Constat de désunion
La Commission politique est un échec, l’Union est toujours en pleine crise existentielle et elle n’a pas su profiter des vents favorables. Pire, elle déçoit les jeune européens et il s’en détachent. Le dernier discours sur l’État de l’UE de Jean-Claude Juncker va devoir remuer les esprits et mobiliser contre les nationalistes acharnés à sa perte.
L’Italie est passée du coté obscur de l’Union. Après le Royaume Uni, un deuxième grand pays a cédé aux sirènes souverainistes et populistes. La vague n’a pas été endiguée par l’élection d’Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. La France fait même exception grâce à son régime présidentiel. Mais attention, onze millions d’électeurs ont voté pour l’extrême droite. Il ne se sont pas évanouis comme par enchantement. Les Européennes en mai 2019 seront un test pour le jeune président français dont le charme s’estompe. C’est pour cette raison qu’il cherche à transformer ce scrutin en un référendum pour ou contre l’Europe. Et cette démarche déplaît aux grandes familles politiques qui jusqu’à présent ont dirigé l’Europe.
Le constat est triste. Les Européens ne sont pas convaincus par l’Europe. Depuis 1992, rien n’a bougé. Les vieilles formules des plans d’investissements pour des grands travaux sont toujours servies, mais elles ne convainquent plus . « Il y a une défiance énorme. L’Europe est aujourd’hui plus faible que les systèmes nationaux », reconnaît le représentant d’un des grands états à Bruxelles.
Le moteur franco-allemand est éteint. Les dirigeants des deux pays ne se sont pas trouvés. Ils collaborent, mais sans enthousiasme, plus par raison que par passion. L’Est et l’Ouest de l’Europe ne se comprennent pas, ne s’aiment pas. La Pologne et la Hongrie sont entrés en rébellion. Et le Sud soigne les plaies laissées par la crise de la dette et souffre encore du mépris montré par les petits riches du Nord. La Commission européenne a été ravalée au rang d’institution d’appoint, sa gouvernance choque, les pouvoirs confiés à l’Allemand Martin Selmayr, promu au rang de secrétaire général, sont jugés exorbitants et le sentiment général est que « le Berlaymont est dirigé par un mort-vivant », m’a confié un ambassadeur européen.
Jean-Claude Juncker va avoir besoin de beaucoup de caractère pour retourner la situation. Son traditionnel discours sur l’État de l’Union début septembre devant le Parlement européen montrera sa détermination ou son renoncement.
Son mandat vient a terme et il ne souhaite pas redoubler. Il peut se contenter d’un plaidoyer sans âme pour l’Union, texte fourre-tout des nombreuses idées qui vont lui être soumises, policé à l’extrême pour être politiquement acceptable par toutes les composantes de l’assemblée et par tous les dirigeants de l’Union.
Mais il peut aussi décider de secouer la maison, de refuser l’image de la Commission du Brexit, de l’inhumaine gestion de la crise grecque et de l’impuissance face au drame des migrations. Ce discours, ce sera son legs, le testament du dernier dirigeant de l’âge d’or de l’Europe. Il ne peut pas manquer sa sortie.
Le discours sur l’État de l’Union européenne est un exercice imposé pour le président de la Commission européenne. Il marque la rentrée politique des institutions avec la reprise des travaux du Parlement européen en septembre et se veut un programme d’action jusqu’à l’été suivant.
Durant tout l’été, les plumes de Jean-Claude Juncker vont coucher des idées, forger des attaques, formuler des petites phrases, échanger des éléments de langage. Les mails vont voler, les corrections se multiplier comme l’ont raconté Christophe Blain et Abel Lanzac dans la BD Quai d’Orsay.
