Aide à l’Ukraine: la fin des vide-greniers
Artillerie, lance-roquettes, défense anti-drônes et anti-missiles, mais aussi équipements, ponts flottants, carburant: l’Ukraine est en pleine contre-offensive pour reprendre le terrain cédé aux Russes, mais l’hiver approche et le soutien militaire des alliés doit s’adapter et monter en puissance.
« Le temps des vide-greniers des armées est terminé », commente l’entourage du ministre français des Armées Sébastien Lecornu. L’Otan forme depuis 2014 les forces armées ukrainiennes pour leur permettre d’intégrer l’Alliance et a entrepris de leur fournir des armements en dotation dans les pays alliés. L’invasion ordonnée par Vladimir Poutine en février a pris tout le monde de court. « Poutine savait qu’il avait une fenêtre pour agir. Après, l’armée ukrainienne aurait été trop forte », m’a confié un haut responsable européen . Les Ukrainiens, donnés pour perdus, ont tenu. Ils ont maintenant besoin des armements promis pour mener leur contre-offensive. Problème: l’intendance alliée peine à suivre les annonces.
Le groupe de soutien à l’Ukraine créé par les Américains avec une cinquantaine de pays participants montre ses limites. Les Ukrainiens ont réclamé des système de défense anti-missiles après une vague de bombardements aveugles contre Kiev et plusieurs autres villes, mais le ministre de la Défense américain Lloyd Austin avait peu à annoncer le 13 octobre à l’issue de sa réunion au siège de l’Otan à Bruxelles, et il est resté évasif.
« Beaucoup de pays ont dit avoir fait ce qu’ils ont pu, mais maintenant l’écart se creuse avec ceux qui donnent. La synthèse était impossible à faire », a expliqué un participant. « Le club devient de plus en fermé: les Américains, les Britanniques, les Français, les Allemands, les Turcs ».
Le bouclier du ciel réclamé par le président Volodymyr Zelensky ne va pas de soit. La livraison des systèmes les plus performants va prendre du temps. « Il faut les produire et les acheminer sur le champ de bataille », a plaidé Lloyd Austin au cours de sa conférence de presse.
« De 6 a 10 mois sont nécessaires pour former les personnels à servir le MAMBA », le SAMP/T rival du « Patriot » américain, expliquent les responsables français. Il assure « une bulle de protection pour une force terrestre déployée sur un théâtre d’opération et la protection de sites à haute valeur », précise la fiche de cette arme.
Mais il n’est pas question d’envoyer des instructeurs en Ukraine. L’Otan et ses 30 membres –bientôt 32–, dont la plupart sont également membres de l’UE, ne veulent pas être considérés comme des co-belligérants.
« Les alliés soutiennent l’Ukraine dans son droit à se défendre et de reprendre son territoire, mais l’Otan n’est pas partie au conflit « , insiste le secrétaire général de l’Alliance, le Norvégien Jens Stoltenberg. Cela déplait à beaucoup, mais c’est la position avec laquelle il faut composer.
Les offres arrivent, mais en ordre dispersé. Un premier système de défense anti-aérien allemand de dernière génération Iris-T a été livré à l’Ukraine et trois autres suivront en 2023, a indiqué la ministre allemande Christine Lambrecht.
Les Etats-Unis, eux, ont promis le NASAMS. Les deux premiers exemplaires doivent arriver « prochainement » en Ukraine. Six de plus ont été promis, mais ils doivent être commandés et leur livraison pourrait ne pas intervenir avant deux à trois ans. Des interrogations sont de plus en plus ouvertement lancées sur la capacité des Etats-Unis de fournir rapidement de nouveaux armements à l’Ukraine. Les mêmes questions se posent pour les capacités européennes.
La défense du ciel ukrainien sera donc dans un premier temps un patchwork de systèmes ultra-modernes et d’autres plus anciens. Une défense multi-couches avec des systèmes à courte portée, basse altitude, des systèmes à moyenne portée, moyenne altitude, et enfin des systèmes à longue portée, haute altitude », a expliqué le chef d’état-major américain, le général Mark Milley.
L’Espagne va fournir quatre systèmes sol-air « Hawk » datant de la guerre froide et modernisés. La France envoie des missiles sol-air de courte portée Crotale. « C’est un vieux système, mais il est robuste et très utile contre les drones », souligne-t-on au ministère des Armées.
La fourniture de MAMBA est annoncée, mais dans un deuxième temps. La France et l’Italie ont quatorze batteries, pour la plupart affectées à la défense d’infrastructures stratégiques. L’une d’elle a a été déployée avec des avions de combat en support pour protéger les mille militaires français déployés en Roumanie dans le cadre d’un nouveau groupement tactique de l’Otan.
Ces trois niveaux permettront de protéger les objectifs stratégiques ukrainiens, comme les grandes villes, les infrastructures clés ou les centres de pouvoir, contre les missiles balistiques, les missiles de croisière ou encore les drones. Mais les Ukrainiens vont devoir « faire des choix pour les objectifs à protéger », a confié un responsable européen.
