Berlusconi, « che casino »

Berlusconi, « che casino »

Le « caïman » est mort. Silvio Berlusconi s’est éteint le 12 juin 2023 à Milan à l’âge de 86 ans. Usé, momifié, discrédité, il continuait néanmoins à empoisonner la vie politique italienne. Tout a été écrit sur le disparu. Pour moi, son nom restera associé à un sentiment: « vergogna », « honte », mélange de colère, de tristesse et d’impuissance exprimé par les Italiens pendant le « règne » du satrape.Correspondant à Rome de 2001 à 2006, j’ai suivi l’ascension et la chute du « Cavaliere ». Elle est brillamment racontée par Eric Joszef, correspondant du quotidien Libération en Italie et auteur d’un ouvrage incontournable: « Main basse sur l’Italie, la résistible ascension de Silvio Berlusconi ».

Mon premier écrit sur Berlusconi a été celui d’un mensonge. Il a été proféré après la première bourde d’une longue série. Tout juste élu, il effectuait sa première sortie européenne au sommet de Goeteborg, en Suède, en juin 2001.

Ses interventions et ses diatribes anti-communiste lors du diner ont été jugés offensantes, vulgaires et déplacées par ses pairs et ils l’ont fait savoir. Vexé, Berlusconi a alors commis l’erreur de convoquer une conférence de presse au cours de laquelle il a démenti le compte rendu fait de ses propos. Hâbleur, il a provoqué les journalistes, engagés à contrôler auprès de ses homologues. Mauvaise idée. Interpellé, le Néerlandais Wim Kok a confirmé la mauvaise impression laissée par Berlusconi et plusieurs autres dirigeants ont fait de même.

Mortifié, Silvio tirait une tête de trois pieds de long lorsqu’il est entré dans la salle de la délégation italienne pour rendre compte des résultats du sommet. Mais lorsqu’il a découvert le mur de caméras, le showman a pris le dessus et il s’est livré à une opération de séduction, conclue par une boutade: « ne m’inventez pas une nouvelle gaffe ».

Des gaffes, il en a commis des dizaines pendant ces six années. Une expression était régulièrement utilisée par mes interlocuteurs pour qualifier les actions de Berlusconi: « Che Casino ». En français, elle signifie « quel bordel ».

« Che Casino » le G8 organisé à Gênes, transformée en camp retranché défendu par des murs en grillages escaladés par des manifestants repoussés à la lance d’incendie, tandis qu’en dehors, les carabiniers bastonnaient les manifestants anti-mondialisation.

« Che Casino » l’incident diplomatique provoqué par sa déclaration proclamant la supériorité de l’Occident sur l’Islam lors d’un sommet à Berlin deux semaines après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, alors que les Occidentaux cherchaient à rallier le monde musulman à la guerre contre le terrorisme.

« Che Casino » la présentation du semestre de présidence italienne au parlement européen à Strasbourg en 2003, lorsque ulcéré par les critiques du député SPD Martin Schulz, il avait suggéré à l’élu allemand un rôle de « kapo » dans un film sur les camps de concentration nazis en préparation en Italie. Assis a côté de lui, son allié politique, le vice-président Gianfranco Fini, fondateur du parti d’extrême-droite Alliance Nationale, était effondré, le visage caché entre ses mains.

Si certains de ses impairs ont été cocasses, voire vulgaires, mais sans incidences, d’autres ont causé de sérieux dégâts et ruiné sa crédibilité.

« Le problème est que Silvio Berlusconi parle comme il pense, ce qui fait son succès auprès de ses concitoyens », avait expliqué le philosophe Lucio Coletti après l’offense faite à Martin Schulz.  Tancé par le président italien Carlo Azeglio Ciampi, il avait été contraint de s’excuser par le chancelier Gerhard Schoroeder pour clore l’affaire. Martin Schulz doit beaucoup à Silvio.

Coutumier des déclarations à l’emporte-pièce, Berlusconi a multiplié les bévues. Il a ainsi suggéré aux employés du groupe Fiat touchés par un plan de restructuration de « trouver un second travail, peut-être non officiel ». Normal dans l’esprit d’un milliardaire attaché à dépénaliser la fraude. Aberrant pour ses partenaires européens.

