Solidarité bien ordonnée
L’Europe divisée s’est retrouvée, pour un temps. Celui nécessaire pour saluer l’adoption d’un paquet de mesures de soutiens en faveur des salariés et des entreprises. Mais l’entente pourrait être de courte durée. Les désaccord subsistent sur les moyens de financer les énormes investissements nécessaires pour sortir l’Union de la crise économique. Car le virus n’a pas affecté tous les pays de la même manière. Certains sont en mesure de repartir vite. L’Italie, l’Espagne et la France ont été contraintes de cesser toutes les activités non essentielles. Les égoïsmes sont là, tapis dans l’ombre. Une solidarité bien ordonnée commence toujours par soi même.
« Chacun y trouve ce qu’il veut ». Le ministre néerlandais des Finances Wopke Hoekstra -l’homme en bleu sur la photo- a résumé à sa manière l’accord conclu au sein de l’Eurogroupe, l’instance informelle des grands argentiers européens. Il est resté méprisant jusqu’au bout vis à vis des Italiens, et plus généralement vis à vis des pays du Sud de l’Union, considérés comme de mauvais gestionnaires. Une attitude très populiste qui plait beaucoup aux Pays-Bas. Or le bonhomme est en campagne pour les prochaines élections, et tous les moyens sont bons pour tenter de prendre son fauteuil au libéral Mark Rutte et le renvoyer à sa passion pour la petite reine.
Le calcul est dangereux. Le comportement primesautier de Mark Rutte, responsable du blocage sur le budget européen lors du sommet du 20 mars, a choqué dans les autres pays de l’Union. Et les calculs de son rival durant les négociations sur le paquet financier de 500 milliards d’euros adopté jeudi ont rendu les Néerlandais très antipathiques. L’Elysée a dénoncé une attitude « incompréhensible », « contre productive » et a sommé de lever un blocage qui « ne peut être accepté » sur le recours au Mécanisme Européen de Stabilité . Un accord est intervenu quelques heures plus tard grâce à une série d’échanges téléphoniques entre « les chefs », et les Européens ont pu jouer « embrassons nous, Folleville ».
Mais personne n’est dupe. Le ressentiment ne va disparaître comme par magie. » Les Pays-Bas violent de manière flagrante la réglementation européenne d’un excédent maximum de 6% des comptes courants avec un excédent de 10,8 %: leurs exportations vers le Sud et leur implication dans l’évasion fiscale immorale des grandes multinationales – entre autres facteurs – l’alimentent. Au prix de l’inhibition de la croissance de ses voisins, puisqu’il possède beaucoup plus de richesses qu’il n’investit. Celui qui dénonce les pailles dans l’œil des autres, devrait mieux cacher les poutres des siens ». L’éditorial du quotidien El pais est cinglant. Il rappelle aux dirigeants néerlandais le peu d’estime qu’ont pour eux leurs « partenaires » de l’Union.
L’accord trouvé au sein de l’Eurogroupe doit encore être approuvé par les dirigeants européens. « Le paquet que nous avons approuvé aujourd’hui est d’une taille proche de 4 % du PIB européen, plus les stabilisateurs automatiques qui sont assez puissants pour protéger les économies européennes en cas de crise. C’est totalement sans précédent. Nous n’avons jamais, jamais réagi aussi rapidement à une crise comme celle-ci », a insisté le président de l’instance, le Portugais Mario Centeno.
Il aura fallu plus de seize heures sur deux jours pour boucler cet accord. Le ton n’a pas toujours été cordial. Le ministre français Bruno Le Maire a parlé de « négociations dures, très violentes par moment ». A l’écouter, « l’Union européenne a été au bord du gouffre « .
Beaucoup de dramaturgie, tempère un participant. « Les écarts apparaissaient très important du fait de l’expression publique de certains et de la médiatisation », a-t-il souligné.
Les débats n’ont jamais porté sur les coronabonds avec une mutualisation des dettes, devenus l’incarnation de la division de l’Europe. « Il s’agissait surtout de régler la question des conditionnalités des lignes de crédit du Mécanisme Européen de Stabilité, ce qui s’est fait par quelques ajustements du texte, sans mention de conditions », a-t-il expliqué. L’Italie avait fait de leur élimination son cheval de bataille.
Mais comme l’a souligné Bruno Le Maire, » il n’y a pas de bon compromis sans bonnes ambiguïtés ». L’accord prévoit la création d’un Fonds pour la relance et des instruments financiers innovants . Donc de l’endettement. Donc des « eurobonds » (obligations)
« A crise exceptionnelle, instrument exceptionnel », a martelé Bruno Le Maire. « Il a plusieurs caractéristiques qui permettent de répondre a certaines objection de nos partenaires. Ce fonds est pour les dépenses d’avenir, pas celles du passé et il doit servir à traiter les conséquences de la crise » économique provoquée par la pandémie du Covid-19, a assuré le ministre de la France.
