Froid et solide. Le Norvégien Jens Stoltenberg , 64 ans, est à l’image du siège de l’Alliance à Bruxelles, et ces deux qualités, en période de tension et d’antagonisme avec Moscou ont convaincu les dirigeants des 31 pays de l’Otan de lui demander de prolonger, une fois encore, son mandat à la tête de l’organisation pour une année, faute de consensus sur les prétendants à sa succession.
« Je suis honoré de la décision des alliés de l’Otan d’étendre mon mandat de secrétaire général jusqu’au 1er octobre 2024 ». L’annonce ne dupe personne. Jens Stoltenberg a répété à maintes reprises vouloir passer à autre chose et ne pas être demandeur d’une nouvelle prolongation. Il savait que cette option était sur la table et il a compris qu’il devrait une fois encore rempiler car aucun des prétendants ne faisait consensus. « Trop anti-russe » pour l’Estonienne Kaja Kallas; pas assez capé –« il n’est pas encore Premier ministre »– pour le Britannique Ben Wallace, « Encore un Nordique » pour la Danoise Mette Frederiksen.
Il a fallu mettre les formes, le prier et même lui tordre le bras pour qu’il accepte, car la reconduction doit être acceptée d’un commun accord. « Tout le monde est à bord », a confié un diplomate lors du sommet européen des 29 et 30 juin à Bruxelles auquel Stoltenberg à participé en invité pour la discussion sur le soutien à l’Ukraine . Le consensus a été forgé pendant sa tournée des dirigeants pour préparer le sommet de Vilnius les 11 et 12 juillet il a été formalisé au cours d’une réunion des ambassadeurs le 4 juillet, date de la fête nationale des Etats-Unis, les patrons de l’Otan.
« Trop de défis pour l’unité de l’Alliance pour prendre le risque d’un débat difficile sur le prochain secrétaire général au sommet de Vilnius », a souligné un responsable de l’Alliance. « Stoltenberg est le plus grand dénominateur commun dans un contexte de fortes divisions et de fortes différences sur l’Ukraine », m’a-t-il expliqué. « Il n’était pas demandeur, mais il s’est montré solide dans la crise », a–t-il ajouté. Il sert les intérêts des Etats-Unis, plait aux Turcs, les Français ont appris à l’apprécier et il convient aux Allemands. Les Européens de l’Est veulent le poste mais savent qu’il leur faut attendre et les Britanniques se sont mis hors jeu en quittant l’UE avec le Brexit.
Le poste revient à un Européen, mais les membres de l’UE, forts de leur nombre — 22 sur 31 –, le revendiquent pour un des leurs et ambitionnent la nomination d’une femme pour faire sauter le plafond de verre d’une alliance très masculine. Washington accepte le défi, mais exige un chef ou un ancien chef de gouvernement. Compte tenu des difficultés à surmonter pour trouver l’oiseau rare qui fasse consensus, Jens Sotltenberg pourrait bien devenir par défaut le premier secrétaire perpétuel de l’Otan.
Le job n’est pas fascinant. L’Alliance n’a pas d’argent et peu de moyens. Elle dépend totalement de ses états membres. Le secrétaire général est un mélange de psy et d’entremetteur. Il doit parler à tout le monde, écouter, trouver un terrain d’entente, apaiser les tensions, négocier des compromis, ne jamais dire plus que ce qu’il a été autorisé à communiquer et ne jamais se placer au centre de l’histoire, même lorsque l’histoire le concerne, souligne
Anne Appelbaum, qui connait bien le sujet. Son mari, Radoslav Sikorski, a brigué le poste.
Techniquement, le nouveau mandat de Jens Stoletenberg prendra fin le 1er octobre 2024. Son successeur devrait être nommé pour le sommet de l’Otan prévu à Washington en juillet pour les 75 ans de l’Alliance. Un grand moment qui vaut bien le sacrifice d’une année supplémentaire, comme l’a souligné lloyd Austin, le patron du Pentagone, lors de la réunion des ministres de la Défense de l’Alliance les 14 et 15 juin, au cours de laquelle l’option de la prolongation a été retenue. Trois semaines auront été nécessaires pour la formaliser, car « certains alliés ont eu besoin d’un peu de temps » pour l’accepter.
