La Commission Pataquès

La Commission Pataquès

Une grosse bourde, des querelles d’ego, une candidate entendue dans les locaux de la police judiciaire à Paris  le jour de la présentation des portefeuilles: la nouvelle commission européenne élaborée par l’Allemande Ursula von der Leyen a commencé sur un mauvais pied.

Mais quelle mauvais génie de la communication a inspiré l’intitulé du portefeuille confié au Grec Margaritis Schinas ? Il sera « Vice-président chargé de la protection de notre mode de vie européen », a annoncé Ursula von der Leyen. Priée de préciser à quoi correspondait cette mission, la présidente a répondu : la migration et l’asile. Diantre. Le dossier le plus sensible du moment, celui qui a déchiré l’Union et coulé la commission présidée par Jean-Claude Juncker, sera traité d’une manière à protéger le mode de vie de notre Union européenne. Le Hongrois Viktor Orban et le leader de l’extrême droite italienne Matteo Salvini ne pouvaient rêver mieux comme approche. « Cela a des relents pas très appétissants », a déploré le vice-président des Verts Philippe Lamberts. Emoi du député européen travailliste britannique Claude Moraes qui suit ce dossier explosif au Parlement européen. « C’est insultant », a-t-il dénoncé.

Mais  » vous n’avez rien compris » ont expliqué les membres de l’équipe von der Leyen . « C’est tout le contraire. La protection du mode de vie européen fait référence aux valeurs de l’UE : la tolérance, l’accueil ». L’explication n’est pas convaincante. Il s’agit d’une grosse bourde et la polémique sera difficile à calmer. « Ce n’était pas censé être l’intitulé du portefeuille d’un vice-président », a confié un membre de la commission sortante. Mais pas question de le modifier, a averti la garde rapprochée de Mme von der Leyen. « Vous feriez mieux de vous intéresser au contenu des portefeuilles et aux projets qui sont liés à la mission des commissaires », a lancé son porte-parole. Décidement, les mauvaises habitudes se transmettent au Berlaymont.

Pourtant cette nouvelle commission porte beaucoup d’espoirs et d’attentes. Pour la première fois depuis longtemps, la France et Allemagne ont décidé de s’impliquer et de travailler avec le nouvel exécutif bruxellois pour relancer le projet européen, menacé par la remise en cause de ses valeurs, et démontrer aux citoyens ce que l’Europe leur apporte. La décision des Britanniques de quitter une Union vilipendée a sonné l’heure du réveil sur le continent. Les gouvernements des 27 autres pays se préparent à une rupture douloureuse, avec l’espoir qu’elle sera dissuasive.

On espérait une vraie équipe soudée autour d’un projet. Hélas, les querelles ont immédiatement éclaté. La commission compte une poignée de fortes personnalités visiblement incapables de collaborer.

L’une d’elle est le Belge Didier Reynders. Recalé pour le poste de secrétaire général du Conseil de l’Europe, il s’est rabattu sur la Commission de Bruxelles. Ursula von der Leyen lui a confié la Justice, mais il devra travailler en équipe avec la Tchèque Vera Jourova, titulaire de ce portefeuille dans la commission Juncker et promue vice-présidente chargée de veiller au respect des valeurs et de  l’État de droit dans l’UE. Or Didier Reynders ne l’entend pas du tout comme ça. C’est lui qui est en charge de ce contrôle.  C’est spécifié dans sa lettre de mission. Il a multiplié les interviews et les interventions sur les plateaux télévisés belges pour assurer que tel était son mandat, ignorant superbement Vera Jourova. Un bel imbroglio en perspective.

Comme la Commission Juncker, la Commission von der Leyen va souffrir de sa conception. Les fonctions s’enchevêtrent, chaque commissaire est sous le contrôle d’un vice-président et certains vont comprendre que leur portefeuille est une coquille vide et qu’il va falloir lutter pour exister.

C’est un choix de Mme von der Leyen. Il doit lui permettre de conserver la décision finale, comme l’a fait Jean-Claude Juncker.

Frans Timmermans, candidat des Socialistes pour la présidence de la nouvelle commission, a réalisé qu’il va une fois encore être contrarié dans ses ambitions. Les dirigeants européens ont imposé à Ursula von der Leyen de le nommer Premier vice-président après l’avoir recalé lors du sommet des nominations. Mais il lui ont également imposé la Danoise Margrethe Vestager, candidate de la famille Libérale, devenue Renew Europe, qui a exigé qu’elle ait  le même rang que Timmermans pour l’équilibre entre les trois grandes familles politiques de l’UE: conservateurs du parti Populaire Europen, socio-démocrate et Libéraux-centristes.

