Ténèbres sur l’Europe
L’attentat contre Charlie Hebdo a signé la fin d’une illusion. L’Europe sans frontières a constaté son impréparation face au terrorisme intérieur et a réagi en ordre dispersé. La France a instauré l’état d’urgence et des murs ont été érigés un peu partout pour repousser les terroristes, assimilés aux migrants dans une même peur. La journaliste italienne Giovanna Panchieri dresse ce constat amer dans « Il Buio su Parigi », récit d’une plongée dans les ténèbres commencée le 7 janvier 2015 au 10 de la rue Nicolas Appert à Paris, siège de l’hebdomadaire satirique.
Cette chronique peut sembler étrange car le livre n’a pour le moment été publié qu’en Italien. L’idée est d’inspirer un éditeur pour une version française. Les attentats de Paris sont une histoire européenne. Le regard et le travail d’un correspondant étranger éclairent cette tragédie sous un autre angle, passionnant à découvrir.
Il est des livres de commande et des livres catharsis. « Il Buio su Parigi » entre dans cette seconde catégorie. Ce n’est pas un hasard si Giovanna Panchieri l’a dédié à ses parents, victimes de sa passion pour l’information. Correspondante pour la chaine d’information en continu italienne SkyTG24 basée à Bruxelles, Giovanna a vécu cette descente aux enfers. Son récit est à la première personne et à plusieurs voix: celles de Gérard, de Jean-Luc, de Hugo, de Dario et de Luciana.
Il s’ouvre avec un entretien réalisé en 2012 avec « Charb », le directeur de Charlie Hebdo, cible des frères Kouachi, qui l’ont abattu le 7 janvier 2015 pendant la conférence de bouclage de l’hebdomadaire. La tuerie fera douze morts et onze blessés. Les tueurs seront abattus deux jours plus tard. Les événements s’enchainent avec la prise d’otages meurtrière dans une superette casher racontée par l’un d’eux, Jean-Luc Slakmon; la grande marche républicaine à Paris avec 40 chefs d’état et de gouvernements et la réalisation du numéro spécial « Je suis Charlie » dévoilée par Gérard Biard, un des historiques de l’hebdomadaire. La mort reviendra frapper à Paris quelques mois plus tard avec l’équipée meurtrière des commandos belges le 13 novembre au Stade de France et au Bataclan. Le récit de Hugo, blessé par plusieurs balles dans le bar du Carillon est hallucinant. Ceux de Dario et de Luciana, le frère et la mère de Valeria Solesin, la jeune italienne tuée dans le massacre perpétré au Bataclan, sont poignants. La terreur se transportera à Bruxelles avec les attentats commis le 22 mars 2016 à l’aéroport et dans le métro. Il y aura ensuite Nice, puis Berlin, Londres et Barcelone. L’Europe découvre un nouvel ennemi. Il est né ou a été élevé ici, il est imprévisible, solitaire, radicalisé au nom d’un islam dévoyé, et il frappe près de chez lui en lançant son véhicule sur la foule ou à coup de couteau. A chaque fois, la douleur et l’émotion et surtout la peur, cette peur résumée en deux paroles « nous et eux » qui nourrit les populismes et les extrémismes
L’écriture de Giovanna est rapide, concise, et les témoignages font revivre ces événements dans toute leur horreur. Dans le même temps, la journaliste se découvre, raconte son épuisement et confesse son besoin d’être en permanence sur l’événement, au risque de blesser sa famille et de se condamner à la solitude. Triste épilogue d’un livre très fort.