Salzbourg, un sommet crépusculaire pour l’UE

Salzbourg, un sommet crépusculaire pour l’UE

Beaucoup de calculs, une grosse dose d’égoïsme, un zeste d’arrogance, une floppée de soupçons, un brin de mépris et une pincée de déni ont composé la mixture qui permet aux europhobes de nourrir les ressentiments des oubliés de l’Europe et d’engranger les succès électoraux.  Dans huit mois, en mai 2019, les élections européennes pourraient les amener en nombre au Parlement et leur donner enfin un vrai pouvoir de nuisance, s’ils parviennent à s’unir.

Les dirigeants actuels de l’UE ont fait le lit de l’extrême droite en adoubant la coalition de gouvernement formée par le chancelier conservateur autrichien Sebastian Kurz  avec le FPÖ, le parti de la Liberté, une formation d’extrême droite nationaliste. Ces gens ne partagent pas les valeurs européennes, merde alors , aurait pu tonner le chef de la diplomatie du Luxembourg, le socialiste Jean Asselborn. Mais voila, il n’a pas protesté, car son patron, le libéral Xavier Bettel et tous autres dirigeants européens ont considéré que cette alliance ne posait pas de problèmes. Ils auraient pu au moins obliger l’Autriche a renoncer à sa présidence semestrielle de l’UE pour éviter de permettre à des ministres d’extrême droite de présider les réunions des ministres des Affaires étrangères et celles des ministres de l’Intérieur. Mais non. Les Italiens ont suivi avec la coalition formée par La Lega d’extrême droite et le mouvement populiste 5 étoiles. La thèse est que l’Union est suffisamment forte pour leur résister et les contraindre a rentrer dans le rang. Pour le moment, c’est raté. Ils mènent le jeu et la droite conservatrice européenne flirte avec leurs idées.

Le sommet informel organisé par Sebastian Kurz le 18 octobre à Salzbourg a été crépusculaire. Le cadre choisi pour le dîner de travail et l’atmosphère qui se dégage de la photographie semblent tirés des Damnés, le film de Luchino Visconti. Et au  vu des résultats, la question se pose de l’utilité de ces réunions qui suscitent de grandes attentes pour au final décevoir.

Il faut avoir la foi chevillée au corps ou être en complet déni pour soutenir comme l’a fait le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker que cette réunion a été « très utile » et « positive ». Les discussions sur les migrations, poison mortel pour l’UE, ont été renvoyées au sommet de décembre. Mais les solutions européennes touchent à la souveraineté des Etats et plusieurs gouvernements refusent de la partager.  Certains le font par calcul. La peur des migrants renforce leur pouvoir. « Viktor Orban (le Premier ministre hongrois) voit les migrations comme un jackpot », soutient un diplomate bruxellois de haut rang. « Il faut cesser le jeu des accusations mutuelles sur la migration et la division entre ceux qui veulent résoudre le problème et ceux qui veulent l’exploiter à des fins politiques », plaide le président du conseil européen Donald Tusk. Sera-t-il entendu ? Beaucoup en doutent.

L’entretien avec Theresa May sur les conditions du départ du Royaume Uni a pour sa part été vécu comme une humiliation par les Britanniques. Certes on peut se féliciter de l’unité montrée par les 27 dans la fermeté face aux prétentions de Londres. Mais est-ce que les Européens vont tirer bénéfice d’un mauvais divorce. Et les piques lancées par Emmanuel Macron contre les chefs de file du «Brexit », qualifiés de « menteurs » et de lâches, ne vont pas aider à apaiser les tensions. L’Europe ne doit pas parler aux partisans du maintien du Royaume Uni dans l’UE, mais à la majorité des Britanniques qui ont voté pour divorcer d’une Union qu’ils n’aiment pas parce qu’ils ne la comprennent pas. Oiseau de mauvais augure, le représentant d’un grand pays européen a confié avant le sommet craindre un accident alors qu’un accord semble très proche. Le sommet d’Octobre sera l’heure de la vérité. Theresa May a réaffirmé préférer un divorce sans accord à un mauvais accord. Une réunion de crise est prévue en novembre, en cas d’échec. Ce sera le sommet de la dernière chance pour éviter un chaos.

