Madrid, le Sommet de la réhabilitation pour l’Otan
Terminé le temps du « partenariat stratégique » avec Moscou. La Russie est à nouveau « l’Ennemi » et l’Alliance se prépare à l’affronter. Vladimir Poutine a sorti l’Otan de son état de « mort cérébrale » et lui a rendu sa raison d’être.
Il y a un an, l’Alliance tentait un « reset » pour panser les plaies laissées par l’humiliant lâchage de l’Afghanistan et la fin de l’opération Resolute Support.
Madrid, les 29 et 30 juin, sera le sommet de « la Transformation », a annoncé son secrétaire général, le Norvégien Jens Stoltenberg, lors d’une réunion préparatoire avec les ministres de la Défense le 15 et 16 juin à Bruxelles.
Il sera aussi celui de la réhabilitation pour le Norvégien, dont le mandat a été prolongé pour un an, jusqu’en septembre 2023. Oubliées les critiques contre le « Yes Man » de Donald Trump et ses absences au plus fort du chaos en Afghanistan.
« Merci d’avoir accepté de rester un peu plus longtemps en fonctions à un moment difficile », lui a dit haut et fort le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin lors de cette réunion.
L’hommage appuyé du « patron américain » n’est pas passé inaperçu. « Bons instincts sur la gestion de la crise, et pas de successeur évident à ce stade », commente laconiquement le représentant d’un pays européen.
Beaucoup de décisions sont attendues du sommet de Madrid: un paquet de soutien financier et militaire pour l’Ukraine, le renforcement des défenses sur le flanc Est, la modernisation de l’Otan avec un nouveau concept stratégique, un débat sur les nouveaux investissements et le partage du fardeau, des prises de position face à la Russie et à la Chine.
Mais le président turc Recep Tayyip Erdogan semble décidé de jouer les trouble fête, comme à Londres en 2019. Il bloque les adhésions de la Suède et de la Finlande, accusées d’offrir un refuge au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe classé « terroriste » par la Turquie et ses alliés occidentaux. Or les adhésions sont « le sujet » de fierté du sommet. Elles sont au centre de la nouvelle posture de dissuasion de l’Otan et de sa politique de la porte ouverte.
« Le processus prendra plus de temps que prévu, à cause des difficultés soulevées par Ankara », a reconnu Jens Stoltenberg.
« Il risque d’être gelé », s’est inquiétée la Première ministre finlandaise Sanna Marin. Une année de retard pour boucler un processus qui nécessite l’unanimité des 30 membres de l’Alliance pour ouvrir les discussions puis ratifier les traités de mariage.
Mais il est encore « trop tôt » pour parler d’échec de Madrid, met en garde un fin connaisseur de la Turquie.
Erdogan a pris tout le monde par surprise. Stoltenberg, qui avait annoncé un accueil chaleureux et un processus rapide, a reconnu s’être trompé. « A l’époque, j’étais plus optimiste, car nous n’avions aucune indication sur les difficultés de la Turquie », a-t-il expliqué lors de la réunion de Bruxelles.
« La Turquie est un allié stratégique important. Elle a exprimé des préoccupations pour la lutte contre le terrorisme. Il faut les traiter », a-t-il insisté. Et il a appelé la Suède et la Finlande à prendre les mesures réclamées par le président turc. Ankara réclame un changement des lois des deux pays nordiques pour lutter contre le PKK. Stockholm et Helsinki vont devoir aller à Canossa. Les Kurdes et les opposants d’Erdogan risquent de perdre leur protection dans ces deux pays.
La décision de bloquer les deux pays Nordiques a été prise par le seul président turc. Ses motivations sont dictées par des considérations de politique intérieure. Mais il peut parfaitement décider à Madrid de donner son feu vert aux adhésions, pour peu que les autres dirigeants témoignent de la considération pour ses entreprises de médiation avec Moscou.
Ankara a annoncé être prête à accueillir « une réunion à quatre » avec les Nations unies, la Russie et l’Ukraine, en vue d’organiser le transport en mer Noire des millions de tonnes de céréales coincées dans les ports ukrainiens par le conflit.
Mais pour beaucoup d’Alliés, le chantage exercé par Erdogan est intolérable et il l’ont fait savoir.
« Souvent nous ne sommes pas tous d’accord au départ sur un processus. Quand des divergences apparaissent, il faut les surmonter. Cela prend du temps, nécessite de nombreuses réunions », plaide Stoltenberg.
« Je ne peux pas dire combien de temps il faudra, ni quand nous trouverons un accord, mais je suis convaincu que nous prendrons la décision pour les adhésion de la Suède et la Finlande », assure-t-il.
Le grand moment du sommet sera l’adoption du nouveau modèle de force déployé par l’Otan aux confins avec la Russie. « Il va falloir lui donner du contenu avec des allocations de troupes et d’armements », explique Stoltenberg. « Pour la première fois nous aurons des forces pré-affectées à la défense de certains pays de l’Alliance », souligne-t-il
On ne parle pas de présence permanente. Plus question de troupes stationnées en permanence dans les pays « avec leurs familles, leurs écoles et leurs magasins », explique un diplomate. Il s’agit d’un modèle flexible, réactif, appuyé sur des armements lourds.
