Sans surprise, la commission européenne a recommandé d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’Ukraine, la Moldavie et la Bosnie Herzégovine pour « compléter l’Union ». Vingt ans après celui de 2004, un nouvel élargissement se profile. Le processus sera long et difficile. Il se fera au mérite pour les candidats. Mais il va falloir convaincre les citoyens des 27 membres actuels d’accepter les sacrifices imposés pour accueillir les nouveaux arrivants. Car l’Union n’attire que les plus pauvres. Riches et égoïstes, la Suisse, la Norvège et le Liechtenstein la boudent pour protéger leur prospérité.
Ursula von der Leyen était tout sourire à son entrée dans la salle de presse du Berlaymont après la réunion de sa commission le 8 novembre. Le collège venait d’approuver les recommandations du rapport Elargissement pour les dix prétendants à l’adhésion. « Nous recommandons l’ouverture des négociations avec l’Ukraine, la Moldavie et avec la Bosnie-Herzégovine, dès que le degré de conformité avec les critères d’adhésion sera atteint, et nous recommandons d’accorder le statut de candidat à la Géorgie, pour autant que les réformes demandées soient réalisées ».
Des bon points ont par ailleurs été distribués au Monténégro, à l’Albanie, à la Macédoine du Nord et un rappel à l’ordre a été lancé à la Serbie, qui refuse toujours de sanctionner la décision de la Russie d’envahir l’Ukraine.
Le Kosovo est en revanche recalé. Incapable de normaliser ses relations avec la Serbie, qui refuse de reconnaitre son indépendance, comme cinq membres de l’UE, il n’obtient pas le statut de candidat. « Sa demande d’adhésion est entre les mains des Etats membres et ils n’ont pas demandé à la Commission de donner son avis ». La Turquie est également mise au coin. Elle a commencé le processus d’adhésion, mais il est « bloqué », car ses dirigeants refusent de renverser la tendance négative dans leurs relations avec l’Union.
La décision politique d’ouvrir les négociations revient désormais aux dirigeants des États membres. Elle attendue lors du sommet européen des 14 et 15 décembre. Or le diable se cache dans les considérations de la Commission. L’Ukraine doit encore finaliser une série de réformes pour lutter contre la corruption, réduire l’influence des oligarques et protéger les droits des minorités sur son territoire. Le pouvoir en Moldavie doit pour sa part « tendre la main à l’opposition et discuter avec la société civile ». Quant à la Bosnie-Herzégovine, de sérieuses préoccupations subsistent à cause des « mesures sécessionistes et autoritaires prises par les autorités de la Republika Srpska », l’entité des Serbes de Bosnie où le respect des minorités est une utopie de bureaucrate bruxellois.
Le tableau est surprenant. Les progrès réalisés sur les critères politiques –fonctionnement de la justice, lutte contre la corruption, liberté d’expression, lutte contre le crime organisé– sont notés de 1 à 5. Or la moyenne obtenue par l’Ukraine est de 2,1 et celle de la Moldavie est de 2, ce qui correspond à un faible degré de préparation pour les deux pays.
L’Ukraine, la Moldavie et la Bosnie-Herzégovine ont jusqu’au mois de mars 2024 pour accomplir leurs derniers devoirs. Ils ne sont pas les plus faciles. La Commission fera un rapport pour cette date. Ursula von der Leyen s’est dite confiante dans la capacité des candidats à finaliser l’exercice imposé et a minimisé l’importance des « quelques réformes en attente ». On n’en attendait pas moins de la plus fervente avocate de l’élargissement. Elle se place dans dans le droit fil de ses prédécesseurs à la tête de l’institution. Que signifie l’ouverture des négociations ? Le quotidien belge
La Libre Belgique livre quelques clefs
Mais il faut d’abord convaincre les 27. Un seul Non et le processus capote. Le Premier ministre hongrois Viktor Orban a fait de la protection des droits de la minorité hongroise en Ukraine une ligne rouge. Le ministre des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, l’a rappelé peu après la publication des recommandations de la Commission . Il a jugé que « l’Ukraine ne répondait pas aux critères d’adhésion à cause des violations des droits des minorités » et s’est dit « préoccupé par le fait que l’Ukraine n’est pas prête à adhérer à l’UE en raison des conflits en cours, ce qui pourrait entraîner une guerre dans l’UE », a indiqué le porte-parole du gouvernement Zoltan Kovacs.
