Vilnius, le « grand cirque » de l’Otan

Vilnius, le « grand cirque » de l’Otan

Déception ukrainienne, chantage turc, double jeu américain, crise existentielle européenne: entre embrassades en public et remontrances en coulisses, le « grand cirque » du sommet annuel de l’Otan organisé à Vilnius les 12 et  13 juillet laisse un goût amer au président ukrainien, contraint de ravaler son amertume  pour ne pas gâcher la fête.

Volodymyr Zelensky avait menacé de ne pas venir s’il devait juste figurer sur la photo.  Il est venu avec son épouse et ses ministres et il s’est beaucoup exprimé. Trop de l’avis de ses détracteurs, au point de fâcher le président américain Joe Biden.

« L’Ukraine mérite le respect (…)   Il est sans précédent et absurde qu’aucun calendrier ne soit fixé, ni pour l’invitation ni pour l’adhésion. Dans le même temps, des termes vagues concernant les « conditions » sont ajoutés pour l’invitation.  Il semble qu’il n’y ait aucune volonté d’inviter l’Ukraine à l’Otan ou d’en faire un membre de l’Alliance. Cela signifie qu’une fenêtre d’opportunité est laissée pour négocier l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan dans le cadre des négociations avec la Russie. Et pour la Russie, cela signifie une motivation pour continuer à faire régner la terreur. L’incertitude est une faiblesse. J’en parlerai ouvertement lors du sommet ».

Le message publié sur son compte twitter le 11 juillet avant son arrivée à Vilnius a choqué. « Le ton a déplu à Washington », m’a confié un des participants . Le ressentiment du président ukrainien était pourtant justifié. Washington n’a pas bougé. Pas question de prendre des engagements. La déclaration est  vague. « Nous serons en mesure d’adresser à l’Ukraine une invitation à rejoindre l’Alliance lorsque les Alliés l’auront décidé et que les conditions seront réunies ».

Le président ukrainien a été prié de mettre une sourdine à sa déception et de donner une tournure « plus positive » à ses communications. « C’est le langage le plus fort jamais utilisé », a insisté le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg, après la publication de la déclaration, en précisant que « le  pays invité à rejoindre l’Alliance s’associe à ce communiqué ».  Impossible d’aller plus loin. L’intégration d’un pays en guerre poserait trop de risques. Pas question pour l’Alliance de se voir précipitée dans un conflit avec la Russie, puissance nucléaire.  Joe Biden doit tenir compte des prises de position de l’ancien président républicain Donald Trump, convaincu de pouvoir régler le problème avec Moscou. Or  Trump s’annonce comme son probable adversaire dans le camp Républicain pour la présidentielle, si la justice américaine ne parvient pas à le mettre sur la touche.

Zelensky  a donc joué le jeu, mais son expression et sa gestuelle montraient son mal être.  « Les résultats du sommet sont bons, mais s’il y avait une invitation, ils seraient parfaits », a-t-il lâché . « Nous avons entendu que nous recevrons l’invitation une fois que les conditions de sécurité le permettront et nous voulons discuter avec nos partenaires de quoi il s’agit », a-t-il souligné.

Ses entretiens bilatéraux avec le président Biden, le président Emmanuel Macron, le chancelier Olaf Scholz et le Premier ministre  britannique Rishi Sunak ont permis de « mettre fin à tous les doutes et à toutes les ambiguïtés concernant l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan.  L’Ukraine sera membre ! », a-t-il affirmé.

« Pour la première fois, non seulement tous les Alliés sont d’accord sur ce point, mais une majorité significative au sein de l’Alliance pousse vigoureusement en ce sens. Jamais auparavant les mots « vous êtes égaux parmi les égaux », prononcés par d’autres membres de l’Otan, n’ont eu de sens. Aujourd’hui, tout le monde comprend qu’il s’agit d’un fait. Égaux parmi les égaux. Et nous réaffirmerons définitivement ce fait avec notre victoire. Et avec notre adhésion », a-t-il expliqué dans son dernier message avant son retour à Kiev.