L’Alliance a constitué huit groupements tactiques. Ils sont basés en Estonie, en Lituanie, en Lettonie, en Pologne, en Hongrie, en Roumanie, en Slovaquie et en Bulgarie.
Ils sont la « présence avancée » de l’Alliance face à la Russie. Des équipements lourds –blindés, lance-roquettes multiples, artillerie, systèmes de défense aérien ou sol-air– seront prépositionnés dans ces pays pour éviter de devoir les acheminer en cas de nécessité.
Le dispositif sera complété par des forces « pré-affectées » pour ces pays par les Alliés. Elles resteront dans leur pays d’origine, mais s’entraineront sur le territoire placé sous leur responsabilité.
L’argument ne rassure pas les Etats Baltes. Ils réclament des troupes de combats stationnées en permanence sur leur territoire.
Des annonces sur les renforts sont attendues à Madrid. Berlin, engagé en Lituanie, annonce la mise à disposition d’une brigade, mais elle restera stationnée en Allemagne. Le Royaume Uni est également engagé sur une brigade, dans les mêmes conditions que l’Allemagne, a indiqué le ministre de la défense Ben Wallace. La France, chef de file en Roumanie, aura un millier de soldats dans ce pays fin 2022 avec le système de défense sol/air Mamba et des chars Leclerc.
« Il n’y aura pas de modèle unique. Les renforts seront envoyés en fonction des besoins et des capacités des contributeurs ».
Ce dispositif est conçu à des fins défensives. Mais il est la réponse de l’Alliance à la Russie. « Les objectifs de Vladimir Poutine vont au delà de l’Ukraine. Il a exigé l’arrêt de l’élargissement de l’Alliance et le retrait des troupes de l’Otan stationnées dans les pays qui ont adhéré après 1997. C’est inacceptable », soutient Stoltenberg.
« Un nouveau concept stratégique est nécessaire. L’actuel a été adopté en 2010 à Lisbonne. A l’époque, la Russie était considérée comme un partenaire stratégique. Ce temps est passé. La guerre est revenue en Europe », explique-t-il.
« Lorsque Poutine a dicté ses conditions, la Suède et la Finlande ont compris que le moment était venu de devenir membres », souligne-t-il.
L’adhésion des deux pays nordiques est importante à plusieurs titres: ils apportent des contributions significatives, car ils ont des forces préparées, et leur localisation donne une profondeur stratégique à l’Otan pour la défense des pays Baltes. Ils sont en outre la démonstration de la politique de la porte ouverte de l’Alliance et ces deux membres de l’UE vont rééquilibrer le lien Transatlantique, explique le représentant d’un pays européen.
Madrid sera également un moment important pour le soutien politique et militaire à l’Ukraine. Le président Volodymyr Zelensky sera présent physiquement, si cela lui est possible, ou bien il s’adressera aux dirigeants de l’Alliance en visio-conférence. Deux semaines avant le sommet, les dirigeants des trois grands Etats de l’UE, le Français Emmanuel Macron, l’Allemand Olaf Scholz et l’Italien Mario Draghi, ont enfin fait le déplacement à Kiev pour l’assurer de leur soutien et dissiper les malentendus. Le Président roumain Klaus Iohannis s’est joint à eux. « Tous les quatre, nous soutenons le statut de candidat immédiat à l’adhésion » à l’Union européenne, ont-ils annoncé.
Un paquet d’assistance sera annoncé à Madrid . Il sera conséquent et concrétisera les annonces de dotations d’armements de l’Otan pour armer les forces ukrainiennes. Le pays va quitter l’ère soviétique et s’ancrer à l’Union européenne afin d’entrer dans le monde moderne.
Mais pas question encore de parler de l’adhésion à l’Otan . Le sujet est conflictuel pour l’Alliance. Elle s’est gardée de toute décision qui pourrait l’entrainer dans le conflit lancé par Moscou pour s’emparer de l’Ukraine.
Rendre l’Otan plus forte a un prix. Les dépenses et le partage du fardeau est un sujet récurent. Mais la guerre lancée par Vladimir Poutine a changé la donne. La Russie a poussé les Européens à accroitre leurs budget de dépense pour se réarmer.
« La France est engagé dans une augmentation de ses crédits militaires depuis 2017. En 2022, 3 milliards d’euros supplémentaires ont été alloués pour les forces armées et des efforts sont menés pour s’inscrire dans la durée », a rappelé le nouveau ministre des Armées Sébastien Lecornu.
Des annonces similaires ont été faites en Allemagne, au Danemark, en Belgique. Tous les pays de l’Alliance se sont engagés à consacrer 2% de leur PIB aux dépenses de défense en 2024. Mais la plupart sont encore très loin de cet objectifs. Ils étaient 8 en 2021 (Etats-Unis, Royaume-Uni, Croatie, Estonie, Grèce, Lettonie, Lituanie et Pologne)
« Les efforts de défense sont menés dans des situations économiques difficiles, avec des besoins partout. Il faut éviter de brutaliser les membres », met en garde un ambassadeur.