vu », déplore Jean-Claude Piris. Ancien chef des services juridiques de la Commission et rédacteur des traités européens, il a été impliqué dans le règlement de trois crises provoquées par des référendum: le non danois à Maastricht en 1992 et le rejet du projet de Constitution européenne par la France et les Pays Bas en 2055.  Mais pour les Britanniques, il n’y aura pas de repentir.

Le pessimisme gagne au fil des sondages, car ils donnent le Brexit gagnant.

« Difficile d’être optimiste », reconnaît Donald Tusk, le président du Conseil européen.

Le meurtre de la députée travailliste pro-européenne Jo Cox a choqué, mais personne ne peut dire quel sera son impact sur le scrutin. Seule certitude, il devrait « calmer le jeu » pendant les derniers jours de la campagne.  Le continent se prépare au départ des Britanniques. «L’Union ne sera pas en danger de mort », assure Jean-Claude Juncker, le patron de la Commission européenne. Donald Tusk a un avis plus tranché. « Le Brexit va marquer non seulement le début de la destruction de l’Union européenne, mais aussi de la civilisation occidentale », a-t-il averti. « Ce sera une catastrophe », renchérit le président du Conseil italien Matteo Renzi.

Les Britanniques ont toujours été mal à l’aise dans l’Union européenne. Le Royaume Uni a toujours eu un pied dedans et un pied dehors. Il a adhéré à un grand marché, mais n’a jamais voulu d’un projet politique. A force de lui concéder des faveurs, le 24 juin, l’Union va tomber de Charybde en Scylla : une lente agonie ou le chaos.

Si les Britanniques restent, l’Union européenne sera à deux vitesses et aura des destinations différentes. La Grande Bretagne s’est engagée à ne pas bloquer le train le plus rapide. En contrepartie, elle aura le droit de bénéficier du grand marché et n’aura aucune autre obligation. Ce régime de faveur fait déjà des envieux. Le Danemark, les Pays Bas, la Pologne pourraient demander à bénéficier de ce statut particulier et cette Europe à la carte inquiète. Les partis d’extrême droite se sont jetés sur cette option. Marine Le Pen, qui caracole en tête dans les intentions de vote pour la présidentielle de mai 2017, le réclame déjà pour la France. L’Union européenne entrera alors dans une lente agonie.

Si les Britanniques optent pour le splendide isolement, ce sera le chaos. Le départ de la Grande Bretagne pourrait avoir  un effet de contagion. L’euroscepticisme a déjà gagné la plupart des pays du continent. L’ancien premier ministre italien Enrico Letta, homme de gauche et européen convaincu, évoque « deux ou trois années d’instabilité ». La séparation est prévue et encadrée par l’article 50 du traité de Lisbonne, mais « ce sera un divorce sans règles, avec des disputes légales interminables », a-t-il prédit sur France Inter. L’Union européenne et la Grande Bretagne vont être considérablement affaiblies par cette bataille, car elle va générer une période d’incertitude, ce que détestent les investisseurs. Les fonds américains et asiatiques risquent de se détourner .

L’Union européenne est elle condamnée au naufrage ? Oui si la France et l’Allemagne sont incapables de reprendre la barre très vite.

« Si ces deux pays ne mènent pas le jeu, s’ils restent en campagne électorale pendant un an, alors il n’y aura plus d’Europe. Le 24 juin, soit on avance, ou bien on recule. On ne peut pas attendre l’élection présidentielle française en mai 2017 et les législatives de septembre 2017 en Allemagne, car ce sera une année de perdue et alors on aura perdu l’Europe », avertit Enrico Letta.

Mais pour cela, il faut rebâtir un consensus entre les deux pays. Ce sera difficile, car la France ne peut pas traiter à égalité avec l’Allemagne. Son déficit, sa dette, ses difficultés à mener les réformes nécessaires l’ont affaiblie et l’image de son président, François Hollande, est au plus bas en Europe. Jean-Claude Juncker s’est montré particulièrement mordant lors de l’annonce d’une initiative franco-allemande en cas de Brexit. « Il faudrait déjà que le président français ne laisse pas cette idée à l’état de squelette et qu’elle prenne corps », a-t-il lancé.

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