Confrontations européennes

Confrontations européennes

Union d’Etats européens cherche un président pour son exécutif basé à Bruxelles. Un homme ou une femme jeune,  mais avec beaucoup d’expérience;  au moins trilingue, dont le Français;  une forte personnalité, mais capable de ne pas froisser les ego des 27 membres du Conseil. Les candidatures seront examinées les 20 et 21 juin pour prise de fonction le 1er novembre.Représentant du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk n’aura pas la tâche aisée. Il le sait. Le temps lui est compté. Il a trois semaines. Et il se meut en terrain miné. Il doit éviter une guerre entre le Conseil, son commanditaire, et le Parlement européen, dont le vote peut recaler le candidat. Et sa mission est compliquée par une bataille des chefs entre la France et l’Allemagne. « Ce sera difficile », confie son entourage.

Les élections européennes du 23 au 26 mai ont redessiné la carte des pouvoirs. Les deux familles politiques dominantes, les conservateurs du Parti Populaire Européen et les socialistes ont laissé beaucoup de plumes et leur alliance n’est plus majoritaire au Parlement européen. Ils doivent désormais composer avec les Libéraux et les Verts. Mais ils sont encore maîtres du jeu.

Emmanuel Macron n’accepte pas cette situation et veut bousculer les règles du jeu. L’homme n’a aucune prévention. « Ses homologues européens lui reconnaissent la légitimité et la crédibilité pour le faire, non seulement en raison de la force de son engagement européen, car le PR (président de la République) est depuis deux ans la principale force de proposition pour réformer et faire avancer l’Europe, mais aussi parce qu’il a noué de relations bilatérales solides partout en Europe ». Ces éléments de langage communiqués aux journalistes des chaines d’informations en continu de l’hexagone en disent long sur le melon pris par le chef de l’Etat et ses conseillers.

Car à  Bruxelles, le son de cloche est tout autre. Suffisance, arrogance, orgueil. Les critiques fusent. le président français est dépeint comme un homme insupportable, qui n’écoute pas et dont les jugements sont blessants. La chancelière Angela Merkel a confié vivre comme une épreuve ses rencontres avec lui. En  public elle se doit faire bonne figure. Mais les images sont souvent parlantes.

Les deux dirigeants ont de nombreuses divergences et confrontations, a-t-elle admis publiquement. Il sont en conflit sur le choix du successeur du luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne.

Le prétendant devra obtenir un double adoubement: au Conseil puis au Parlement européen où il devra s’assurer du soutien d’au moins 376 des 751 élus.

Angela Merkel soutient la candidature de son compatriote Manfred Weber, 46 ans. Emmanuel Macron ne veut pas en entendre parler et a évoqué un risque de blocage.

Le président français a raison dans son opposition. Tout le monde en convient: Manfred Weber n’a ni l’expérience, ni l’envergure pour diriger l’exécutif bruxellois et être l’interlocuteur des chefs d’Etats et de gouvernements. Inconnu dans son propre pays, il n’a jamais été ministre et son seul titre est chef du groupe du PPE au Parlement européen. Plus que léger comme CV.

Donald Tusk va devoir obtenir son retrait du jeu. Le PPE est prêt à accepter sa mise en touche s’il n’obtient ni l’aval du Conseil ni la majorité nécessaire au Parlement européen. Mais la manière dont Emmanuel Macron a géré ce problème a dressé la famille contre le chef de l’Etat français.

Si Manfred Weber doit se retirer, « aucun Français ne prendra la présidence de la Commission européenne », a averti un des caciques de la droite pro-européenne. « On a compris que Weber et Barnier s’annulent », a reconnu un membre de la famille Libérale. Tout cela est contrariant pour l’ambitieux Michel Barnier, pourtant membre du PPE. Mais le négociateur du Brexit n’est plus tout jeune et ne répond pas à la volonté de rajeunissement  affichée par la jeune garde libérale et socialiste arrivée au Conseil.  Emmanuel Macron a 41 ans, le Luxembourgeois Xavier Bettel 46, le Néerlandais Mark Rutte 52  et le Premier ministre socialiste espagnol Pedro Sanchez  47. Ce dernier n’a pas encore dévoilé ses intentions et pourrait être le faiseur de roi.

