Faillite européenne
Quel désastre ! Le sommet européen des 29 et 30 juin a démontré que l’unité européenne était un slogan, que la générosité était de l’affichage et que la solidarité était virevoltante, au grès des vents mauvais. L’Europe du veto et des murs est en revanche une triste réalité, imposée par les sirènes des populismes intolérants qui pourrissent les Etats membres les uns après les autres.
L’échec avait été annoncé. Les dirigeants polonais et hongrois avaient promis de dénoncer au sommet l’accord « historique » sur la réforme de l’asile et la gestion des migrations adopté début juin à la majorité qualifiée et vécu par eux comme une défaite. Ils ont refusé le système de solidarité obligatoire dans la prise en charge des demandeurs d’asile et bloqué le sommet, contraignant leurs homologues à de longues heures de négociation, en vain.
L’Italienne Giorgia Meloni, membre de la famille politique de Mateusz Morawiecki, a tenté de convaincre son homologue polonais d’accepter cette solidarité, cruciale pour l’Italie. Elle a échoué. Une médiation du Français Emmanuel Macron n’a pas eu plus de succès. La machine s’est grippée et l’image d’une Union soudée et généreuse s’est brouillée.
Charles Michel, le président du Conseil européen, souhaitait lancer le débat sur la volonté de l’UE d’intégrer l’Ukraine et les autres pays candidats à l’adhésion. Il a reçu une réponse cinglante: c’est non. Le refus n’est pas définitif. Rien n’est jamais définitif dans l’Union européenne. Mais le message envoyé par Varsovie et Budapest est terrible, car il est synonyme d’égoïsme, de mesquinerie, de calculs, de petitesse.
L’Union européenne doit se préparer à l’adhésion de l’Ukraine et aborder le sujet sensible des réformes à mener pour être en mesure d’intégrer ce pays, géant agricole, avait averti jeudi le président du Conseil européen Charles Michel .
« Le débat sera difficile », a-t–il reconnu dans un entretien qu’il m’a accordé pour l’AFP avant l’ouverture du sommet des 27 à Bruxelles. « Mais nous ne devons pas attendre le dernier moment si, en décembre, le rapport de la Commission européenne recommande d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’Ukraine », a-t-il souligné.
« Nous devons dire comment nous finançons et organisons la solidarité financière et éviter de découvrir que nous avons un problème d’absorption », a-t-il insisté.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky réclame l’ouverture des négociations d’adhésion dès la fin de l’année 2023. Cette décision requiert l’approbation des 27 Etats membres de l’UE.
Le Néerlandais Mark Rutte a mis les points sur les I. La décision sera prise au mérite. Kiev a sept « devoirs » à réaliser. Pour l’instant, Zelensky en a accompli deux. Mais les plus emblématiques , la lutte contre la corruption et la fin des oligarques , semblent impossibles à réaliser pour la fin de l’année. « Il ne peut pas lutter contre la Russie et en même temps combattre les oligarques », a souligné un diplomate Dans ce cas, si Mark Rutte est cohérent, les Pays-Bas diront non à l’ouverture des négociations . Le Hongrois Viktor Orban a lui aussi annoncé un blocage si les droits de la minorité hongroise ne sont pas respectés et défendus.
Les deux dirigeants ont répété leurs positions durant le sommet et Mark Rutte s’est dit agacé par les déclarations ambigües de la présidente de la Commission, l’Allemande Ursula von der Leyen, laissant croire aux Ukrainiens que l’ouverture des négociations était acquise, ont rapporté des participants à la réunion
En juin 2022, l’UE a accordé à l’Ukraine le statut de candidat à l’adhésion dans un geste hautement symbolique à la suite de l’invasion du pays par la Russie. Neuf autres pays, dont la Serbie, le Kosovo, la Moldavie et la Turquie, frappent à la porte de l’UE.
Les candidats ont « des devoirs », mais « les 27 ne doivent pas fermer les yeux et faire semblant de n’avoir pas vu qu’ils ont aussi des devoirs », insiste Charles Michel. Le président du Conseil n’attendait pas de décision à ce sommet. Mais il veut « préparer les prochains rendez-vous » et « mettre en place une méthode ».
L’élargissement sera au coeur des discussions lors des sommets de Grenade en Espagne les 5 et 6 octobre et de Bruxelles fin décembre, après la publication des recommandations de la Commission pour les demandes d’adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie et des pays des Balkans occidentaux qui ont le statut de candidats.
« Si la Commission propose de démarrer les négociations, nous devons voir l’impact que cela aura pour la prise de décision, les politiques communes, les financements », explique-t-il. « L’Europe ne doit pas craindre le débat », insiste-t-il. Mais il avertit: l’élargissement « aura un impact sur l’agriculture, la cohésion, le budget ».
« Nous avons besoin d’une photographie exacte des moyens disponibles, de savoir comment l’argent a été utilisé, quelles sont les réorientations nécessaires », insiste Charles Michel .
Des « questions lourdes » sont posées, explique le représentant d’un grand état à Bruxelles. « L’adhésion de l’Ukraine ne peut pas se faire sans réformes institutionnelles et économiques », confirme-t-il.
L’abandon du veto, « c’est la face nord » de l’épreuve. « Le doublement du budget commun sera tout aussi difficile à réaliser ». Or il sera nécessaire, car l’intégration de l’Ukraine va entrainer d’immenses transferts des fonds de la politique agricole et de la cohésion vers l’Ukraine. De nombreuses régions européennes ne seront alors plus éligibles .
Varsovie, en pointe dans le soutien à l’Ukraine, » commence à dire stop », souligne-t-il. « Quant l’Allemagne et la France paient, ça va. Mais quand la Pologne doit payer, ca ne vas plus « , ironise-t-il.
L’affrontement sur le budget est engagé. Les caisses sont vides et la Commission a demandé aux Etats membres de nouvelles contributions: 99 milliards, dont 50 pour poursuivre l’aide macro-financière à l’Ukraine jusqu’en 2027, 15 milliards pour la politique de migrations, 10 pour les nouvelles technologies, 19 pour payer les intérêts de la dette et une enveloppe de 1,9 pour aider les fonctionnaires européens à compenser la hausse de l’inflation.
L’accueil a été plutôt frais. « Il va falloir la digérer » , a commenté le représentant d’un pays contributeur net au budget. « La proposition n’est pas ce que nous appellerions une demande limitée et ciblée », a-t-il souligné. « La discussion ne sera pas simple », a confirmé un de ses homologues, car l’unanimité est requise.
Le Hongrois Viktor Orban entretient la crainte d’un échec. « La proposition n’a aucune chance d’être approuvée », a-t-il annoncé. Coutumier des diatribes anti-européennes, il a porté de graves accusation dans un message vidéo posté sur son compte twitter le jour de l’ouverture du sommet et interpellé Ursula von der Leyen, devenue sa bête noire . « Nous voulons savoir qui est responsable d’avoir amené l’Union européenne au bord de la faillite. Où est l’argent, @EU_Commission ? », a-t-il lancé. Personne n’a bronché, laissant l’accusation se diffuser dans les milieux europhobes pour devenir un argument de la campagne des populistes et des europhobes à moins d’un an des Européennes.