Inconséquente, l’UE se retrouve aux urgences
Création d’un centre européen de gestion de crise, capacité de lever des fonds sur les marchés, constitutions de réserves stratégiques: les dirigeants de l’Union européenne sont appelés dans l’urgence à une révolution pour regagner la confiance de leurs concitoyens, effarés par l’impréparation de l’UE à gérer une pandémie partie de Chine.
« Le coût de la +non Europe+ en matière de gestion de crise est trop élevé, comme en témoigne justement la tragédie du tsunami. D’abord l’addition des réponses individuelles organisées dans l’urgence n’est pas équivalente à une réponse européenne planifiée, organisée et testée en fonction de scénarios précis. Ensuite, la multiplication des réponses conduit à un manque d’impact et de visibilité de l’Union européenne sur le terrain faute de coordination ». Cet avertissement date de 2006. Il a été lancé par Michel Barnier.
Dans son rapport, Le Français a abordé la plupart des situations de crises et préconisé des mesures. Ses recommandations ont été ignorées par les dirigeant européens.
« Rien de ce qu’il a proposé n’a été mis en pratique », a déploré Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne. L’Espagnol a été chargé dans l’urgence et avec des moyens réduits de faire rapatrier quelque 300.000 citoyens de l’UE partis en vacances et bloqués aux quatre coins du monde.
« L’Union européenne n’a pas été armée pour faire face à des crises ». L’argument à beaucoup servi. Il est aujourd’hui irrecevable. La décision d’ignorer les propositions de Michel Barnier est une démonstration implacable des erreurs commises par la classe politique en Europe.
L’heure des comptes viendra. Mais pour l’instant, l’Union et ses dirigeants sont dans l’urgence. Il faut trouver des masques et des équipements de protection, renforcer les équipes de soignants et faire accepter des mesures de confinement de plus en plus strictes. La pandémie touche tous les Etats et chaque jour le nombre des défunts augmente.
Le sommet européen virtuel organisé le 26 mars doit mettre en oeuvre les mesures sanitaires et économiques décidées en commun. Il doit également préparer le lendemain.
Ce sera difficile. Neuf dirigeants — France, Italie, Espagne, Belgique, Portugal, Slovénie, Grèce, Irlande et Luxembourg– demandent la mise en place d’un instrument pour lever des fonds sur le marché.
Ce n’est pas la première fois que cette requête est présentée. A chaque fois elle a été rejetée par les riches, Allemagne, Pays-Bas, Finlande, hostiles à l’idée de mutualiser les dettes. Ces mêmes pays, le club des « vertueux », ont fait capoter les négociations sur le budget commun de la période 2021-2027.
Ils jouent avec le feu. « Je me dois de lancer une alerte rouge: l’avenir de l’Italie dans l’Union européenne se joue dans cette crise. Notre pays est devenu eurosceptique dans le sillage des crises de 2008 et des migrants, au cours desquelles nous n’avons reçu aucune aide des autres capitales. La population commence à croire le message erroné selon lequel nous ne pouvons compter que sur les Chinois et pas sur les Européens », a averti l’ancien président du Conseil Italien Enrico Letta, Président de l’Institut Jacques Delors.
L’Union européenne gère bien la crise, soutient-il. Il a fallu peu de temps pour prendre des mesures en soutien à l’économie. Le corset du Pacte de Stabilité sur l’endettement à sauté, les fonds du budget européen non utilisés ont été mis à disposition, le régime des aides état a été assoupli, des lignes de crédit à hauteur de 2% du PIB de l’état demandeur ont été mises à disposition dans le Mécanisme Européen de Stabilité, le Fonds de secours de la zone euro créée en 2012 pour aider les pays qui rencontraient des problèmes pour se financer sur les marchés. Et la Banque centrale européenne a mis sur la table plus de 1000 milliards d’euros.
Mais l’Union doit « préparer la sortie de crise et l’après », souligne-t-on à Paris. Le même message est lancé de Rome. « Notre déficit va s’envoler. Il faut en prendre acte et construire une économie plus solide, avoir une stratégie à plus long terme. Pour cela il faut des instruments comme les eurobonds, car les finances nationales ne suffiront pas « , plaide l’ancien ministre de l’économie italien Pier Carlo Padoan.
« Il est essentiel de ne pas refaire les mêmes erreurs que pendant la crise financière », insiste-t-on à l’Elysée. « Il ne faut pas s’arrêter là et considérer que la question suivante, la solidarité dans la gestion de la crise, ne se pose pas. Et il faut que pour l’après on ne resserre pas les vannes trop vite ».
La réflexion devra aller au delà de la reconstitution de l’économie. La crise créée par le virus Covi19 a montré la vulnérabilité de l’UE causée par sa dépendance. Les productions de médicaments et d’équipements de santé ont été externalisés en Chine et en Inde.
« Beaucoup des aveuglements, exagérations, dérives de la mondialisation devraient être remis en cause », estime Hubert Védrine dans un entretien au Figaro.
Il faut une « relocalisation » de l’industrie. « La stratégie industrielle, présenté le 10 mars par Thierry Breton, prévoit une base de réflexion solide pour les dirigeants européens », soutient la Fondation Robert Schuman .
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a exhorté les Etats membres à « se protéger » contre le risque d’investissements étrangers dans des secteurs stratégiques comme la santé, la recherche médicale, les infrastructures stratégiques. Des entreprises rendues vulnérables par la crise pourraient être la cible de prises de contrôle de la part de groupe non-européens, a-t-elle averti.
L’Europe s’est toujours faite dans la douleur. Le virus venu de Chine va chambouler beaucoup de choses. Il aura des conséquences bénéfiques, mais il va aussi laisser des zones d’ombre.
« Oui, la tempête passera, l’humanité survivra, la plupart d’entre nous seront encore en vie – mais nous habiterons un monde différent. De nombreuses mesures d’urgence à court terme deviendront un élément incontournable de la vie. C’est la nature des urgences », a prédit l’historien Yuval Noah Harari. Sa tribune publiée dans le Financial Time a été mise en accès libre par le quotidien britannique pour alimenter le débat.