Trop peu, trop tard : l’UE et la peur du faux pas

Trop peu, trop tard : l’UE et la peur du faux pas

L’Union européenne ne peut pas répéter les erreurs du passé. Elle doit vaincre la malédiction du « trop peu trop tard »  Mais le temps presse. Des décisions cruciales sont attendues lors du sommet européen du 23 avril . Des « milliers de milliards » seront nécessaires pour relancer l’économie européenne. La réponse doit être commune et la solidarité lui donnera force et crédibilité.

Les chiffres donnent le vertige. Trois mille milliards d’euros ont déjà été dégagés pour renforcer les systèmes de santé, préserver les emplois et tenter de sauver les petites et moyennes entreprises. L’Union européenne est à l’arrêt pour freiner la propagation d’un nouveau virus parti de Chine. Tous les pays de l’Union ont été touchés. Les mesures décidées ont un « coût gigantesque ». Des millions de personnes sont coincées chez elles, les commerces et la plupart des activités ont été fermées. La grogne commence à monter car l’argent annoncé ne se montre pas. Et des voix s’élèvent pour dénoncer une réaction jugée démesurée, qui va « plonger le monde dans la plus grave récession depuis la seconde guerre mondiale ».

« Personne ne connaît encore le coût de la facture », a averti Charles Michel, le président du Conseil européen. « La croissance va perdre quelque chose comme 20 points au deuxième trimestre. Tous les pays ont mis en place des mesures d’aide et vont voir leur dette augmenter considérablement », lui répond Mario Centeno, le président de l’Eurogroupe , l’instance informelle des ministres des Finances des 19 pays de la zone euro.

« Il faudra des investissements massifs pour relancer. Un véritable plan Marshall », affirme la présidente de la Commission européenne. L’Allemande Ursula von der Leyen a évoqué des « milliers de milliards ». Mais elle ne précise pas comment les trouver, ni à quoi ils doivent servir.

Elle sait très bien où est le problème. L’Union est toujours divisée et la solidarité reste un mot valise. Son pays, l’Allemagne, et ses satellites néerlandais, finlandais, autrichien, et danois, sont viscéralement opposés à l’idée d’une capacité d’emprunt commune. Ils considèrent que les instruments disponibles –les lignes de crédit du Mécanisme Européen de Stabilité, la banque européenne d’investissements, le Budget – et la puissance d’intervention de la banque Centrale Européenne sont suffisants.

La notion de solidarité leur a été expliquée par le co-président des Verts au Parlement européen, le Belge Philippe Lamberts. « Si nous devons nous endetter, nous empruntons ensemble pour rembourser ensemble ».

Rien à faire. Mutualiser les dettes est inconcevable pour « les frugaux ». Ils n’ont aucune confiance dans ces cigales du sud, incapables de gérer leurs budgets. Les même « frugaux » ont fait capoter le sommet sur le budget par leur refus d’augmenter leurs contributions nationales, de renoncer à leurs rabais et d’utiliser une partie de l’argent obtenu par la vente des droits à polluer pour abonder le nouveau budget dont l’une des priorité est le Pacte Vert.

Philippe Lamberts n’y a pas été avec le dos de la cuillère lors de son intervention au cours de la session plénière extraordinaire du Parlement européen jeudi à Bruxelles. Sa cible : le gouvernement néerlandais dirigé par Mark Rutte.  « Les Pays-Bas ont privé les autres Etats membres de recettes fiscales qui leur reviennent de droit », a-t-il rappelé. Une référence aux mesures d’optimisation fiscales offertes par les Néerlandais aux multinationales pour les inciter à se baser aux Pays-Bas.

Ursula von der Leyen soutient que le budget pluriannuel de l’UE est le seul instrument pour financer la relance. « Il est accepté par tous les Etats. Il est le vaisseau mère », affirme-t-elle.  Ses services travaillent à une nouvelle proposition.

L’idée est de se servir de la marge entre le plafond des ressources propres –les contributions nationales– et le plafond des paiements.