Jean-Claude Juncker va devoir ensuite s’approprier le texte pour le faire sien. Le Luxembourgeois à une vraie personnalité. L’homme a ses défauts, il est diminué par le mal qui ronge ses os et le fait cheminer comme un vieillard qu’il n’est pas, mais il a gardé l’esprit vif. Et le sens de la répartie. Ses mots peuvent blesser et lui valoir des inimitiés. Mais il reste attachant. Le discours sur l’État de l’Union doit être celui de Jean-Claude Juncker, sans censure, celui des vérités que les dirigeants européens ne veulent pas entendre sur leurs erreurs, leurs promesses non tenues, leurs calculs politiciens.
Chaque été, il passe quelques jours au Tyrol et accorde une interview. Cette année, il a commencé a lancer quelques piques. Il évoque un conflit violent avec la Pologne, critique le Hongrois Viktor Orban, déplore les promesses non tenues vis à vis de l’Afrique, se dit inquiet du résultat des Européennes et pense que le Royaume Uni ne reviendra pas sur sa décision de quitter l’UE.
Le défi posé par les migrations et la montée des partis anti-européens seront les deux axes de son intervention. Les deux sont liés. « Si les propositions présentées par la Commission en 2015 avaient été mises en œuvre, nous aurions été épargnés », soutient-il. Mais les dirigeants européens ont refusé cet appel à la solidarité et les Européens se sont alors tournés vers les partisans des options les plus radicales.
L’extrême droite va axer sa campagne européenne sur la sécurité et va jouer sur les peurs provoquées par l’immigration. Cela réussit assez bien à l’homme fort de l’Italie, Matteo Salvini, patron du parti d’extrême droite la Ligue et tout puissant vice-premier ministre et ministre de l’intérieur du gouvernement de coalition formée avec le Mouvement 5 étoiles, né à l’extrême gauche. Il est populaire, son parti est en tête dans les enquêtes d’opinion et son bras de fer avec la France et l’Allemagne lui réussit, pour le moment.
Son action conforte le Hongrois Viktor Orban, en confit ouvert avec la Commission européenne et avec Emmanuel Macron, dont il rejette les propositions. « L’idée des Français, c’est d’imposer un leadership français financé par de l’argent allemand. Je rejette un tel projet. Nous ne voulons pas d’une Union dirigée par la France ».
Salvini et Orban sont en train de gangrener les débats en Europe. Le parti Ciudadanos en Espagne, considéré comme un allié potentiel de Macron dans la conquête du groupe Libéral au Parlement européen, s’est radicalisé avec un discours de plus en plus sécuritaire et se rapproche du parti Populaire dont les nouveaux dirigeants sont très à droite.
«Si les nationalistes l’emportent, ils vont détruire l’Europe», a averti le Premier ministre irlandais Léo Varakdar. «Le Parlement européen est une institution puissante. S’il est dominé par les nationalistes, les populistes et tous les adversaires de l’Europe, il peut tout bloquer», a-t-il souligné.
Jean-Claude Juncker partage cette inquiétude et appelle «les partis démocratiques établis au centre» à se réveiller.
La poussée des extrémistes pourrait contrarier les plans des grandes familles pour la répartition des institutions. Le prochain président de la Commission européenne devra plaire à beaucoup de monde pour être en mesure de rallier les suffrages au Parlement européen et de forger des majorités pour faire adopter les lois. Le Parti Populaire Européen, donné vainqueur dans les sondages, mais très affaibli par la perte de ses bataillons en Italie et en Espagne, aura du mal à imposer son candidat et les dirigeants européens vont chercher à imposer leur choix,
Jean-Claude Juncker n’est pas convaincu que son successeur soit en mesure de prendre ses fonctions le 1er novembre 2019 (interview à RTLlu le 3 août) et il se prépare à prolonger son séjour au 13e étage du Berlaymont, siège de la Commission européenne, un bâtiment qu’il déteste.
L’institution sera la grande perdante si elle n’a pas à sa tête une personnalité forte avec un mandat pour la réformer. «Si le compromis se porte sur une personnalité faible, l’institution va survivre, mais le coeur de la décision va se déplacer. Quelque chose prendra le pouvoir», estime un bon connaisseur de la chose européenne.