Rien ne prédisposait le flegmatique norvégien à prendre en 2014 les rênes de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, une Alliance militaire constituée en 1949 par les Etats-Unis et 11 pays européens pour assurer leur défense contre la Russie. Dans les années 70, adolescent, il a caillassé l’ambassade des Etats-Unis pour dénoncer la guerre au Vietnam. Il a ensuite évolué dans les milieux radicaux hostiles à l’Otan et à la Communauté européenne. Ministre, il a protesté contre les essais nucléaires français à Mururoa en participant à un relais cycliste Oslo-Paris en 1995.
L’exercice du pouvoir a aidé à vaincre ses préventions. Entré tôt en politique dans le parti travailliste, il gravit rapidement les échelons. En 2000, il devient à 41 ans le plus jeune chef du gouvernement norvégien. Ce premier mandat sera court, une année, mais il revient au pouvoir en 2005 et le reste pendant sept ans. Battu en 2013, il quitte la présidence de son parti. Un an plus tard, en octobre 2014, il est nommé secrétaire général de l’Otan, quelques mois après l’annexion de la Crimée par la Russie.
« J’ai été surpris lorsqu’on m’a demandé de devenir secrétaire général de l’Otan, car je n’avais jamais prévu de le faire », a-t-il raconté en mai dernier. Economiste de formation, il n’avait jamais manifesté d’intérêt particulier pour les questions de défense et de sécurité au cours de sa carrière politique. Mais en 2014, Moscou avait fait connaitre son hostilité pour le candidat pressenti, le ministre des Affaires étrangères polonais Radoslav Sikorski. Jens Stoltenberg, ancien Premier ministre avait pour lui plusieurs atouts : homme de compromis, il était apprécié à Moscou en raison de liens étroits tissés avec la Russie. Il sera reconduit en 2017 pour un nouveau mandat de quatre ans et il a été prolongé à l’unanimité pour un an en 2022 après l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, ce qui l’a contraint de démissionner de son poste de gouverneur de la Banque Centrale de Norvège .
Jens Stoltenberg, c’est un style et une personnalité. Grand, sportif, un regard bleu acier, une gestuelle sobre -la Stolt dance — , il encaisse tout. Ou du moins ne laisse pas paraitre quand il est touché. Il a du amadouer le tempétueux président américain Donald Trump pour le convaincre de ne pas quitter l’Alliance, encaisser l’accusation de « mort cérébrale » lancée par le Français Emmanuel Macron avant le sommet de Londres en 2019 et calmer les tensions provoquées par le président turc Recep Tayyip Erdogan afin de préserver l’unité de l’Alliance.
Le coup le plus rude lui a été porté par la décision des Américains de quitter l’Afghanistan. Il a du gérer l’humiliation du retrait chaotique des troupes alliés et l’abandon des afghans aux « victorieux » talibans, après avoir assuré que jamais ils ne l’emporteraient par les armes. Ce mois d’août de 2021, Jens Stoltenberg a jeté l’éponge et disparu, au grand dam des alliés qui fulminaient contre son absence.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 lui a redonné une raison d’être. Il savait par les services de renseignements alliés que la guerre allait venir mais comme eux, il ne pensait pas que les Ukrainiens allaient tenir . Tout le monde attendait une capitulation rapide. Le président Zelensky est resté et a organisé la résistance. Jens Stoltenberg a du coordonner le soutien à l’Ukraine sans faire entrer l’Otan en guerre avec Moscou. Les lignes directrices étaient dictées par Washington, qui a pris la haute main sur la gestion des fournitures d’armes avec la création du « groupe de Ramstein ».
Le sommet de Vilnius s’annonce délicat. « De nombreux sujets difficiles restent à régler », reconnait un diplomate allié. L’Ukraine veut adhérer à l’Alliance, sa garantie de sécurité. Washington refuse de s’engager au delà de la formule « la porte de l’Otan est ouverte ». Le texte de la déclaration finale sera négocié jusqu’au dernier moment. Jens Stoltenberg s’est entretenu avec Volodymyr Zelensky après sa reconduction. « À Vilnius, les Alliés prendront des décisions visant à renforcer le soutien à long terme, à améliorer nos liens politiques et à rapprocher l’Ukraine de l’Otan » , a-t-il annoncé. Mais aucun engagement contraignant ne sera pris par les alliés. Washington n’est pas prêt à cela.