Le budget pluriannuel 2014-2020 avait fixé le plafond des ressources propres à 1,2 % du revenu national brut européen, lorsque le budget pour les dépenses approuvées n’excédait pas 1 %, soit une marge de manœuvre de 0,2 %. Elle a permis à la Commission d’emprunter pour faire des prêts avec la garantie des Etats membres sur leurs ressources propres.

« La durabilité de la marge de manœuvre est un élément clé de l’évaluation annuelle de l’UE par les agences de notation de crédit et constitue un critère essentiel pour la notation « AAA » de l’Union européenne », précisent les experts .

La Commission européenne préconise d’ augmenter la garantie des Etats dans le prochain budget pluriannuel. L’idée de porter le plafond des ressources propres à 2 % est évoquée, mais elle n’est pas confirmée.

Mais Ursula von der Leyen ne convainc pas. « Si chacun doit doubler sa participation au budget, ce n’est qu’un accroissement des dettes nationales selon des conditions nationales, ce qui n’est pas très solidaire », souligne un diplomate de haut rang.
« S’il s’agit d’emprunter en commun, comme c’est le cas pour SURE (l’instrument pour les assurances contre le chômage), c’est déjà mieux, car ce sont les mêmes conditions d’emprunt pour tous, mais ce sont quand même les Etats qui remboursent ce qu’ils ont reçu, ce qui va accroître les écarts de dettes, car les besoins sont plutôt au sud, soit là où les dettes sont déjà les plus élevées », ajoute-t-il.
En outre, personne ne croit vraiment possible un accord sur un renforcement du budget européen. « La Commission a une bonne idée s’agissant des dépenses, mais ce n’est pas encore clair sur les recettes, qui sont quand même le sujet le plus difficile », relève-t-il .
Les discussions sur le sujet ne sont « pas faciles » au sein de la famille libérale-centriste entre Mark Rutte et le président Français Emmanuel Macron, confirme Dacian Ciolos, le président du groupe Renew au Parlement européen.

« Le budget peut être un outil, mais il ne sera pas suffisant », soutient-il. « Ce n’est pas le moment de jouer petit bras. Il faut frapper fort. Nous avons une stratégie, il faut maintenant de l’ambition ».

La France défend la création d’une structure ad hoc, capable de lever des fonds pour abonder le budget européen et remboursés de manière solidaire. L’objectif est d’éviter un accroissement des écarts entre les niveaux des dettes nationales et un resserrement trop rapide, comme ce fut le cas avec l’austérité de 2010-2011 qui a fait replonger l’Europe, explique un de ses architectes. « Nous proposons un instrument solidaire – pas d’accroissement des écarts – et une maturité longue, qui si elle s’accompagne aussi d’un peu d’inflation rendrait le remboursement absorbable dans la durée ».

Ursula von der Leyen ne veut pas évoquer cette proposition. Elle sera pourtant sur la table des chefs le 23 avril. « Certains pays sont favorables à un instrument commun de dette pour financer les ravages économiques du virus, c’est la proposition française d’un fonds de relance. Pour l’instant il n’y a rien d’autre sur la table. D’autres préfèrent utiliser le prochain budget pluriannuel de l’Union européenne. Ces deux solutions sont innovantes et ne sont pas incompatibles. On peut les combiner, les articuler dans un compromis qui permettra à chacun de crier victoire », soutient Mario Centeno.

«Le fonds de relance que propose Paris offre une force de frappe immédiate. Le budget pluriannuel peut prendre la relève, s’il est reformaté », explique-t-il.

« Si on veut éviter la fragmentation des marchés et la divergence entre les pays de la zone euro. Il nous faut être innovant, penser en dehors de nos cadres habituels et imaginer un plan de relance où les Européens seront solidaires. C’est une question politique, avant d’être économique», a-t-il averti.

L’Union européenne sera-t-elle capable de surmonter la malédiction du trop peu trop tard ? Guy Verhofstadt est pessimiste. L’ancien Premier ministre belge dénonce « la partie de ping-pong » entre les dirigeants européens et leurs ministres des Finances. « Il faut que cela cesse. Nous avons besoin d’une initiative comme celle lancée par le président Delors avec l’Acte Unique. La présidente de la Commission européenne doit user de son droit d’initiative. On ne peut pas attendre le Conseil qui ne décidera rien la semaine prochaine ».

 

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