« Il n’est pas question de faire entrer un pays qui cultive les conflits internes ou frontaliers », soutient sous couvert de l’anonymat un responsable européen au fait des discussions. L’Union vit en permanence l’expérience de ces problèmes qui empoisonnent le système politique.
Si les dirigeants de l’UE disent Oui à ouverture négociations avec l’Ukraine et la Moldavie lors du sommet européen du 14-15 décembre, les discussions avec ces deux pays commenceront « dès le 15 décembre » afin de préparer la feuille de route avec les nouvelles réformes à définir. Les vraies négociations débuteront « une fois que les reformes en gestation en Ukraine auront été accomplies », a précisé la Commission. Le processus sera long et difficile, comme le souligne Jean Quatremer dans Libération. Les adhésions se feront « au mérite ». Il est peu probable que les 27 soient appelés à se prononcer sur un « élargissement jumbo » avec l’intégration de dix pays à la fois comme en 2004.
« On n’est qu’au début du chemin », avertit le responsable européen. Il faut éviter de créer de fausses attentes. Les recommandations de la Commission sont « une étape politique » et les réserves émises sont « un levier pour encourager la poursuite des réformes exigées », précise-t-il. Volodymyr Zelensky et Maia Sandu sont conscients des attentes de l’UE. « L’Ukraine poursuit ses réformes et attend avec impatience la décision du Conseil européen en décembre », a assuré le président ukrainien après la publication des recommandations de la Commission. « La Moldavie est fermement ngagée sur la voie de l’adhésion à l’UE et nous continuerons à travailler sans relâche pour atteindre cet objectif », a promis la présidente e la Moldavie.
La Russie entend faire dérailler le processus. Moscou cherche à déstabiliser la Moldavie et poursuit la guerre impitoyable menée à l’Ukraine depuis l’invasion du pays en février 2022. « On ne peut pas faire abstraction de cela. Tout calendrier sera théorique car il sera conditionné par l’impact de la guerre », souligne le responsable européen. Ursula von der Leyen s’est gardée de tout pronostic et n’a pas répondu à la question « Combien de temps peut-on négocier avec l’Ukraine si le pays reste en guerre ? ».
Le président du Conseil européen, le belge
Charles Michel, entend préparer l’Union à ce nouvel l’élargissement. L’Ukraine est un géant agricole et un pays pauvre, plus pauvre que la Bulgarie, le plus pauvre des membres de l’UE. « Quelles politiques et programmes doivent être améliorés pour renforcer la position mondiale de l’UE et comment ? Quelles politiques sectorielles doivent être réformées dans le contexte du futur élargissement et comment ? Où devons-nous concentrer notre budget commun ? Comment pouvons-nous garantir au mieux qu’il soutient nos priorités communes ? Concrètement, comment financer ce budget ? Comment améliorer notre prise de décision pour rester agile ? Faut-il revoir les règles de vote et comment ? » demande-t-il aux dirigeants des Etats membres. Il a proposé une série de « diners-débats en petits groupes consécutifs à Paris, Berlin, Copenhague et Zagreb au cours de ce mois » pour « réfléchir » à la capacité de l’UE à agir et à atteindre ses objectifs en ces « temps tumultueux ».
L’approche inquiète la Commission. « Pas question de conditionner l’élargissement à la réforme de l’UE. Nous pouvons le faire avec les traités et les règles actuelles », a soutenu le commissaire à l’Elargissement, le Hongrois Oliver Varhelyi, sans être repris par Ursula on der Leyen. La position divise l’UE et le Parlement européen, souligne
Bernardo de Miguel dans El Pais
« On ne fait pas un élargissement à l’émotion », met en garde le responsable européen. « Il n’est pas question de sauter les étapes ou de mal les faire », explique-t-il. « Beaucoup de problèmes ont été mis sous les tapis pour l’élargissement de 2004 et les ratés ont refroidi les ardeurs », a reconnu la précédente Commission dirigée par Jean-Claude Juncker.