Le « cirque »russe, farce ou fin de règne

Le « cirque »russe, farce ou fin de règne

L’invasion de l’Ukraine a été une « énorme erreur stratégique » de Poutine. Son chien de guerre s’est retourné contre lui et le système est en train de craquer ». Vrai ? Faux ? La « mutinerie » du patron de Wagner Evguéni Prigojine pose beaucoup de questions et suscite une grande inquiétude, car la Russie est une puissance nucléaire et  l’instabilité dans un tel pays « n’est pas une bonne chose » .

Que s’est-il réellement passé en Russie pendant le week-end du 24 et 25 juin 2023 ?  Une tentative de coup d’Etat ? une mutinerie ? Une mise en scène ? Quel accord ont passé Poutine et Prigojine ? Les « experts »  se perdent en conjectures. Faute de savoir,  ils s’écharpent sur les réseaux sociaux. Les ministres des Affaires étrangères des 27 ont, eux, optés pour la plus grande réserve à leur arrivée lundi pour leur réunion au Luxembourg.

« Il y a beaucoup de zones d’ombre et on n’a sans doute pas vu toutes les conséquences de ces événements », a averti la ministre française Catherine Colonna.  « Néanmoins il est manifeste qu’ils ont souligné des tensions intérieures, des fissures et même des failles dans le système, a-t-elle souligné.

« Nous voyons les conséquences désastreuses de la guerre d’agression russe sur le système de pouvoir de Poutine. Nous voyons que les dirigeants russes se retournent de plus en plus contre eux-mêmes », a pour sa part commenté la ministre allemande Annalena Baerbock.

« La situation en Russie reste complexe et imprévisible », a insisté le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell à l’issue de la réunion.  La mutinerie de Wagner a montré que la guerre en Ukraine est en train de « faire craquer » le pouvoir russe » , a-t-il affirmé .

« Le système politique montre ses fragilités et le pouvoir militaire se fissure. Le monstre Wagner créé par Poutine est en train de mordre son créateur. C’est donc une conséquence importante de la guerre en Ukraine », a-t-il déclaré.

Mais aujourd’hui, la Russie est devenue « un risque », a-t-il averti.  « Ce n’est certainement pas une bonne chose qu’une puissance nucléaire comme la Russie puisse entrer dans une phase d’instabilité », a-t-il commenté.

« Le monopole de la violence en Russie n’appartient plus à l’État. Il est très fragmenté. Poutine a perdu son omnipotence.  Or  nous parlons d’un pays qui a 6.000 têtes nucléaires. Une grande déstabilisation peut se produire. C’est pourquoi la situation est très dangereuse », a pour sa part mis en garde le Luxembourgeois Jean Asselborn.

« Notre vision de la Russie est totalement différente désormais. La Russie était considérée comme une menace avec sa capacité militaire d’envahir un pays.  Avec les luttes entre des factions, elle devient désormais un risque du fait de l’instabilité politique.  L’Union européenne va commencer ses analyses sur différents scénario, car si nous ne sommes pour rien dans cette instabilité, elle va avoir des conséquences pour notre sécurité et il falloir y faire face », a reconnu Josep Borrell. « Mais cela va prendre du temps », a-t-il prévenu

Que va-t-il se passer maintenant ? Velina Tchakarova, ancienne responsable de l’Institut autrichien pour la politique européenne et de sécurité (AIES) à Vienne soutient que la rébellion de Prigojine est « une  mise en scène » montée pour « débusquer les traîtres potentiels au sein des cercles internes du pouvoir à Moscou ». La thèse fait hurler nombre d »experts » et « analystes » qui crient au « complotisme », mais elle est partagée et prend de la consistance.

Trois scénario étaient possibles après la fin de « ce cirque »,  a confié lundi un responsable européen sous couvert de l’anonymat. Dissolution de Wagner et mise à l’écart de Prigojine, seul et donc en danger de mort ou victoire du « rebelle »: il conserve son armée privée et se rend soit au Bélarus, soit en Afrique, où il  dirige 15.000 mercenaires engagés dans plusieurs pays pour « protéger des régimes » en échange du « pillage » de leurs ressources naturelles.

Un début de réponse a réponse est venu de Moscou. Vladimir Poutine a accusé lundi soir son ombre d’avoir commis une trahison, mais les poursuites contre Wagner pour « mutinerie armée » ont été abandonnées et les soldats de Prigojine ont été invités à intégrer l’armée régulière ou à « rentrer chez eux ». L’armée russe se préparait par ailleurs a récupérer leurs armes lourdes et la garde nationale va recevoir des chars et des équipements lourds . Un signe que le président russe ne se sent plus en sécurité.

« Le groupe Wagner va poursuivre ses activités au Mali et en République centrafricaine », a pour sa part annoncé le ministre russe des affaires étrangères Serguei Lavrov, sans préciser ce qu’il advenait de Prigojine. Le milliardaire a justifié sa révolte lundi dans un message audio et n’a depuis plus donné signe de vie. Il est au Bélarus, a annoncé mardi le président Alexandre Loukachenko.

Est-ce le deal passé entre Poutine et son homme de main ? L’argent est un puissant ciment. « La Russie peut difficilement se passer des services prestés par  les mercenaires de Wagner en Centrafrique », a commenté Josep Borrell.  Pour le moment, le groupe de mercenaires n’a pas été désarmé et reste à ce jour une force redoutable.

Prigojine va-t-il « s’exiler » en Afrique? « Cela lui permettrait de rester indépendant et autonome. Ce serait une victoire pour lui », estime le responsable européen . Le réseau Wagner, qui compte environ 15.000 « soldats » opérant sur les terrains difficiles de l’Afrique, « confère à la Russie un avantage stratégique dans ses activités géopolitiques et géoéconomiques sur ce continent riche en ressources », souligne Velina Tchakarova.

L’autre option, l’envoi des forces de Wagner à Minsk, annoncé par le Kremlin, est vécue comme un cauchemar dans les pays du flanc est de l’Otan, frontaliers avec la Russie et le Bélarus.  Le renforcement militaire annoncé lundi par l’Allemagne avec l’envoi en Lituanie d’une brigade lourde de 4.000 soldats, leurs chars, leur artillerie et leurs armements est considéré comme un signal à l’adresse de Moscou. D’autant que le Canada va aussi annoncer un renforcement de ses forces en Lettonie. Mais c’est aussi la confirmation que les Etats-Unis ne veulent plus s’engager davantage en Europe et qu’ils considèrent la défense du flanc Est comme une « affaire européenne ». Le sommet de l’Otan à Vilnius s’annonce comme un grand moment, mais de plus en plus délicat.

 

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