De sa jeunesse, Silvio Berlusconi avait gardé la familiarité et le bagout du vendeur d’aspirateur et de l’animateur de boîtes de nuits et de croisières qu’il a été dans les années 50. Il en a fait un style de comportement, et l’a transposé dans ses rapports politiques, multipliant accolades, cadeaux –surtout des montres et des bijoux– et plaisanteries.

Il avait ainsi surpris son homologue danois Anders Fogh Rasmussen lors d’une conférence de presse à Rome, en octobre 2002, en l’impliquant dans ses démêlés conjugaux.

« Rasmussen est le Premier ministre le plus beau d’Europe. Je pense le présenter à ma femme, parce qu’il est bien plus beau que Cacciari, d’après ce qui se murmure », avait-il lancé. Complètement dépassé, le Danois ne cachait pas son désarroi.  « Vous ne connaissez pas l’histoire. Je vous expliquerai après », lui avait-il lancé .

Silvio Berlusconi faisait allusion à des rumeurs sur une liaison prêtée à son épouse Veronica avec le philosophe de gauche Massimo Cacciari, ancien maire de Venise. Lui même venait d’être immortalisé par un paparazzi à bord d’un yacht, entouré d’accortes jeunes femmes et il cherchait à détourner l’attention. Le procédé, inélégant, s’est retourné contre lui, mais l’incident Rasmussen est resté dans la saga berlusconienne.

« J’ai des comportements qui ne sont pas politiquement corrects et je n’ai pas l’intention de changer », avait-il déclaré à un journaliste danois au cours d’une conférence de presse avec Anders Fogh Rasmussen à l’issue de leur entretien à Rome.

« En fait, je m’amuse à susciter des réactions et je n’ai pour cette raison aucun motif de changer. Je continuerai à rester moi-même », avait-il insisté.

Minée par les scandales et les déboires judiciaires, sa  fin a été crépusculaire.  « J’ai trop d’estime pour l’intelligence des italiens pour penser qu’il y a autant de couillons pour voter contre leurs propres intérêts », avait-il fanfaronné au plus fort de la campagne pour les législatives de 2006. Les couillons l’ont pris au mot et ont voté pour Romano Prodi, parvenu à coaliser l’ensemble de la gauche italienne. Berlusconi a tenté une dernière tricherie lors du décompte des bulletins avant de s’incliner, mais il n’a jamais voulu reconnaître sa défaite et a mené la vie dure à son rival.

En 2008, il convainc un des « alliés » de Prodi de le lâcher et revient au pouvoir. Il sera débarqué trois ans plus tard par ses homologues européens en pleine crise de l’euro. « Je lui ai dit: le problème de l’Italie c’est toi. Si tu veux rendre service à ton pays, tu dois laisser la place », a raconté le Français Nicolas Sarkozy.

Secoué mais pas abattu, le marionnettiste a continué à manipuler la vie politique de la péninsule avec son mouvement, Forza Italia. Ultime pied de nez, il a contribué à la chute de Mario Draghi et à la formation d’un gouvernement de coalition dirigée par Fratelli d’Italia, le mouvement d’extrême-droite issue de l’Alliance Nationale créée par Giorgia Meloni en 2012.  « La petite », comme il l’a surnommée, lui a rendu un hommage de circonstance en saluant « l’un des hommes les pus influents de l’histoire de l’Italie ».

Le leg de Silvio Berlusconi  est pourtant peu reluisant. Milliardaire flamboyant entré en politique en 1994 pour défendre son empire avec un parti créé de toute pièce dont il était le président-patron, il détonnait alors face aux autres dirigeants européens. Depuis, la politique spectacle et le populisme ont gagné l’Europe. Bateleurs, menteurs et  histrions sont entrés en politique et sont parvenus à prendre le pouvoir et a faire voter des lois sur mesure . Le Britannique Boris Johnson incarne à lui seul ces trois travers de ce côté de l’Atlantique et Donald Trump est son alter-égo aux Etats-Unis.

Berlusconi a également contribué à légitimer l’extrême-droite, aujourd’hui associée au pouvoir dans plusieurs états membres.  L’Allemand Manfred Weber, patron du Parti Populaire Européen, la droite conservatrice, ne trouve rien à redire aux alliances avec le diable, tant qu’il ne se montre trop ouvertement  europhobe, si cela peut permettre à la famille d’être au pouvoir. Ironie de l’histoire, Giorgia Meloni pourrait sauver Forza Italia de la disparition lors des Européennes en permettant l’élection de quelques élus par la magie d’une liste  commune.

 

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