Ursula va vous surprendre, ont assuré plusieurs responsables français. En fait, elle a surtout contrarié Frans et Margrethe en désignant de sa propre autorité un troisième vice-président exécutif, le Letton Valdis Dombrovskis, tout surpris de cette marque d’estime. Les deux ténors ont grogné et Frans Timmermans, qui cache son mauvais caractère sous une grande affabilité, en a conçu un fort ressentiment.  Il est d’autant plus aigri que Margrethe Vestager fait désormais figure de +shadow présidente+  de la commission. Ursula von der Leyen lui a laissé la Concurrence, le portefeuille qui a assis sa notoriété internationale et valu le surnom de +Tax Lady+ donné par Donald Trump, et a élargi ses compétences avec le mandat de développer le numérique pour combler le rtard de l’UE dans ce domaine.

La répartition des portefeuilles a donné lieu a une « bataille féroce » et l’opération a été bouclée mardi en fin de matinée, quelques heures avant la présentation de son équipe par Ursula von der Leyen, ont confié plusieurs candidats.

La présidente va emmener tout son monde en séminaire à Genval, au sud de Bruxelles, pour apaiser les esprits et rappeler à l’ordre les fortes têtes qui ne montrent pas l’esprit d’équipe réclamé dans leur lettre de mission.

Plus embarrassant est le cas posé par Sylvie Goulard, la candidate désignée par la France. Sa mission sera de développer l’industrie européenne et de moderniser le grand marché européen. Elle sera responsable du nouveau Fonds Européen pour la Défense avec une Direction Générale spécialement créée à cette fin et de la politique spatiale. La fonction est industrielle. Pas question de financer la constitution d’une armée européenne ni d’affaiblir l’Otan. Mais sur les 5 années de son mandat, elle va gérer quelques 30 milliards d’euros de financements destinés à des projets pour les industries de défense de l’UE. De quoi éveiller les convoitises des lobbyies.

Seulement voila, Mme Goulard n’a pas pu suivre l’annonce de ses nouvelles fonctions, car à ce moment là, elle était entendue par la police judiciaire à Paris dans l’enquête sur les emplois présumés fictifs des assistants des élus européens du Modem, le parti centriste français membre du groupe libéral au Parlement européen. Elue sous l’étiquette Modem, Sylvie Goulard a été une des figures de l’Assemblée  où elle s’est fait de nombreux ennemis. Ils ne manqueront pas de se rappeler à son souvenir lors de son audition, si elle tient jusque là. Car elle fait également l’objet d’une enquête de l’Office européen anti-fraude. Et à ses ennuis judiciaires s’ajoutent les questions sur ses rémunérations par l’institut Berggruen, un centre de réflexion  fondé par un milliardaire américano-allemand.

« Je ne pense pas que Sylvie Goulard soit quelqu’un qui a besoin d’argent », a commenté Philippe Lamberts. « Je juge indécent de prendre des rémunérations pareilles pour un travail dont on se demande la nature quand on est payé à plein temps par les citoyens  pour être député européen. Je ne suis pas sûr qu’ils comprennent », a-t-il jugé. Sylvie Goulard a perçu de cet institut entre 12.000 et 13.000 euros par mois entre octobre 2013 et décembre 2015. Députée européenne en 2014, Sylvie Goulard avait jugé très sévèrement Pierre Moscovici lors de son audition pour le poste de commissaire aux affaires économiques. Le retour de balancier risque d’être violent.

Ursula von der Leyen lui a conservé sa confiance, mais elle a annoncé son intention de suivre les recommandations de l’Olaf . En désignant Sylvie Goulard malgré ses casseroles, Emmanuel Macron a mis la présidente en difficultés. Car elle connait son histoire européenne. Les turpitudes de la Française Edith Cresson ont entrainé la chute de la commission dirigée par le Luxembourgeois Jacques Santer en mars 1999. Le Portugais Jose Manuel Barroso n’a pas voulu connaitre ce sort et a limogé le Maltais John Dalli de son poste de commissaire à la Santé en octobre 2012 après la publication d’un rapport de l’Olaf  faisant état de sa  possible implication dans un  trafic d’influence en faveur d’un fabriquant de tabac. « Quand une branche est pourrie, il faut la couper si on veut sauver l’arbre », disent les paysans. Ursula von der Leyen saura trancher.

 

 

 

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