Quel jeu joue Emmanuel Macron ? Partisan affiché de la relance européenne, il se veut le fédérateur des forces progressistes contre les nationalistes pour les Européennes. « L’Europe est en danger », a-t-il  affirmé à la fin de la réunion de Salzbourg. Mais au lieu d’apaiser les tensions, il jette de l’huile sur le feu. Quel est l’intérêt de considérer que les débarquements de migrants en Italie sont un problème politique italien, alors que toute la classe politique italienne déplore depuis des années le manque de solidarité des partenaires européens . « Emmanuel Macron n’est pas un parangon de générosité quand il s’agit de l’accueil des migrants », souligne Thomas Klau, expert des affaires européennes, membre du centre de réflexion Eurointelligence.

Vouloir croiser le fer avec les populistes est ambitieux. Tous les dirigeants européens devraient se donner cette mission. Mais il faut des alliés. Il n’en a aucun. « Quelle est sa famille politique », s’interroge même ironiquement  l’eurodéputé conservateur français Alain Lamassoure. Menacer sans être certain d’être suivi est inutile. Qui va soutenir un espace Schengen réduit à quelques membres comme le préconise Emmanuel Macron ? Qui va appuyer des sanctions financières contre les Etats qui ne respectent pas l’État de droit ? La réponse a été donnée avec le traitement réservé à Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, adversaire déclaré du président français en Europe. Le Parlement européen a voté en septembre l’activation de l’article 7 du Traité de l’UE pour sanctionner ses violations répétées de l’État de droit en Hongrie, son refus de respecter les règles du jeu européen et sa dérive autocratique. Victoire à la Pyrrhus et marché de dupes. Immédiatement la Bulgarie et la Pologne ont annoncé leur opposition à toute sanction. Prise de position attendue de la part de la Pologne, sous le coup de la même procédure. Plus étrange de la part de la Bulgarie. Or l’unanimité des Etats membres est nécessaire durant la procédure. L’arme atomique de l’UE s’avère donc inefficace. Pire, le Parti Populaire Européen (PPE), la famille politique de la chancelière Angela Merkel et de Jean-Claude Juncker, refuse d’exclure Orban et son parti, le Fidez. « Orban a toute sa place au PPE », soutient Laurent Wauquiez, le patron du parti Les Républicains.

Les conservateurs restent la force la plus importante, mais ils sont menacés par les divisions et ils vont perdre beaucoup d’élus en Espagne et en Italie. Les socialistes sont au plus bas, sauf en Espagne. Les libéraux et les Verts se comptent. Et pendant ce temps, les europhobes engrangent et se mobilisent. « Le populisme croit parce que les partis traditionnels flirtent avec leurs idées » , soutient  Jean-Claude Juncker. L’Italien Matteo Salvini, dirigeant du parti d’extrême droite La Lega et vice-président du gouvernement italien est à 35 % d’opinions favorables dans les dernières enquêtes. En France, Marine le Pen talonne le parti d’Emmanuel Macron avec 21 % des intentions de vote. L’Américain Steve Banon, âme damnée du président américain Donald Trump, veut unir toutes les forces souverainistes pour les élections Européennes. Une structure, Le Mouvement, a été créée à Bruxelles. Leur capacité à former un groupe politique puissant au Parlement sera déterminante. Elle leur donnera accès à l’argent, à la parole et même, potentiellement, aux responsabilités au sein des commissions du Parlement. Ils pourraient même être en mesure d’aider à faire élire un président de la Commission européenne et un président du Parlement européen qui leur seront redevables de leur soutien. Candidat pour le poste de tête de liste du PPE et pour succéder à Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne, l’Allemand Manfred Weber veut maintenir le dialogue avec Viktor Orban et Matteo Salvini.  Le cauchemar prend forme.

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