Ukraine: coup de froid européen

Ukraine: coup de froid européen

L’Union européenne a frôlé l’explosion avec l’embargo pétrolier contre la Russie. Elle est devenue frileuse et veut marquer une pause dans les sanctions contre Moscou. Pas question de laisser Poutine gagner en Ukraine, mais les priorités sont désormais la fin des combats et éviter une crise alimentaire en Afrique.

 

Les faucons qui veulent la guerre jusqu’à la défaite de Poutine enragent. Le sommet européen extraordinaire organisé les 30 et 31 mai à Bruxelles a été marqué par le retour du sens politique. « Pour obtenir l’unanimité, il faut savoir faire preuve de pragmatisme », a expliqué le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.

L’embargo pétrolier, coeur du sixième paquet de sanctions adopté dans la nuit du 30 au 31 sera graduel, avec des exemptions. Il est le résultat d’un compromis et signe la limite des possibilités d’action de l’UE dans le domaine des sanctions économiques après avoir manqué faire exploser son unité, a raconté un de participants.

Mal conçu par Ursula von der Leyen et son équipe, il est resté bloqué un mois, car il pénalisait les pays enclavés totalement dépendants du brut russe.

Les dirigeants européens ont déploré un « manque de concertation » préalable et prié fermement la présidente de la Commission européenne de revoir sa méthode de travail.

Le Néerlandais Mark Rutte a résumé le mode d’emploi remis à Ursula von der Leyen: « Nous devons avoir un débat sur tous les aspects techniques avant de commencer à discuter de ce à quoi ressemblerait un septième paquet de sanctions, c’est la leçon à tirer », a-t-il expliqué.

Et « il faut arrêter avec les effets d’annonces », a insisté un responsable européen. Les déclarations pessimistes de la présidente au Forum de Davos avaient mis en péril des négociations menées en coulisse pour trouver un accord, ont souligné plusieurs participants.

L’embargo sur les achats de gaz a été congelé lors du sommet. « Ce paquet, mettons-le d’abord en pratique (…) Le gaz, c’est beaucoup plus compliqué. C’est donc une étape importante. Arrêtons-nous là pour le moment et voyons quel est l’impact », a plaidé le Premier ministre belge Alexander De Croo.

« Je ne vois pas une décision sur des sanctions sur le gaz à court terme, sans avoir progressé sur la réduction de la dépendance », a commenté un haut responsable.

L’UE a déjà trouvé d’autres fournisseurs aux Etats-Unis pour un tiers de ses achats de gaz.

En 2021, la Russie a fourni 150 milliards de m3 de gaz, soit 40% des importations de l’UE, 30% du brut et 15% des produits pétroliers achetés par les Européens.

Moscou engrange chaque jours 800 millions d’euros avec le règlement des achats européens de gaz, de pétrole et de charbon. Un financement conséquent de l’effort de guerre de Poutine, s’insurgent les faucons. Mais le sevrage sera difficile pour les économies de l’UE et les opinions publiques commencent à gronder contre les hausses de prix provoquées par cette guerre à laquelle personne ne veut mettre un terme.

« Nous devrons parler d’un septième paquet de sanctions parce que la situation ne s’améliore pas en Ukraine. Mais le gaz est bien sûr beaucoup plus difficile que le pétrole », a souligné la Première ministre de l’Estonie Kaja Kallas. « Le gaz doit faire partie du septième paquet, mais je suis également réaliste, je ne pense pas qu’il y sera », a-t-elle estimé.

Les sanctions vont durer « très très longtemps », a averti l’Italien Mario Draghi. Elles vont faire très mal à l’économie russe « à partir de cet été », assurent les dirigeants européens. Rien ne permet d’affirmer qu’elles suffiront à faire céder le président russe.

La priorité est maintenant donnée à un accord de paix. Mais il devra être décidé « par les Ukrainiens », reconnaissent les Européens.

Le réalisme là encore s’impose. « L’Ukraine a montré une capacité de résistance, mais il ne faut pas sous-estimer l’armée russe », confie un dirigeant.

« Il faut soutenir les Ukrainiens pour éviter la prise d’Odessa et la jonction avec la Transnistrie, la région pro-russe de la Moldavie », souligne-t-il. C’est un des objectif de Poutine, qui veut toujours reprendre le contrôle de l’Ukraine, mais veut surtout s’assurer de conserver la Crimée, annexée en 2014.

