Juncker, le dernier gardien de l’Union

Juncker, le dernier gardien de l’Union

Jean-Claude Juncker vit à 62 ans un conflit de génération. Son Europe, édifiée dans l’enthousiasme et parfois dans la souffrance, est aujourd’hui menacée par une génération de quadragénaires menée par le Français Emmanuel Macron, partisans de tout dynamiter pour la refaire à neuf et prêts à évincer les récalcitrants. Un cauchemar pour cet européen convaincu . Il a donc décidé de les combattre avant de quitter la présidence de la Commission européenne et de prendre sa retraite en 2019. C’était tout le sens de son discours sur l’Etat de l’Union le 13 septembre 2017.

« Il y a eu la génération des fondateurs. Ils ont construit un espace inédit de paix, de liberté et de prospérité. Il y a eu une génération qui a fait croître cette Europe,  parfois l’a égarée, s’est trompée.  La notre a un choix simple, une alternative unique: continuer à gérer l’Europe comme elle va (…) et la laisser mourir,  ou la refonder ». Emmanuel Macron, 39 ans,  a bien pesé ses mots dans son discours prononcé à Athènes le 8 septembre devant Alexis Tsipras, 43 ans. Et Jean-Claude Juncker a senti le vent du boulet et le poids des  années.

Mais le vieux lion ne s’avoue pas vaincu. Une semaine plus tard, devant le Parlement européen réuni en plénière à Strasbourg, il a exposé sa vision de l’avenir,  lancé un appel à l’unification et soumis des propositions pour consolider son Europe. « Elles se fondent sur mon expérience personnelle. Toute ma vie je me suis battu pour le projet européen. Parfois j’ai souffert avec et pour l’Europe, j’ai même douté d’elle. J’ai connu les hauts et les bas, mais je n’ai jamais perdu ma passion pour l’Europe ».

Le chef de l’Etat français a suivi cet intervention, salué quelques unes des propositions par des messages sur son compte twitter,  mais il n’a pas souhaité croiser le fer. D’autres l’ont fait pour lui. Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, 50 ans, a été le plus cinglant. « Je me méfie des gens qui ont des visions. Je leur conseille de consulter un spécialiste », a-t-il lancé.  Le Luxembourgeois Xavier Bettel, 44 ans,  a pour sa part jugé que sur certaines propositions, la Commission était « hors sol ». Les critiques ont blessé Juncker.

Emmanuel Macron a annoncé son intention de proposer une feuille de route pour la refondation de l’Union après les élections allemandes du 24 septembre. Jean-Claude Juncker attend de voir. Le président de la Commission européenne n’a jamais cédé aux sirènes du couple franco-allemand. C’est une constante. Il a dénoncé à maintes reprises la tentation du directoire, au risque de s’aliéner ses dirigeants. Mais il connait bien les deux pays et les limites de leurs dirigeants. « J’ai une longue expérience du caractère parfois erratique des volontées combinées françaises et allemandes. Le moteur franco-allemand, oui, mais il ne mettra pas la voiture en marche sans la volonté des autres », a-t-il commenté dans un entretien publié par le quotidien belge Le Soir peu après son discours. Or la  confiance, le carburant pour ce moteur, manque. « Ils sont toujours d’accord sur les grandes lignes, mais pas sur les détails. Juncker le sait », explique son entourage. Et Angela Merkel ne peut pas tout se permettre.

Jean-Claude Juncker a fait l’expérience des ratés franco-allemands. Le plus flagrant a été l’accord de Deauville sur la gouvernance économique de l’UE passé en 2010 entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. C’est à dessein qu’il a rappelé sa participation aux grands sommets européens –Maastricht, Amsterdam, Nice, Lisbonne– et son expérience à la présidence des 19 pays membres de l’eurogroupe.  Jean-Claude Juncker est le dernier des grands dirigeants de l’UE et sa mémoire, car il a vécu la plupart des grands moments de son histoire jusqu’au drame du divorce avec le Royaume-Uni.

Visé par la diatribe contre « la génération qui a égaré et s’est trompé »,  il a décidé de contrer Emmanuel Macron. « De nouveaux traités ne sont pas une réponse », a-t-il insisté dans son discours. Le Chef de l’Etat français veut proposer une réforme de la zone euro dont Juncker ne veut pas, car elle crée deux Europe, creuse le fossé entre l’Ouest et l’Est, et met la Commission sur le banc de touche.
Quand Emmanuel Macron réclame « une gouvernance forte de la zone euro avec un budget de la zone euro, avec un véritable responsable exécutif de cette zone euro et un Parlement de la zone euro devant lequel il devra rendre des comptes« , Jean-Claude Juncker recadre. « Pas besoin de créer un nouveau poste. Le commissaire européen chargé de l’Economie et des Finances peut être élevé au rang de Vice-président de la Commission européenne et prendre la présidence de l’eurogroupe ». La Commission revient ainsi dans le jeu. Même raisonnement sur la création d’un Parlement de la zone-euro. « Le Parlement de la zone euro, c’est ce Parlement », soutient-il sous les applaudissement des élus. Pas nécessaire non plus de créer un budget de la zone euro, une ligne budgétaire suffit dans le budget européen, a-t-il insisté. Avant de renforcer la zone euro hors du cadre de l’UE, il faut tenter de le faire en interne, dans le cadre des traités actuels, plaide la Commission. « Il y a beaucoup de Macron la dedans, mais ce n’est pas tout Macron »,  a souligné Jean-Claude Juncker après son intervention.
Mais il  va plus loin, au risque de passer pour un utopiste. Il appelle tous les Etats qui ne l’ont pas encore fait à adopter l’euro, la monnaie européenne. 8 manquent (Pologne, Hongrie, Suède, République Tchèque, Croatie, Bulgarie, Roumanie et Danemark qui bénéficie d’un opting out négocié en 1992 après son refus de ratifier Maastricht). Et il poursuit en pronant l’adhésion de tous les Etats membres à l’espace sans frontières de Schengen. Cinq manquent (Roumanie, Bulgarie, Croatie, Chypre et Irlande). « Pour renforcer son unité, L’Union européenne doit devenir plus inclusive », soutient-il. Pour parachever cette réunification, il a proposé de fusionner les deux postes de président de la Commission européenne et de président du Conseil européen représentant les Etats. L’Union européenne a trop de présidents. Juncker parle à nouveau d’expérience. Les Américains n’ont jamais compris qui était leur interlocuteur au sein de l’UE et la situation devient grotesque dans les réunions du G-7 et du  G-20.

Communautaire contre intergouvernemental, inclusion contre marginalisation: deux conceptions de l’Europe s’affrontent. Qui Angela Merkel va-t-elle soutenir ? Wolfgang Schaüble, le puissant ministre des Finances allemand a donné une réponse. Les propositions de Jean-Claude Juncker sont « largement en ligne » avec la vision allemande, a-t-il annoncé quelques heures après le discours du président de la Commission.  Une mission de bons offices s’impose pour calmer ce conflit. « Il faudra accepter des compromis »,  a averti Jean-Claude Juncker.

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