Le PPE pourrait également « tuer » la candidate de la famille libérale, la Danoise Margrethe Vestager, 51 ans. Elle coche pourtant la plupart des cases du profil recherché: femme, jeune, expérimentée après son mandat de commissaire à la Concurrence, elle est aussi respectée. Le président Donald Trump l’a surnommée la « Tax Lady » de l’UE. Son seul handicap est son pays. Le Danemark n’a pas adopté l’euro et ne participe pas à toutes les politiques commune, notamment la défense. Or la zone euro et la défense seront deux des grands enjeux européens pour les cinq prochaines années. En revanche, elle aime la France et apprend sa langue, contrairement à Manfred Weber. Elle plait à Paris. C’est sans doute son tort pour le PPE . « Elle est morte », soutient un membre du groupe au Parlement européen. L’avis est trop tranché pour être pris au pied de la lettre.

Les jeux politiciens pourraient conduire le PPE à soutenir le prétendant socialiste, l’ancien ministre des Affaires étrangères néerlandais Frans Timmermans, 58 ans. Manfred Weber a évoqué cette possibilité. Elle serait dans l’esprit de la grande coalition au pouvoir en Allemagne, mais le SPD est très mal en point et le groupe socialiste au Parlement européen est en plein désarroi. En outre, le Néerlandais est très loin d’être d’avoir l’adhésion du Conseil: la Pologne, la Hongrie, la Roumanie et l’Italie ne veulent pas entendre parler de  lui. Frans Timmermans est responsable des procédures de sanctions engagées contre la Pologne et la Hongrie pour violations de l’Etat de droit.

« Nous devons nous garder de trop blesser ceux qui ne seront pas d’accord avec notre choix, car nous aurons à trouver un accord unanime, au Conseil, sur le futur budget commun pluriannuel », a prévenu Angela Merkel. Une manière de rappeler à Emmanuel Macron comment doit se dérouler une négociation européenne.

Mais les consultations pour trouver le prochain président de la Commission européenne ont commencé sur un mauvais pied. Le Parlement européen a demandé à ce que l’élu soit désigné parmi les seuls spitzenkandidaten, les prétendants désignés par les partis politiques de l’Assemblée. Le Conseil a refusé.

Les discussions ont  juste commencé. « Le Conseil a demandé à Tusk d’explorer toutes les options, sans exclure les prétendants du Parlement. C’est une manière comme une autre de ne pas monter ses divisions internes »,  a expliqué un bon connaisseur des relations entre les deux institutions. « Toutes les cartes ne sont pas encore sur la table », a-t-il insisté.

Pour le moment, le PPE se montre intransigeant. Aucune majorité ne peut se faire sans lui et rien ne peut se faire contre lui. « Consigne a été donnée au groupe de voter Non pour tout candidat présenté par le Conseil », confie un de ses  membres.

« La clef est dans la capacité ou l’incapacité du Parlement de trouver un accord interne », soutient un des responsables de l’Assemblée. Deux coalitions sont possibles:  celle constituée par le PPE, les Socialistes et les Libéraux avec les Verts,  et une autre formée par le PPE, les Socialistes et les Verts, qui laisse les Libéraux sur la touche.  PPE et Verts ont commencé a négocier un programme législatif  « à l’allemande », a assuré un porte-parole de la droite pro-européenne.

Si une majorité se dessine au Parlement sur un programme, il sera difficile de l’ignorer.  « Personne ne souhaite un conflit inter-institutionnel. Ce ne serait dans l’intérêt de personne », a averti Donald Tusk.

La manière dont il va mener sa mission et son résultat seront un modèle pour son successeur. Car le Polonais va lui aussi céder la place et son poste fait partie du grand marché, avec celui de chef de la diplomatie européenne et la présidence de la Banque Centrale Européenne. Ces trois nominations sont de la seule compétence des seuls chefs d’Etat et de gouvernement, mais elles doivent respecter des règles bien précises de parité — Tusk voudrait deux femmes– et d’équilibres géographiques entre grands et petits Etats et entre l’Est et l’Ouest.

« L’équilibre parfait sera difficile à atteindre », a-t-il prévenu. « Cela dépendra de la bonne volonté de tous les acteurs ».

 

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