Le croque-mitaine russe éprouve l’unité de l’Otan
Moscou a remis l’Otan en selle en multipliant les actions de déstabilisation dans les six pays situés aux confins de ses frontières avec l’Union européenne et la Turquie. La partie est dangereuse car elle pourrait déboucher sur un conflit à la moindre erreur de jugement des alliés, ce qui les a contraint à « geler » les rêves d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie.
L’Alliance est sortie de son bunker début décembre pour réunir ses ministres des Affaires étrangères à Riga, la capitale de la Lettonie, un des trois états baltes en première ligne face à Moscou. L’objectif était double: montrer à Moscou que les Etats-Unis restent engagés en Europe, que l’Alliance ne s’est pas fracturée malgré le ressentiment causé par le cavalier seul américain en Afghanistan et, surtout, mettre en garde le maître du Kremlin contre les conséquences d’une incursion en Ukraine.
Mais Kiev sort perdant de cet affrontement. L’Otan est une alliance défensive et son article 5 –tous pour un un pour tous– ne vaut qu’en cas d’attaque contre un de ses membres. « Il faut éviter toute ambiguïté entre le statut d’allié de l’Otan, qui est celui des pays du flanc est de l’Otan, et le statut de l’Ukraine, partenaire proche, mais pas un allié », ont insisté les Européens. Le message a été passé à Moscou par Washington, Paris et Berlin.
L’Alliance n’a pas bougé lors de l’intervention militaire russe en Géorgie en août 2008 ni lors de l’annexion de la Crimée en 2014. Oubliées les promesses du sommet de Bucarest en 2008, lorsque le président George W. Bush, ignorant les avertissements du président français Jacques Chirac et de la chancelière Angela Merkel, a laissé miroiter l’adhésion à l’Ukraine et à la Géorgie. C’est le pêché originel, écrit Paul Taylor dans Politico. L’adhésion a été enterrée et le secrétaire général de l’Otan, le Norvégien Jens Stoltenberg, botte en touche lorsque la question lui est posée. « L’adhésion ne regarde que Kiev et les 30 membres de l’Alliance », répond-t-il. Or il n’ y a pas de consensus entre les 30.
Vladimir Poutine a endossé les habits du croque-mitaine et il effraie nombre de pays Européens. Cela sert ses desseins, car il n’a de cesse de vouloir « Finlandiser » l’Ukraine, souligne Pierre Haski. Il veut en fait également neutraliser la Géorgie, la Moldavie, la Biélorussie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Ces six pays sont membres du partenariat pour la paix de l’Otan et du partenariat oriental de l’UE. Ils sont frontaliers des Pays Baltes, de la Pologne, de la Roumanie et de la Turquie.
Moscou a besoin de « garanties de sécurité à long terme » qui mettraient un terme à l’expansion de l’Otan vers l’Est, a expliqué le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov à son homologue américain Antony Blinken lors de leur entretien à Stockholm au lendemain de la réunion de l’Alliance à Riga. Le problème est clairement posé et répond aux interrogations sur les intentions du Kremlin.
Le président russe semble être passé maître dans le go, jeu de stratégie qui consiste à prendre le contrôle de territoires. La Russie ne peut plus encercler, mais elle déstabilise et a recours à une guerre hybride, sans s’engager directement, comme l’explique Jean-Sylvestre Mongrenier.
L ‘Ukraine est le gros morceau. Pour la seconde fois cette année, Moscou a déployé d’énormes moyens à la frontière: « des blindés lourds, des drones, des systèmes de guerre électronique et des dizaines de milliers de soldats prêts au combat », a énoncé Jens Stoltenberg.
« Nous ne savons pas si le président Poutine a pris la décision d’une invasion. Nous savons qu’il est en train de mettre en place la capacité de le faire rapidement, s’il le décide », a déclaré Antony Blinken.
Les Alliés ont été mis en garde par Sergueï Lavrov fin novembre. « Nous ne pouvons pas exclure que le régime à Kiev décide de se lancer dans une aventure militaire. Si L’Occident n’est pas capable de le dissuader et au contraire l’encourage, alors nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour assurer notre sécurité », a-t-il lancé.
L’histoire balbutie. En 2008, l’intervention en Géorgie avait été déclenchée par une opération menée par les forces géorgiennes en Ossétie du Sud. Le président Mikhaïl Saakachvili était à l’époque conseillé par les Américains. En cinq jours l’armée russe était aux portes de Tbilissi. Le président français Nicolas Sarkozy avait obtenu leur retrait, mais la Géorgie a perdu l’Ossétie du sud et l’Abkhazie, deux territoires séparatistes. Poutine n’attend qu’une incitation de ce type pour agir de la même manière en Ukraine.