Son homologue italien Roberto Gualtieri a été plus direct. « Nous avons mis sur la table les obligations européennes et retiré les conditionnalités du MES Nous présentons une proposition ambitieuse au Conseil européen et nous nous battrons pour que cela se réalise », a-t-il claironné.
Réponse du Néerlandais : « Il y a une majorité contre les eurobonds, il y a une majorité contre la mutualisation de la dette et un texte assez vague sur les instruments financiers innovants. Chacun peut y lire ce qu’il veut. Mais ne nous leurrons pas ».
La balle est désormais entre les mains des dirigeants européens. Ils se retrouveront le 23 avril en vidéoconférence, a annoncé le président du Conseil Charles Michel, satisfait de l’accord trouvé à de l’Eurogroupe pour assurer « un filet de sécurité européen de 500 milliards d’euros pour soutenir les travailleurs, les PME et les entreprises ».
» Nous préparons maintenant le terrain pour une forte reprise afin de relancer nos économies », a-t-il expliqué. Des discussions vont être menées au niveau des experts et des négociateurs des Etat membres pour préparer le terrain à une décision. Elles vont porter « sur les aspects juridiques et pratiques du Fond de Relance, y compris sa relation avec le budget de l’UE, ses sources de financement et sur les instruments financiers innovants » , a-t-il précisé. L’ancien Premier ministre italien Enrico Letta plaide pour la création d’un tel fond.
Ce sera le moment pour la solidarité européenne. Les positions sont connues. Les Néerlandais et leurs soutiens autrichiens, finlandais et danois sont opposés à une mutualisation des dettes. Ils estiment que les instruments adoptés à l’Eurogroupe suffisent. L’Allemagne n’a pas vraiment dévoilé sa position. Mais elle se rangerait plutôt au côté des Néerlandais.
La présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, en bonne Allemande, insiste sur le rôle central du budget européen pour écarter la création d’un instrument d’endettement solidaire.
Mais le sommet du 20 mars a montré que les « vertueux » n’entendent pas mettre la main à la poche. Et en vrais harpagons, ils réclament le maintien de leurs rabais. L’Allemagne était dans ce camp.
Or tout le monde s’accorde à dire, même au sein de maison de Mme von der Leyen, qu’il faudra augmenter les ressources propres, donc les contributions nationales, pour financer les immenses investissements nécessaires. Thierry Breton a cité le chiffre de 1.600 milliards d’euros. Trois fois ce qui a été approuvé par l’Eurogroupe. Le commissaire au budget, l’Autrichien Johannes Hahn insiste sur la nécessité d’élargir la capacité d’endettement de la Commission avec la garantie des Etats membres sur les ressources propres. L’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker s’est joint à la chorale et ne ménage pas ses critiques.
Seulement voila, personne n’imagine un instant un accord du club des radins qui campait le 20 mars sur un budget pluriannuel plafonné à 1 % du PIB européen. C’est pour cette raison que le débat a été lancé sur un nouvel instrument d’endettement.
L’idée serait une capacité d’emprunt et de remboursement solidaire sur la base des PIB nationaux. « Cela en ferait une forme d’instrument budgétaire avec anticipation des dépenses au début et des recettes appelées de manière étalée », explique un de ses concepteurs.
« Nous avons besoin d’un plan de relance et il est plus efficace qu’il soit coordonné et surtout qu’il n’amène pas à accroître l’écart d’endettement au sein de la zone euro ». Celle de la France va passer à 112 % de son PIB avec la crise.
« La solidarité économique entre tous les Etats est indispensable », soutiennent Jean-Luc Gaffard et Mauro Napoletano dans une tribune publiée dans Libération. En fait, compte tenu de l’interdépendance –les exportations en Allemagne représentent 48% du PIB et un peu plus d’un tiers sont dirigées vers les partenaires de la zone euro– « refuser la solidarité avec les pays méditerranéens pourrait se révéler être un boomerang pour les pays du Nord et leurs contribuables », soutiennent-ils.
Un accord sur un tel instrument est loin d’être acquis. Sa création pourrait être décidée par un groupe d’États plus volontaires. L’hypothèse est évoquée par Shahin Vallée. « Tout est envisageable si ça bloque », admet un responsable européen de haut rang. Mais sans la participation de l’Allemagne, un tel saut est irréalisable.