Pour parvenir à ses fins, il ne recule devant rien. « Il est en train d’affamer le monde ». L’accusation a volé de bouche en bouche lors des conférence de presse au terme du sommet. Le président de l’Union africaine, le Sénégalais Macky Sall a tiré la sonnette d’alarme, et au passage il a mis en cause les sanctions européennes.

Les pays africains importent plus de la moitié de leur blé d’Ukraine et de Russie et ils leurs achètent les fertilisants pour leurs terres.

« Quand le système Swift (la plateforme sécurisée pour les transactions financières) est perturbé, cela veut dire que même si les produits (à acheter) existent, le paiement devient compliqué, voire impossible. Je voudrais insister pour que des solutions idoines soient trouvées », a plaidé le président de l’Union africaine.

Le système financier russe, à l’exception de la Gazprombank, est interdit d’accès à Swift dans le cadre des sanctions internationales.

Les Européens sont secoués par l’incompréhension montrée par les Africains à leurs mesures pour aider l’Ukraine. « Si nous perdons la bataille de la sécurité alimentaire, nous n’aurons plus aucun d’espoir que les pays africains se rangent de notre côté, car ils se sentiront trahis », a averti Mario Draghi.

La levée du blocus russe d’Odessa est devenue la priorité des Européens. 22 millions de tonnes de blés sont bloquées dans les silos ukrainiens et le port de la Mer Noire est le débouché pour les exporter. Mais il a été miné par la défense ukrainienne.

Le secrétaire général des Nations-Unies, le Portugais Antonio Guterres, cherche à obtenir un corridor maritime. Des garanties de sécurité sont négociées.

« Il n’est pas question que, sous couvert d’un corridor maritime, il y ait une fragilisation de la situation sécuritaire de l’Ukraine », a averti le président du Conseil européen, le Belge Charles Michel.

Emmanuel Macron a proposé à Vladimir Poutine le vote d’une résolution pour lever le blocus d’Odessa. Les autres voies pour sortir le blé d’Ukraine prendront des mois  et près des 2/3 des stocks seront perdus, estiment les experts de l’UE.

Mario Draghi assure que le président russe est prêt à laisser passer les vraquiers à conditions qu’ils ne transportent pas d’armes ». Les Ukrainiens pour leur part veulent des assurances qu’aucune attaque ne sera lancée contre Odessa.

Les ukrainiens doivent se préparer à des déconvenues. Les Occidentaux vont certes continuer à leur fournir des armes pour se défendre, mais pas les aider à passer à l’offensive pour reprendre les régions perdues.

Les Etats-Unis ont annoncé l’envoi de systèmes de lance-roquettes multiples d’une portée limitée à 80 km. Mais pas question de livrer des armes à très longue portée pouvant frapper à l’intérieur de la Russie, a annoncé le président Biden. « Un signal donné à Moscou sur les limites de l’escalade envisagée », analyse Pierre Haski.

Le message a été salué  dans l’UE. Il faut éviter de torpiller les négociations engagées pour lever le blocus d’Odessa.

L’autre déconvenue sera la réponse européenne à la demande d’adhésion de l’Ukraine. La Commission doit rendre son avis dans le courant du mois de juin et déjà les obstacles se dressent.

L’Italie est le seul des grands pays à soutenir l’octroi du statut de candidat, a souligné Mario Draghi.

« Ce sera un sujet très difficile », reconnait un responsable de l’UE. « Pour certains pays, il est important d’accorder ce statut à l’Ukraine, pour d’autres, c’est impossible », explique-t-il. Le sujet sera à l’ordre du jour du sommet européen des 23 et 24 juin « si la Commission a pu rendre son avis dans les temps », précise-t-il.

Charles Michel défend la création d’une « communauté géopolitique européenne » pour préparer les pays candidats à l’intégration et un processus d’adhésion « progressif » et « graduel ».

L’idée avait été lancée en 1989 par le président français François Mitterrand avec la création d’une « confédération européenne avancée ». Elle a été relancée par l’ancien premier ministre italien Enrico Letta, président de l’Institut Jacques Delors et reprise par Emmanuel Macron dans un discours au Parlement européen le 9 mai, jour de l’Europe.

Les dirigeants ukrainiens dénoncent un « traitement de seconde zone ». « Nous n’avons pas besoin d’alternatives à la candidature de l’Ukraine à l’UE, nous n’avons pas besoin de tels compromis », s’est insurgé le président Volodymyr Zelensky.

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