De plus en plus isolé sur la scène mondiale, accusé de crimes de guerre et de violation du droit international, le président Russe a annoncé ne pas avoir l’intention de procéder à de nouvelles frappes massives « dans l’immédiat ». Mais la parole de Vladimir Poutine ne vaut plus rien. En revanche, ses bombardement ont ressoudé les Ukrainiens derrière leur président et leurs soldats.
Tous les moyens sont bons pour mobiliser les Occidentaux. L’armée ukrainienne a réalisé un clip vidéo pour le moins original à l’adresse des Français . « Les gestes romantiques prennent diverses formes », peut-on lire sous les clichés de nuit tombante sur la Seine avec la tour Eiffel en arrière-plan. « Mais si vous voulez vraiment gagner nos cœurs, rien ne vaut de l’artillerie de 155 mm auto-propulsée et hautement mobile », conclut le message avec des images défilantes de canons Caesar sur fond sonore du « Je t’aime moi non plus » de Serge Gainsbourg et Jane Birkin.
Message reçu. Emmanuel Macron a annoncé l’envoi de 6 Caesars supplémentaires, initialement destinés au Danemark. Ils porteront à 24 les unités à 5 millions d’euros pièce fournies à l’Ukraine qui en fait « un excellent usage, parfois de manière surprenante », souligne-t-on à Paris. L’un de ces canons a ainsi été acheminé avec une barge pour tirer contre les positions tenues par les Russes sur l’île aux serpents.
« Nous avons fait le choix d’un paquet complet: le canon, les munitions, le carburant et la formation », explique l’entourage de Sébastien Lecornu. « On colle au maximum aux besoins des Ukrainiens et tout ce qu’on a promis, on l’a livré », a insisté mon interlocuteur. Outre les Caesars, le soutien français à l’Ukraine comprend plusieurs obusiers de 155mm et leurs munitions, des lance roquettes LRU, équivalent français des HiMARS américains et un système de défense sol air Crotal adapté aux drones.
Le fond de 100 millions d’euros annoncé par le chef de l’Etat au sommet de Prague est par ailleurs déjà effectif et une des premières commandes est pour des ponts flottants, précise-t-il.
La contre-offensive menée par les forces ukrainiennes progresse et il n’est pas question d’arrêter. Un gel du conflit donnerait du temps à Moscou pour former les quelque 300.000 soldats mobilisés de force et sans expérience.
Les Européens ont décidé de monter en puissance. Ils vont lancer une énorme mission pour former sur leur territoire 15.000 soldats ukrainiens pendant l’hiver et vont débloquer une nouvelle dotation de 500 millions d’euros pour la fourniture d’armes et d’équipements adaptés au froid .
« C’est une grande première pour l’UE », a commenté un responsable européen. « Nous n’avons jamais mené une mission à cette échelle », a-t-il souligné.
Les Européens sont allés vite. La proposition a été formulée en août par le chef de la diplomatie, l’Espagnol Josep Borrell, et elle va devenir opérationnelle fin octobre. Un exploit pour une Union créée pour commercer et dont les membres ont pour la plupart peu d’aptitudes pour la guerre après s’être affrontés et déchirés pendant des siècles.
L’objectif est de prodiguer une « formation de base » à 12.000 soldats ukrainiens et « des formations spécialisées » à 2.800 autres. La mission européenne va compléter les formations dispensées par les Britanniques et les Américains.
La Pologne va servir de plaque tournante, car « elle est la porte de sortie et la porte de retour pour les Ukrainiens ». Mais l’Allemagne veut aussi un quartier général, car elle ambitionne de former une brigade.
La rivalité germano-polonaise laisse Paris de marbre. Plus irritantes en revanche sont les critiques exprimées contre la faiblesse de l’effort militaire français et les classements des fournisseurs . Le site Oryx fournit une documentation très suivie sur les fournitures de l’Allemagne, de la Pologne, de la France
Des militaires ukrainiens, notamment des forces spéciales, sont formés en France sans le crier sur les toits. La France est en outre l’un des principaux contributeurs, avec l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, de la Facilité Européenne pour la Paix (FEP), le fonds constitué hors du budget européen pour aider militairement l’Ukraine. Créée à l’origine pour les missions de formation militaires et civiles de l’UE, il a été adapté pour répondre à l’appel aux armes du président Zelenski. L’abstention constructive a permis de vaincre les réticences des pays neutres ou peu enclins à aider un pays en guerre.
Mais le fond est alors entré dans une logique de remboursement. Les premières demandes ukrainiennes ont porté sur des armements qu’ils savaient utiliser et les premiers fournisseurs ont été les pays de l’ex-URSS encore dotés d’armements de fabrication soviétique. Ils ont ensuite demandé remboursement à la FEP.
« La France a beaucoup contribué à l’effort de ceux qui ont fourni beaucoup d’armes à l’Ukraine », reconnait-on à Bruxelles. Sur les 2,5 milliards d’euros décaissés par la FEP depuis le début du conflit, la contribution de la France est de 450 millions. Dit plus crûment, la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont payé pour les armements fournis par Varsovie et pour lesquels la Pologne a demandé à être remboursée jusqu’au dernier cent .
Les dirigeants ukrainiens ne sont pas dupes. Il savent qui les a aidés et comment. « C’est à la fin du bal que l’on paie les musiciens », a rappelé l’entourage de Sébastien Lecornu.