Les séparatistes pro-russes du Donbass, en conflit armé avec Kiev, peuvent servir d’agents provocateurs. Dans le même temps, la propagande russe bat son plein. « Les États-Unis et les Britanniques tentent de déclencher la panique parmi les représentants de l’UE en manipulant de fausses affirmations sur une « invasion russe imminente de l’Ukraine » et une « occupation subséquente » du territoire ukrainien », a ainsi affirmé l’ambassade de Russie au Royaume Uni sur son compte twitter.
« Nous sommes +au dessous de la guerre, mais au dessus de la paix+ et cette situation est dangereuse », a averti le représentant d’un pays européen de l’Otan à Riga. Les Alliés ont mis en garde la Russie contre « les conséquences importantes et à long terme » d’une attaque en Ukraine. Mais en coulisses, ils ont incité le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba à ne pas abandonner la retenue observée jusqu’à présent et à ne « pas se laisser mener à la faute ». L’Otan pour sa part devra « éviter la surenchère et l’alarmisme », m’a-t-il confié.
La « guerre fantôme » menée par le Kremlin est parfaitement expliquée par Mongrenier. Elle se déroule sur un autre front, en Biélorussie, où le régime d’Alexandre Loukachenko instrumentalise les migrants pour tenter de déstabiliser les pays Baltes et la Pologne.
Les sanctions européennes, américaines, britanniques et canadiennes n’ont que peu d’incidences. Le dictateur tient bon grâce au soutien de Vladimir Poutine. Il a laminé son opposition, terrorisée par sa violence et l’incapacité des Occidentaux à adopter de vraies sanctions économiques pour frapper son parrain russe au portefeuille.
Nord Stream est l’illustration de l’ambiguïté des Européens. Le nouveau gazoduc, considéré comme stratégique par l’Allemagne, contourne l’Ukraine, voie de transit actuellement pour une bonne partie du gaz russe acheté par l’UE. Il va priver Kiev de revenus et de la garantie pour son approvisionnement en gaz. Les Etats-Unis ont tenté de bloquer sa construction avec des sanctions, mais Angela Merkel a obtenu leur levée. Gazprom, l’opérateur de Nord Stream, est pourtant considéré comme l’un des grands bénéficiaires de l’annexion de la Crimée. Mais l’Allemagne ne veut pas entrer dans une guerre du gaz avec le Kremlin. Elle contribue ainsi à financer l’armement de la Russie avec ses achats de gaz. Donald Trump avait dénoncé publiquement cette incongruité lors d’un petit déjeuner avec Angela Merkel durant un sommet de l’Otan. Aucun Européen n’avait bronché.
Le président américain Joe Biden doit s’entretenir avec Vladimir Poutine. Une sortie est possible. « La meilleure manière de prévenir une crise, c’est la diplomatie », a soutenu Antony Blinken lors de son entretien avec son homologue russe à Stockholm . Le chef de la diplomatie américaine s’est dit prêt à faciliter la mise en oeuvre des accords de Minsk conclus après l’annexion de la Crimée, mais jamais appliqués. Moscou a déjà retiré une fois les troupes massées à la frontière avec l’Ukraine. Le geste pourrait désamorcer la tension.
Mais il faudra apaiser les Ukrainiens. Ce sera la tâche des dirigeants européens lors de leur sommet avec leurs homologues de 5 des 6 pays du partenariat oriental le 16 décembre à Bruxelles. La Biélorussie s’est exclue. « L’Ukraine est un voisin très important et un partenaire stratégique. Nous faisons ce que nous pouvons pour soutenir ce pays », assurent les services de Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne. L’UE est consciente des aspirations des Ukrainiens, mais pas question de leur proposer l’adhésion. Seulement un accord d’association.
Les Européens vont aussi passer des messages à Moscou lors de leur sommet . « Il faut être vigilants, fermes et crédibles, mais il faut éviter de créer le prétexte », résume le représentant d’un grand état membre. La partie ne sera pas facile, car la Pologne et les pays baltes, en première ligne, sont préoccupés par les agissements de Moscou en Ukraine et en Biélorussie. « Ils veulent une réaction très forte de l’UE. Il va falloir bien calibrer le message », souligne-t-il.
La Russie semble forte et a une réelle sa capacité de nuisance, mais son économie est fragile, car elle est très dépendante de ses exportations de gaz et de pétrole, insiste l’ambassadeur européen. Une position partagée par Josep Borrell. Le croque-mitaine pourrait n’être qu’un épouvantail, si les alliés jouent finement la partie de go engagée avec Vladimir.