L’Ukraine a engrangé beaucoup. Volodymyr Zelensky a participé au premier conseil Otan-Ukraine, antichambre de l’adhésion, où son pays siège d’égal à égal avec les 31 membres de l’Alliance. Les pays du G7 se sont engagés  pour une aide militaire sur le long terme et certains ont formulé des annonces concrètes.  La France va ainsi fournir des missiles longue portée  Scalp-EG, l’équivalent des Storm Shadow promis par Londres, pour mener des frappes en profondeur, bien au delà de la ligne de front, contre des centres de commandement et des objectifs stratégique afin d’appuyer ses tentatives de percées des défenses établies par les forces russes.  L’Allemagne a pour sa part promis deux batteries de Patriot pour renforcer la défense anti-aérienne , 25 chars de combat Léopard, des véhicules blindés et 20.000 obus. Onze pays de l’Otan se sont engagés à former des pilotes ukrainiens  sur les avions de combat américains F-16 . Il repartiront avec leurs appareils une fois prêts. Car la tendance est désormais de former les militaires ukrainiens à l’utilisation des armements fournis qu’ils ramènent ensuite en Ukraine avec toutes les composantes : carburant, munitions, pièces détachées.

« Vilnius n’aura pas été le dernier arrêt. Ce sera Washington », l’an prochain, pour les 75 ans de l’Alliance, a commenté le chef de la diplomatie lituanienne Gabrielius Landsbergis. Très en pointe dans le soutien à l’adhésion de l’Ukraine, il a reconnu être déçu par l’occasion manquée  à Vilnius. « Mais contrairement à Bucarest en 2008, il n’y a plus une seule objection contre l’adhésion de l’Ukraine »,  a-t-il souligné. La question est désormais « quand ».

Le sommet de Vilnius restera celui de l’obligation pour l’Union européenne de prendre ses responsabilités. Les Etats-Unis veulent se désengager militairement d’Europe et la défense du flanc Est devient « une affaire européenne », explique un ministre de l’UE.  Huit groupements tactiques ont été constitués et leur renforcement est en cours.  L’Allemagne a promis de stationner en Lituanie une brigade lourde, soit 4.000 hommes, leurs chars et leurs équipements. L’Espagne a annoncé l’envoi de 800 militaires en Slovaquie et en Roumanie pour renforcer les groupements tactiques dirigé par la République Tchèque et la France.  Mais derrière ce volontarisme se cache une crise existentielle: les Européens ont-ils les capacités et, surtout , la volonté d’aller au combat. La plupart sont en retard sur l’objectif de 2% de leur PIB consacré à leurs dépenses de Défense et ils renâclent à l’idée d’augmenter cet effort. L’engagement demandé par Jens Stoltenberg de considérer cet objectif comme un minimum n’a pas été pris. « Nous nous engageons, dans la durée, à consacrer chaque année au moins 2 % de notre produit intérieur brut (PIB) à la défense », précise la déclaration de Vilnius.    Les Alliés reconnaissent que « dans bien des cas, il faudra consacrer plus de 2 % du PIB », mais ils se sont refusés à aller plus loin.

Jens Stoltenberg peut néanmoins être satisfait. Il a obtenu, avec l’aide de Washington, que le président turc Recep Tayyip Erdogan transmette à son Parlement la consigne de ratifier l’adhésion de la Suède. Il n’a pu toutefois l’empêcher d’exercer un dernier chantage. Le Parlement turc votera, mais « pas avant octobre au mieux »  et d’ici cette date, le gouvernement suédois est sommé de « ne plus tolérer les attaques contre le Coran ».  La Turquie confirme ainsi être un partenaire « à part ».

Reconduit à Vilnius pour une dixième année,  Jens Stoltenberg, 64 ans,  va préparer le sommet de Washington, annoncé pour le mois de juillet, avec l’espoir que les alliés lui trouveront enfin un successeur.

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